Deux ans après l’insurrection du Capitole, les républicains pris en otages à la Chambre

Par 11 fois, Kevin McCarthy s'est fait dire non par une vingtaine d'élus républicains rebelles, lui refusant ainsi son poste tant convoité de président de la Chambre.
Photo : afp via getty images / MANDEL NGAN
Qui aurait pensé qu'un jour les républicains, devenus majoritaires à la Chambre des représentants, seraient incapables de nommer un président issu de leurs propres rangs, à cause d’autres républicains, et paralyseraient ainsi le Congrès américain?
Ceux qui suivent l’évolution du Parti républicain depuis quelques années ne sont probablement pas surpris.
Pour Kevin McCarthy, c’était censé être le rôle de sa vie : président de la Chambre des représentants. Mais, incapable d’amasser les 218 votes nécessaires pour obtenir le siège tant convoité, M. McCarthy subit les foudres de membres de son propre parti qui ont transformé son rêve en chimère.
Après 11 scrutins, encore et encore, 21 élus républicains rebelles font tout pour lui mettre des bâtons dans les roues. Ce qui est particulier, c’est qu’il a pourtant offert d'importantes concessions à ces 21 récalcitrants. Comme la promesse de sièges au sein de comités importants de la Chambre, ou encore de permettre à un seul élu de pouvoir déposer une motion pour un vote sur le congédiement du président de la Chambre.
Mais aucun des rebelles n'a flanché. Kevin McCarthy pensait-il vraiment qu’il allait s’en sortir comme ça? Faire ce striptease politique ne lui aura rien rapporté, sinon une autre humiliation.
Mauvais compteur de votes
Nancy Pelosi, la bête noire des républicains, a toujours eu une capacité que Kevin McCarthy n’a jamais eue : celle de compter ses votes. Jamais l'ancienne présidente de la Chambre n’a osé soumettre quoi que ce soit à un vote sans savoir qu’elle avait suffisamment de voix pour le faire adopter.
Dans le cas de M. McCarthy, probablement parce qu’il n’avait pas le choix, diront certains, il a préféré aller au casse-pipe, dans l’espoir que certains récalcitrants cèdent à la pression et se rangent derrière lui.
Or, ceux qui ont voté contre lui l’ont fait en sachant très bien que leurs candidats Andy Biggs, Byron Donalds, Kevin Hern, tous d’obscurs élus, ou même Donald Trump (proposé par Matt Gaetz, il n’a obtenu qu’une seule voix) n’avaient aucune chance d’être choisis par la très grande majorité du parti.
Mais le but semblait surtout de défaire M. McCarthy et d’exhiber son scalp telle une victoire sur ce que ces élus veulent dénoncer, soit Washington et tous ses problèmes.
Des terroristes politiques?
Si, dans l’opposition, les républicains sont souvent perçus comme obstructionnistes, ces 21 rebelles sont plutôt vus comme des destructionnistes
. Ils ne semblent pas intéressés par le fonctionnement du gouvernement, mais plutôt passionnés par la démonstration que rien ne fonctionne à Washington.
Pas étonnant que certains d’entre eux soient des négationnistes des résultats de l’élection de 2020 qui, de plus, ont participé à l’incitation à l'insurrection du Capitole du 6 janvier 2021.
Le système américain n’est pas parfait, loin de là. Mais à force de dire qu’ils font cela pour le peuple
, le jupon égocentrique de ces politiciens commence à dépasser. Pour preuve, l’un de ces élus rebelles en profite pour lancer une campagne de financement en pleine crise du Congrès.
Denver Riggleman, ancien élu républicain de la Virginie, ne traite pas ces 21 rebelles de preneurs d’otages, mais bien de terroristes
. Car selon lui, même quand on accède à leurs demandes, ils ne sont même pas intéressés et continuent leur fronde contre Kevin McCarthy.
Humiliations après humiliations
Pour les républicains, il s'agit d'un échec retentissant, car les élus du parti tentaient tant bien que mal de se targuer que, même avec des résultats d’élections de mi-mandat assez décevants, ils allaient prendre le contrôle de la Chambre des représentants, y insuffler leur programme politique et, surtout, attaquer à coups d’enquêtes, à la première occasion, la famille Biden et les démocrates.
Quatre jours plus tard, on attend encore l’assermentation de tous les élus de la Chambre, impossible tant et aussi longtemps qu’il n’y aura pas de président élu dans l’hémicycle. Si jamais une crise majeure éclatait, aucun projet de loi et aucune enveloppe budgétaire ne pourrait être déposée ou proposée.
De voir les Matt Gaetz, Lauren Boebert et autre Chip Roy pourfendre le Congrès au prix de la tête d’un des leurs peut paraître surprenant. Mais ce genre d’élus de mouvances extrémistes a toujours existé au sein du parti. D’autres anti-système
ont déjà réussi, par le passé, à évincer d’anciens présidents de la Chambre plus modérés. Pensons aux Eric Cantor, Paul Ryan et John Boehner.
À force d’éliminer des ténors républicains qui, soit, font partie de l'establishment de Washington, mais qui sont capables de gérer un groupe qui rassemble des politiciens de tous horizons, le parti se retrouve aujourd’hui incapable de faire élire un président de compromis et de consensus.
Bref, le passage de Donald Trump au sein du Parti républicain a aussi laissé des traces, permettant tout et n’importe quoi dans ses rangs. Il ne faut donc pas s’étonner de la situation dans laquelle on se retrouve aujourd’hui.
Cela pose un réel problème pour un parti qui veut reprendre la Maison-Blanche en novembre 2024. C’est en effet aussi l’occasion de voir à quel point seulement une partie de la base plus orientée vers l’extrême droite peut mener l'éléphant républicain par le bout de sa trompe.
Qui voudrait vraiment de ce poste?
Si jamais Kevin McCarthy était finalement élu, ce qui paraît de moins en moins probable, certains lui ont déjà trouvé un nom : SPINO! « Speaker in name only » (Qui n'a d'un président que le nom). Un peu à l’image des RINO, les républicains in name only
. Parce qu’à la moindre incartade, il ferait les frais de la nouvelle mesure qu’il aurait acceptée, celle de se faire congédier par le biais d’une motion déposée par un seul élu, qui passerait au vote.
À force d’avoir vendu à rabais tout ce qu’il avait en magasin, Kevin McCarthy a rendu ce poste de moins en moins attrayant. S'il décidait de se retirer, qui serait tenté de se présenter, dans un tel contexte? Et surtout, qui serait capable de se faire élire?
Un jour, il y aura bel et bien un président de la Chambre élu, mais imaginez les deux prochaines années! Ces 21 élus rebelles ne disparaîtront pas du jour au lendemain.
Et comme ils viennent de le démontrer, ces loyalistes pro-MAGA (Make America Great Again, slogan de Donald Trump) n’écoutent même plus leur gourou politique qui, par deux fois, a demandé qu’ils se rangent derrière Kevin McCarthy. Voilà qui n’est pas de bon augure pour l’homme de Mar-a-Lago, qui voit son influence sur ses ouailles républicaines s’amenuiser davantage dans cette crise.
Le beau jeu des démocrates
En face, les démocrates ne peuvent qu’afficher de larges sourires, mais surtout une unité sans faille. Ted Lieu, un élu bleu de la Californie, n’était pas peu fier de tweeter une photo avec un sac de popcorn, en route vers le plancher de la Chambre, sachant très bien que la défaite de Kevin McCarthy serait une catastrophe annoncée.
Alors que, depuis deux ans, les républicains se délectaient des déboires des démocrates et de Joe Biden, pris en otages par Kyrsten Sinema et Joe Manchin au Sénat, qui dictaient leurs demandes pour adoucir les mégaprojets de loi transformationnels de la Maison-Blanche, les rôles se sont inversés, propulsant les républicains sur le devant de la scène et exposant leurs déchirements internes.
Depuis mardi, les 212 démocrates de la Chambre des représentants votent religieusement pour leur candidat, Hakeem Jeffries. Il obtient 212 voix à chaque scrutin, un résultat purement symbolique, puisque les démocrates sont minoritaires.
Mais imaginez, avec la fatigue qui s’installe au sein de la Chambre, ce qui pourrait arriver si certains républicains décidaient de s’abstenir, sans trop faire attention au calcul : ils pourraient très bien se retrouver à laisser M. Jeffries l'emporter, sans le faire exprès. Celui-ci pourrait être élu avec ses 212 voix et diriger une Chambre majoritairement républicaine. Ce serait évidemment très surprenant, mais au point où on en est…
Democracy is messy
, entend-on souvent ces jours-ci à Washington. La démocratie, c’est parfois le bordel. Surtout quand elle est menacée, se rappellent ceux qui ont fait face à la foule qui voulait prendre d’assaut ce fameux Capitole. Deux ans déjà, et voyez où les Américains en sont aujourd’hui, avec cette mutinerie républicaine qui paralyse tout.