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L’héritage du parler populaire beauceron

Un parler populaire régional aux influences autochtones, françaises, allemandes, irlandaises, acadiennes et américaines, teintées des régionalismes de partout au Québec. Un heureux mélange du parler des gens qui ont vécu sur le territoire.

Photo noir et blanc. Des hommes se tiennent debout devant un boeuf qui tire une charrette sur une route de terre. On voit en arrière-plan une maison et une grange.

La construction de la route nationale entre Lévis et Jackman aux États-Unis entre 1910 et 1911

Photo : Gracieuseté : Société du patrimoine des Beaucerons - Fonds PR067 Guy Mercier

Les Fêtes, c’est un temps de réjouissance où le parler populaire beauceron s’invite dans les chaumières des jarrets noirs. Retour sur ces mots, ces expressions et cet accent, parfois très fort chez certains, qui refusent de mourir.

Un homme assis dans un fauteuil devant une bibliothèque où on aperçoit un livre, Le parler populaire de la Beauce.

Maurice Lorent a été professeur de langue et de littérature française au Séminaire de Saint-Georges et au Cégep Beauce-Appalaches.

Photo : Radio-Canada

Le parler populaire de la Beauce s'enracine dans l'histoire, dans la géographie de la Beauce et il est le reflet de son peuplement, résume Maurice Lorent, ancien professeur de littérature du Séminaire de Saint-Georges.

« Une langue, ça fixe les traditions, ça décrit le mode de vie. »

— Une citation de  Maurice Lorent, auteur du livre Le parler populaire de Beauce

Il connaît bien son sujet. En 1977, il publie l'ouvrage Le parler populaire de la Beauce après avoir mené plusieurs entrevues avec des Beaucerons, un devoir de mémoire pour l’auteur.

Un livre dans une bibliothèque.

Le livre « Le parler populaire de la Beauce » a été publié en 1977 avant d'être réédité en 2021. L'auteur Maurice Lorent a été inspiré par ce « devoir de mémoire ».

Photo : Radio-Canada

Les antiquités lexicales beauceronnes sont nombreuses, comme pépine pour désigner une excavatrice ou les expressions un mangeux de balustre pour qualifier une personne trop bigote ou un grugeux de brassière pour parler de la forte libido d’un individu. Son livre répertorie plus de 1000 mots et expressions.

La palatalisation et l’aspiration

Pour l'auteur, les grandes différences entre le parler beauceron et le parler français québécois sont dans la phonétique avec les éléments de palatalisation et d’aspiration. Pour la palatalisation, comme il l'a écrit dans son livre, les [tj] se change en [tʃj] comme dans l’exemple une culotte, une tchulotte et les [dj] se changent en [dʒj] comme dans l’exemple un hibou, un djibou.

Pour l’aspiration, les g et les j sont remplacés par un h aspiré comme dans l’exemple de la ville de Saint-Georges, qui est souvent entendue comme Saint-Heorges.

L’aspiration vient sans doute d’une région de la France qui est située entre Nantes et Bordeaux, qui regroupe la Vendée, les Charentes et la Saintonge. Il y avait un certain nombre d'immigrants qui venaient de ce territoire, explique Maurice Lorent, qui mentionne aussi la proximité avec le Maine où, en anglais, il y a un phénomène d’aspiration.

Une carte de la France avec des points rouges où sont indiquées les villes de Bordeaux et de Nantes. Un point noir indique Paris.

Selon Maurice Lorent, le trait phonétique de l'aspiration, très répandu en Beauce, est d'origine française, d'une région entre Nantes et Bordeaux, soit les régions de Saintonge, la Vendée et les Charentes. « Il y avait un certain nombre d'immigrants qui venaient de ce territoire. »

Photo : Radio-Canada

L’influence des Américains

La Beauce, c’est une région qui a été longtemps isolée. À cause des distances, les gens ont adopté des formes de langage, des façons de prononcer qui leur sont un peu particulières, note Paul-André Bernard, président de la Société du patrimoine des Beaucerons.

Photo en noir et blanc. Des hommes debout et assis autour d'une table.

Des hommes dans un chantier de bûcherons

Photo : Gracieuseté : Société du patrimoine des Beaucerons - Fonds PR129 Collection Claude Loubier

La proximité de la Beauce avec les États-Unis a eu une grande influence sur le parler beauceron. Beaucoup d'hommes allaient travailler dans les camps de bûcherons aux États-Unis. Si bien que le vocabulaire qu’on y utilisait était anglais.

« Avec leurs oreilles de francophone, l’anglais s’est francisé en quelque sorte. »

— Une citation de  Paul-André Bernard, président de la Société du patrimoine des Beaucerons

Des mots comme notcher, faire une marque dans un arbre, grober, couper les racines des souches, sont apparus dans le parler populaire. Mais il ne faut pas penser qu’il y a tant de particularités absolument beauceronnes. C’est un vocabulaire qui s’est répandu à travers le Québec.

Une femme et un homme tiennent dans leurs mains des photos historiques de la Beauce. Des boîtes ouvertes se trouvent devant eux.

Une panoplie de trésors beaucerons se trouve dans les locaux de la Société du patrimoine des Beaucerons de Saint-Joseph-de-Beauce. Andréanne Couture est directrice archiviste et Paul-André Bernard est président.

Photo : Radio-Canada / Philippe Grenier

Les arts et le parler beauceron

C’est d’ailleurs à la frontière des États-Unis qu’Harold Gilbert a campé l’action de sa prochaine pièce de théâtre La bête d’Armstrong, qui sera présentée avec les étudiants du Cégep Beauce-Appalaches en mars. On est en 1927, il faut l’entendre. Répétition entre deux acteurs : Hoséphine (Joséphine) Patchette (Paquette) vient de mourir, pis (et) monsieur le comte a rjien (rien) faite.

Un homme sur scène donne des instructions à quatre acteurs qui l'écoutent attentivement.

Depuis 35 ans, Harold Gilbert, metteur en scène de la troupe de théâtre l’Épisode du Cégep Beauce-Appalaches, a écrit plus de 40 pièces en plus d'en mettre en scène près de 75. On le voit donner des instructions aux étudiants acteurs de la pièce de théâtre « La bête d'Armstong », qui sera présentée en mars 2023.

Photo : Radio-Canada / Philippe Grenier

C'est de faire en sorte d’avoir cet accent-là, et d'être capable de faire passer des émotions dramatiques. Je dis aux étudiants, il ne faut pas que les gens dans la salle rient de l'accent. Au début, il va y avoir quelque chose, mais à un moment donné, ça va être assimilé, explique l’auteur et metteur en scène, qui donne une base de parler beauceron à ses acteurs pendant les répétitions.

Bien connu des Beaucerons, le chanteur de Saint-Robert-Bellarmin, Antonio Tonio Lachance chante le parler beauceron depuis des décennies. On a certaines expressions que d'autres n'ont pas. À Montréal, ils nous disent : "Ça fait-tu longtemps que t'es dans le bout?" Nous, on dit : "Fais-tu longtemps que té par icitte?" Nous autres, on se comprend.

Un homme assis à une table avec sa guitare et portant un chapeau de cowboy regarde des feuilles.

Antonio « Tonio » Lachance a composé une cinquantaine de chansons.

Photo : Radio-Canada / Philippe Grenier

Son plus grand succès est Guy chauffe la truie, une truie, c’est une truie, c’est un poêle pour chauffer, lance le sympathique gaillard de 73 ans, un fier [h]arret noir – et non un jarret noir.

« Je dis souvent, je vais mourir, mais mes chansons, elles vont rester. »

— Une citation de  Antonio « Tonio » Lachance, auteur-compositeur-interprète
Un homme avec son chapeau de cowboy tient une valise ouverte avec à l'intérieur des CD et des DVD.

Le chanteur de Saint-Robert-Bellarmin, Antonio « Tonio » Lachance vend encore des CD et des DVD de ses chansons.

Photo : Radio-Canada / Philippe Grenier

Une adaptation pour les nouveaux arrivants

La pénurie de main-d'œuvre en Beauce fait en sorte que la région attire de plus en plus de travailleurs immigrants. Maritie Géraldine Bloquet est arrivée de l'île Maurice au mois de juin 2021. Elle a dû trimer dur comme plusieurs nouveaux arrivants pour comprendre le parler beauceron. Mais qu’est-ce qu’ils disent, bon Dieu!, lance-t-elle tout sourire.

Une femme avec son manteau debout dans un paysage d'hiver.

Maritie Géraldine Bloquet est arrivée à Saint-Joseph-de-Beauce en juin 2021. Originaire de l'île Maurice, elle lance de plus en plus d'expressions beauceronnes aux gens qui la côtoient.

Photo : Radio-Canada / Philippe Grenier

Elle a fait rapidement des liens avec le parler français de son pays d’origine. Le mot asteur, c’est je viens te chercher maintenant, c’est la même chose pour nous. Asteur, ça veut dire maintenant.

Elle se surprend à utiliser de plus en plus d’expressions beauceronnes. Je ne me vois pas aller ailleurs, je retrouve un peu le rythme de l'île Maurice dans la Beauce, lent et calme, conclut la secrétaire du Centre d’aide pour les personnes immigrantes et leurs familles (CAPIF).

Paul-André Bernard a même un conseil pour tous ceux qui veulent garder ce parler régional bien présent. Si vos grands-parents ont dit des choses qui détonnent et qui datent d’autrefois, eh bien, gardez ce mot et utilisez-le de temps en temps, c’est une façon de conserver la tradition.

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