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Retour sur la course pour sceller un accord historique sur la biodiversité

Entre optimisme prudent et inquiétudes, les dernières heures qui ont mené à l'adoption du cadre mondial sur la biodiversité à la COP15 ont démontré le défi de concilier les intérêts des pays du Nord et du Sud. Incursion.

La ministre de l'Environnement et vice-première ministre de la République démocratique du Congo, Eve Bazaiba Masudi, serre la main de son homologue chinois, Huang Runqiu.

La ministre de l'Environnement et vice-première ministre de la République démocratique du Congo, Eve Bazaiba Masudi, serre la main de son homologue chinois, Huang Runqiu.

Photo : La Presse canadienne / Paul Chiasson

Les cris de victoire ont rompu la tranquillité du hall du Palais des congrès de Montréal. L’Argentin Gonzalo Montiel venait de marquer le but gagnant de la Coupe du monde de soccer, déclenchant les applaudissements des spectateurs. Des délégués, membres d’ONG et des médias avaient délaissé les salles de conférence pour se masser devant le match diffusé dans un café.

À l’étage du dessus, on en était encore à passer au peigne fin le texte présenté en matinée, les journalistes accrochant au passage ceux qui pourraient les aiguiller sur l’élément manquant ou la formulation tronquée.

C’est qu’au moment où l'Albiceleste était sacrée championne au Qatar, une page d’histoire s’écrivait à la COP15. L’ébauche du cadre mondial sur la biodiversité, qu’il fallait encore peaufiner, était appelée à devenir le texte de référence pour la préservation de la nature : une pièce maîtresse à l’image de l’Accord de Paris.

Élaboré par plus de 190 pays participants, ce document rassemble les actions à mettre en œuvre pour interrompre et inverser le déclin sans précédent de la biodiversité d'ici 2030. Et à préparer le terrain pour que nos modes de vie s'harmonisent avec la nature à l'horizon 2050.

Il s'agit de l’aboutissement de quatre ans de pourparlers, dont les principaux points faisant dissension ont été débattus ces deux dernières semaines à Montréal.

Des dizaines de groupes se sont formés pour tenter de trouver un terrain d’entente et de purger le texte des centaines de brackets, ces crochets désignant le désaccord des négociateurs. Une cible abstraite ou chiffrée, ou bien un choix de mot jugé imprécis ou trop contraignant, sont autant de points sur lesquels les délégués ont dû trancher lors de séances les confinant à leurs sièges pendant plusieurs heures.

Dans le brouillon de 13 pages déposé en matinée par le président de la COP15, le ministre chinois de l'Environnement Huang Runqiu, le fruit de ces négociations portait un nouveau nom : le cadre mondial pour la biodiversité Kunming-Montréal. Une façon d'honorer à la fois la ville où ces pourparlers de la dernière chance pour la biodiversité devaient avoir lieu avant que la crise sanitaire ne s'en mêle, et celle qui a accueilli la conférence au pied levé.

L'analyse

À la première lecture du texte, les organisations écologistes ont souligné le travail d’équilibriste réalisé par la présidence chinoise, qui semblait avoir appelé au compromis les nations les plus aux antipodes. Un consensus semblait même avoir été trouvé sur des questions où Pékin se montrait frileux, s’étonnait-on.

Qu’avait-on sous les yeux? Un texte qui pouvait nous faire oublier le bilan d’échec laissé en héritage par les objectifs d’Aichi – des cibles pour la plupart ratées qui devaient pourtant dicter l’action internationale en matière de biodiversité de 2011 à 2020. C’est du moins l’impression qu’en avait Eddy Perez, directeur de la diplomatie climatique internationale au Réseau action climat Canada.

Le document soumis par la présidence de la COP15 représentait, selon lui, un pas énorme dans la bonne direction.

Les journalistes du monde entier écoutent une conférence de presse.

Une conférence de presse organisée la veille de l'accord par la présidence de la COP15 et le secrétariat de la Convention sur la diversité biologique.

Photo : UN Biodiversity / ERIC G. GAGNON

Parmi les 23 cibles du texte, la mesure phare pour assurer la protection de 30 % des aires terrestres et maritimes avait été préservée, malgré ceux qui avaient remis en question son ambition.

Sur la délicate question du financement où s'opposaient les pays du Nord et du Sud, on en était arrivé à une proposition qui saurait peut-être contenter tout le monde. Un juste milieu entre ceux qui plaidaient pour la création d'un nouveau fonds pour la biodiversité destiné à combler le fossé de 700 milliards de dollars américains par an, et ceux qui souhaitaient plutôt renforcer des mécanismes déjà existants pour faciliter l'accès aux ressources financières.

D'autres passages faisaient toutefois tiquer des membres de la société civile. Pourquoi n'appelait-on pas à endiguer l'extinction des espèces induites par les activités humaines d'ici 2030? Était-il juste de parler de réduction des risques associés aux pesticides plutôt que de leur quantité?

Le consensus?

Pendant qu'on cherchait des réponses à ces questions, des négociateurs et ministres de l’Environnement des 196 membres de la Convention sur la diversité biologique (CBD) étaient réunis à huis clos pour discuter de la proposition.

Afin de jauger de la réussite ou de l’échec de ce texte, il fallait prendre le pouls des chefs de délégation. Rassemblés près des portes de la salle de conférence, c'est ce qu'attendaient les journalistes.

Alertés par des applaudissements qui signalaient peut-être la fin des pourparlers, ceux-ci préparaient micros et caméras quand s'est présenté à eux le commissaire européen de l'Environnement, le Lituanien Virginijus Sinkevičius.

C'est une base solide sur laquelle on peut travailler, a lancé le représentant de l'Union européenne, opposée à la création d'un nouveau fonds pour la biodiversité. Quelques lacunes demeuraient sur la question de la mobilisation des ressources, mais les parties semblaient, selon lui, sur la bonne voie pour finaliser l'accord.

Susana Muhamad écoute la question d'un journaliste lors d'une mêlée de presse.

La ministre colombienne de l'Environnement et du Développement durable, Susana Muhamad, a assuré que son pays avait joué un rôle de médiateur tout au long des négociations.

Photo : afp via getty images / ANDREJ IVANOV

À peine finissait-il de livrer ses impressions que la foule se resserrait autour de la ministre colombienne de l'Environnement, Susana Muhamad, tout juste sortie de la salle. Réputée pour être une véritable médiatrice tout au long des négociations, la Colombie accueillait favorablement la proposition de la Chine pour remédier aux problèmes de financement.

Les parties devaient toutefois s'accorder une nouvelle séance de discussions, estimait-elle, pour que l'on puisse garantir des ressources à la hauteur des ambitions.

Quelques minutes plus tard, le ministre canadien de l'Environnement et du Changement climatique, Steven Guilbeault, saluait à son tour la qualité du texte. Plusieurs pays ont même proposé de l'adopter tel quel, soulignait-il. Du jamais-vu pour le ministre, qui compte à son actif plus de 20 Conférences des parties (COP).

Des gens se parlent dans un corridor du Palais des congrès.

Des gens discutent dans un corridor du Palais des congrès.

Photo : UN Biodiversity / Eva Blue

D'un optimisme prudent, les réactions allaient néanmoins dans le même sens : le texte proposé, quoiqu'imparfait, semblait se révéler satisfaisant. En marge des points de presse, la rumeur courait qu'on n'y passerait pas la nuit.

Les choses avancent rapidement, nous signalait-on. Sans créer d'attentes irréalistes, nous ne pouvons pas exclure qu'il y ait un accord final ce soir. Si j'étais vous, je resterais sur place.

Le blocage

Dans l'angle mort des caméras, l'ébauche du cadre mondial divisait en réalité les pays du Sud.

À l'instar de la Colombie, le Mexique, le Pérou, le Chili et le Costa Rica ne souhaitaient pas rouvrir le texte, mais d'autres nations n'y trouvaient pas leur compte. La République démocratique du Congo, l'Argentine, l'Inde, la Bolivie et l'Indonésie sont mécontentes, expliquait à voix basse un directeur de campagne de l'ONG Avaaz.

En contact, notamment, avec des partenaires européens, le ministre Guilbeault tentait de son côté de dénouer l'impasse.

Pendant que s'accélérait le sprint pour convaincre les nations les plus réticentes du bien-fondé du texte, la séance plénière devant mener à l'adoption du cadre mondial était repoussée d'heure en heure.

Un homme portant un masque de tissu et un autre homme sans masque regardent dans la même direction.

Le ministre Steven Guilbeault s'entretient avec le ministre de l'Environnement et de l'Énergie du Costa Rica, Franz Tattenbach-Capra, avant l'ouverture de la plénière.

Photo : afp via getty images / ANDREJ IVANOV

Conviées dans l'immense salle de plénière vers 21 h 30, des centaines de personnes prenaient leur mal en patience, en assommant de textos ceux qui pourraient leur indiquer où en étaient les pourparlers. Le temps passait, et la scène où devaient prendre place la présidence de la COP et le secrétariat de la CBD demeurait vide.

Une fois franchi le cap de minuit, l'espoir s'était amenuisé. Des sources indiquaient à Radio-Canada que les discussions bloquaient après que la République démocratique du Congo (RDC) eut poussé pour l'augmentation du financement alloué aux pays en développement.

Alors que s'étirait la file du café, certains préféraient partir à la recherche d'un coin tranquille pour somnoler. D'autres arpentaient les étages du Palais des congrès.

Croisés dans un corridor, Basile Van Havre, coprésident du groupe de travail sur le cadre mondial de la biodiversité, et Hugo Schally, conseiller pour l'Union européenne, haussaient les épaules en réponse à nos questionnements. Je suis de moins en moins confiant, lançait ce dernier, un sourire résigné aux lèvres.

Une personne assoupie sur son bureau.

La plénière tant attendue dimanche soir à la COP15 a été repoussée à plusieurs reprises, avant de débuter vers 3 h du matin, lundi.

Photo : Radio-Canada

Cinq heures après le rendez-vous annoncé, la promesse d'une arrivée imminente est toutefois venue fouetter les troupes, forçant les uns et les autres à secouer leurs collègues assoupis, à rappeler ceux qui étaient partis.

Peu avant 3 h du matin, la séance débutait enfin.

La fronde

Rapidement, la République démocratique du Congo a confirmé les échos qui circulaient à son sujet : la question de la mobilisation des ressources lui posaient problème, tant et si bien que le pays ne pouvait donner son aval au texte.

Bien qu'elle soit l'une des nations les plus pauvres du globe, la RDC compte sur son territoire la deuxième forêt tropicale du monde dans le bassin du Congo, un important puits de carbone menacé par la déforestation. Le pays est fortement préoccupé par le sort de la biodiversité, a fait valoir son représentant.

Mais la RDC était dans l'incapacité d'appuyer l'adoption du cadre mondial [...] dans son état actuel, a asséné son négociateur, Daniel Mukubi Kikuni. En l'absence de consensus, arguait-il, il recommandait du même souffle de remettre entre crochets l'intégralité du document. Une proposition accueillie par de timides exclamations.

Un homme qui porte un casque d'écoute lève le doigt à hauteur du visage alors qu'il prend la parole.

Le représentant de la République démocratique du Congo, Daniel Mukubi Kikuni, s'est d'emblée opposé au texte, insatisfait de la proposition faite au chapitre du financement.

Photo : UN Biodiversity / JULIAN HABER

Succédant à la RDC, le Mexique a d'emblée soutenu la présidence et le document proposé. Nous lançons un appel au bon sens et à la souplesse, a plaidé sa représentante, dont l'intervention a provoqué un tonnerre d'applaudissements.

« Il n'y aura jamais de texte parfait. La perfection est l'ennemie du bien. »

— Une citation de  Représentante du Mexique à la plénière de la COP15

Après avoir consulté ses pairs, le ministre chinois Huang Runqiu a alors proposé l'adoption de l'ensemble des documents. Pas d'objection? Adopté!, s'est-il empressé de déclarer, en appuyant sa décision du coup de marteau symbolique.

Bien qu'acclamée par la foule, cette décision revenait à balayer du revers de la main l'opposition de la RDC.

Un homme en complet lève un petit marteau avant de le frapper contre la table.

Le président de la COP15, le ministre chinois de l'Environnement Huang Runqiu, officialise l'adoption du cadre d'un coup de marteau.

Photo : UN Biodiversity / JULIAN HABER

En opérant de la sorte, la présidence chinoise a commis ni plus ni moins qu'un passage en force, a dénoncé le représentant du Cameroun, qui y a vu une entorse à la procédure. Quelques interventions plus tard, c'était au tour de l'Ouganda de qualifier l'attitude chinoise de coup d'État, alors que le temps avait manqué aux parties pour prendre connaissance du texte.

Sans opposition formelle, a toutefois précisé le conseiller juridique de la CBD, l'adoption du cadre s'était faite dans les règles de l'art.

Exprimant sa sympathie pour son homologue congolais, le représentant de la Namibie, le négociateur Pierre du Plessis, a tenu à rappeler que les violences du colonialisme [étaient] à l'origine de tous les problèmes rencontrés dans cette convention et dans la relation entre l'humanité et la biodiversité.

Un homme portant la barbe parle au micro, l'air sérieux.

Le négociateur Pierre du Plessis, qui représentait la Namibie à la COP15, a déploré que le discours narratif qui oppose pays en développement et pays développés ait depuis longtemps entaché les négociations de la Convention sur la diversité biologique.

Photo : UN Biodiversity / ERIC G. GAGNON

Si les pays veulent vivre en harmonie avec la nature, comme il est inscrit dans le cadre mondial pour la biodiversité, il faudra en outre cesser d'opposer les pays développés aux pays en développement; un narratif [...] qui a entaché les consultations [de la CBD] depuis tant d'années, a-t-il ajouté.

L'adoption de ce cadre, a-t-il conclu, n'est pas la fin du voyage.

L'après

Salué de toutes parts, l'accord jugé historique auquel en sont arrivées les parties pour sauver la biodiversité s'est officiellement conclu mardi matin, au terme de 13 jours de négociations.

À l'image des pays qui ont su mettre de l'eau dans leur vin, le Canada et la Chine, dont les relations n'étaient pas au beau fixe, ont fait fi de leurs différends diplomatiques pour mener à bien cette COP15, selon le ministre Guilbeault.

Ce que nous avons accompli est en quelque sorte le reflet du chemin parcouru par nos deux pays au cours des derniers mois, a-t-il déclaré. Des ponts pourraient être à nouveau bâtis entre Ottawa et Pékin, a-t-il avancé.

Steven Guilbeault applaudit.

Le ministre canadien Steven Guilbeault, assis à la première rangée de la salle de plénière, aux côtés du représentant camerounais.

Photo : UN Biodiversity / ERIC G. GAGNON

Dans une scène inattendue au lendemain de la plénière, lundi soir, le président de la COP15 s'est avancé vers la ministre de l'Environnement de la RDC, Eve Bazaiba Masudi, pour lui serrer la main devant tous les délégués.

Peu de temps après, la ministre congolaise félicitait M. Huang pour l'adoption du cadre mondial sur la biodiversité, l'appelant toutefois à rendre compte de ses réserves dans le rapport final.

Jusqu'à la COP16, a-t-elle déclaré, nous osons croire que nous serons entendus.

Avec des informations d'Étienne Leblanc et d'Elisa Serret

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