La santé reléguée au second plan à la COP15 sur la biodiversité

Les délégués réunis à la COP15 à Montréal doivent aboutir à un accord sur la biodiversité en début de semaine.
Photo : afp via getty images / ANDREJ IVANOV
Dans l'ombre des débats sur le financement à la COP15, des experts de la santé déplorent que la corrélation entre la protection de la biodiversité et les bienfaits pour la santé humaine soit trop peu abordée lors des négociations.
Au moment où les délégués sont plongés dans le dernier blitz de négociations du cadre mondial sur la biodiversité, une coalition de pays a proposé jeudi dernier l'ajout d'une mention qui met l'accent sur le lien entre la nature et la santé. Le texte débattu ces derniers jours à Montréal est appelé à devenir l'accord de référence pour la biodiversité dans les prochaines années.
Certains participants ont plaidé pour l'ajout d'une nouvelle cible spécifique pour la santé, mais faute de temps pour en débattre, les discussions risquent d'aboutir, au mieux, à l'inclusion d'un libellé dans le préambule du cadre mondial.
Plus qu'une simple reconnaissance, ce serait pourtant intéressant d'en faire l'un des objectifs du cadre pour être capable de suivre son application
, estime la Dre Claudel Pétrin-Desrosiers, médecin de famille et présidente de l'Association québécoise des médecins pour l'environnement.
« Je pense que c’est absolument nécessaire que le lien entre la santé humaine et la biodiversité s’illustre de façon explicite dans le texte. »
Selon Omnia El-Omrani, envoyée de la jeunesse pour la COP27 et médecin-résidente au Caire, les pays ne s'entendent pas sur le concept d'une seule santé
, pourtant reconnu par la Convention sur la diversité biologique. Cette approche reconnaît l'interdépendance entre la santé humaine, la santé animale et la santé des écosystèmes où êtres humains et animaux coexistent.
Mme Omrani, qui a suivi l'évolution des discussions, déplore l'absence de progrès sur cette question. Les débats sur la santé, prévus pour la première semaine de la COP15, ont été repoussés jusqu'aux derniers jours de négociations, dit-elle.
Un rôle à reconnaître
Quoique mentionné dans les premières versions du cadre mondial, le lien entre la biodiversité et la santé se trouve dilué dans les nombreuses mesures. Et le rôle des spécialistes de la santé est à peine évoqué.
Dans un article publié en novembre dernier, la Dre Melissa Lem lançait un appel à l'intégration du secteur de la santé dans le cadre mondial. On y énumère une liste de différents acteurs clés, comme les entreprises, le monde universitaire, les peuples autochtones, les femmes... mais le secteur de la santé n'y figure pas du tout!
s'étonne-t-elle.
C'est choquant quand on pense à l'impact que la biodiversité a sur notre santé
, ajoute la Dre Lem, qui préside de son côté l'Association canadienne des médecins pour l'environnement.
La proximité avec la nature, rappelle-t-elle, réduit les risques de maladies, d'hypertension et de détresse psychologique, en plus de diminuer la sensation d'isolement.
« Il faut qu'on mentionne le secteur de la santé parce que nous voulons aider et nous voyons les effets des changements climatiques et de la perte de la biodiversité sur nos patients. »
Préserver la biodiversité pour rester en santé
Depuis le début de la COP15, les discussions ont surtout porté sur la protection du territoire et des animaux, ainsi que sur les ressources à mobiliser pour soutenir les pays en développement, mais la santé a peiné à se tailler une place dans le programme.
Au plus grand étonnement de Cristina Romanelli, directrice du programme conjoint de la CBD
et de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sur la santé et la biodiversité.« Je trouve tout à fait étonnant que la santé ne soit pas un élément central du Cadre mondial de la biodiversité pour l'après-2020. »
J'ai l'impression qu'on a de la difficulté à avoir la conversation sur ce que représente le déclin de la biodiversité pour la santé humaine
, renchérit la Dre Pétrin-Desrosiers.
Lors de conférences données à la COP15 en marge des négociations, des spécialistes ont pourtant insisté sur l'importance d'aborder la crise de la biodiversité à travers le prisme de la santé, notamment en favorisant les solutions fondées sur la nature. Ces actions, qui visent à gérer de manière durable les écosystèmes naturels, permettent à la fois de lutter contre les changements climatiques et d'assurer le bien-être humain.
La proximité des espaces verts, des poches de biodiversité en milieu urbain ont tellement de bénéfices!
lance la Dre Pétrin-Desrosiers, qui cite notamment la réduction de la pollution, des effets de la chaleur, ainsi que l'augmentation du sentiment de collectivité.
Dans les quartiers les plus verts, dit-elle, on voit généralement de plus faibles taux de diabète, de maladies cardiovasculaires, de TDAH et de démence.
À l'heure où le monde entier émerge de la pandémie de COVID-19, les experts de la santé appellent les délégués réunis à Montréal à reconnaître les impacts sur la santé humaine du déclin de la biodiversité et de l'accélération des changements climatiques.
Comme le rappelait la secrétaire de direction de la Convention sur la diversité biologique, Elizabeth Maruma Mrema, à l'aube de la COP15, ces phénomènes augmentent le risque de propagation de maladies infectieuses.
Si on n'en prend pas acte maintenant, prévient Claudel Pétrin-Desrosiers, on ne pourra pas dire qu'on est surpris à la prochaine vague de chaleur, voire à la prochaine pandémie.