Préoccupations autour du travail des adolescents en Outaouais

Le gouvernement du Québec va déposer prochainement un projet de loi pour encadrer le travail des adolescents. Une annonce qui survient alors que les jeunes sont de plus en plus sollicités pour combler la pénurie de main-d'oeuvre. Mathieu Nadon s'est entretenu avec Valérie Boudreau, directrice des services cliniques de Vallée jeunesse Outaouais.
Photo : Radio-Canada
Elle n’a que 16 ans, mais fait déjà trois quarts de travail par semaine dans un restaurant de Gatineau. Castie Florvenscia Florvilus est en cinquième secondaire. Elle estime qu’elle n’a pas le choix de travailler, car elle attend un enfant.
Quand je finis à 23 h, me réveiller le matin, c’est difficile
, affirme la jeune élève en entrevue à proximité de son école secondaire. Sans compter qu’elle trouve le salaire minimum, ce qu’elle gagne, insuffisant pour répondre à ses besoins.
Moi, j’ai 16 ans et je suis enceinte. C’est déjà difficile de me lever le matin. Travailler, ça ne m’aide pas
, ajoute-t-elle. Je dois avoir de l’argent pour mon futur bébé.
Concilier cet horaire de travail avec des études n’est pas de tout repos, reconnaît-elle.
Il y a des examens que je n’ai pas passés parce que je n’ai pas le temps de réviser. Il y a des fois où je ne suis pas allée à l’école parce que j’étais fatiguée, je ne me sentais pas bien. En plus, il y a les nausées qui commencent
, conclut Mme Florvilus.
Encadrement nécessaire, selon le CJEO
Dans la foulée de l’annonce du gouvernement québécois, qui souhaite légiférer pour encadrer le travail des enfants, plusieurs intervenants en Outaouais poussent un soupir de soulagement.
Il faut s’assurer de prioriser la réussite éducative des jeunes et non pas seulement valoriser à outrance le travail
, lance d’emblée Josée Cousineau, directrice générale du Carrefour jeunesse emploi de l’Outaouais (CJEO), qui se dit préoccupée par l’augmentation du nombre de jeunes au travail.
Le nombre d’accidents de travail chez les jeunes de moins de 16 ans a effectivement bondi de 36 %, en 2021. De plus, 22 % des jeunes du secondaire ont un employeur, et on voit même des enfants de 11 ans travailler dans des restaurants.
« On sait ce que ça exige d’être travailleur. On sait ce que ça a comme impact sur notre niveau d’énergie et sur nos responsabilités. »
Pour elle, avoir une expérience de travail aussi tôt dans la vie est une arme à double tranchant.
Aujourd’hui, les employeurs sont prêts à payer bien au-delà du salaire minimum pour attirer de la main-d'œuvre. [...] C'est là, le problème : vouloir travailler et éventuellement y prendre suffisamment goût pour laisser aller l’école et se dire qu’on y retournera plus tard
, poursuit l’intervenante.
Si Mme Cousineau salue l’intention gouvernementale de légiférer sur cette question, elle croit néanmoins que la question du travail des enfants relève d’une responsabilité collective.
Les parents ont un rôle à jouer, les employeurs ont un rôle à jouer aussi. Les jeunes eux-mêmes doivent se responsabiliser pour imposer leurs limites. Est-ce que les jeunes de 14 ans [...] auront les capacités de négocier avec leur employeur?
Il faut que tout le monde prenne sa part de responsabilité pour que cette nouvelle loi n'empêche pas des jeunes d'accéder à un diplôme et de poursuivre leurs études au cégep et à l’université
, conclut Mme Cousineau.
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Modalités d’application en question
Valérie Boudreau, directrice des services cliniques à Vallée jeunesse Outaouais, un organisme qui aide les jeunes en situation de décrochage scolaire, se montre en accord avec les principes qui sous-tendent une éventuelle législation.
C’est une situation qu’on voit et qui est déplorable. Pour une tranche d’âge, entre 15 et 17 ans, ça peut devenir un choix entre l’école et le travail à temps plein
, souligne cette intervenante.
Cela dit, ce sont les modalités d’application de la loi sur lesquelles elle se questionne, notamment quant au plafond proposé d’heures travaillées.
Est-ce que ce sera appliqué en période estivale? On a [des enfants de] 12 et 13 ans qui vont vivre beaucoup plus de réussites et qui vont aller chercher une autonomie s’ils travaillent à temps plein l’été plutôt que de rester à la maison
, ajoute Mme Boudreau.
On a hâte de voir comment ils vont définir les exceptions
, conclut-elle.
Avec les informations d'Alexandra Angers, de Patrick Foucault et de Rémi Authier