Tensions dans une école secondaire de Trois-Rivières : des élèves accusés de menaces

Des élèves d'une école secondaire de Trois-Rivières ont été accusés de menaces envers une employée de leur école (archives).
Photo : getty images/istockphoto / Freila
La relation entre une éducatrice spécialisée et certains élèves d’une école secondaire de Trois-Rivières est à couteaux tirés. Des élèves ont été arrêtés et accusés de menaces envers l’intervenante. D’autres ont porté plainte à la police contre l’employée pour séquestration et mauvais traitements.
Nous avons modifié les noms de tous les intervenants de ce reportage afin de préserver l’identité des élèves mineurs accusés. Nous évitons également d’identifier l’école pour les mêmes raisons.
L’histoire se déroule dans une classe d’une douzaine d’élèves présentant des troubles psychopathologiques. Ils ont des troubles de l’attention, de l’opposition, de l’hyperactivité ou encore de l’anxiété sociale. Deux intervenantes s’occupent de cette classe au quotidien : une enseignante et une éducatrice spécialisée.
Vers la mi-octobre, des élèves de la classe entretiennent une conversation en ligne au sujet de l’éducatrice. Les parents des élèves à qui nous avons parlé qualifient de séance de défoulement
cette conversation écrite, dans laquelle les jeunes ont tenu des propos qui ont dépassé les limites
.
Selon les parents, les jeunes se plaignent de la façon dont l’éducatrice les traite. Ils imaginent des façons dont ils voudraient se venger.
Toujours selon le récit des parents, un adulte aurait pris connaissance de la conversation écrite et aurait alerté les policiers. Le Service de police de la Ville de Trois-Rivières confirme que deux agents se sont rendus à l’école le 18 octobre et qu’ils ont procédé à l’arrestation de deux élèves. Ceux-ci font face à des accusations de menaces et devront comparaître devant la chambre de la jeunesse.
Les parents s’insurgent
L’intervention policière a été un choc pour plusieurs parents de la classe. Trois mères et leurs enfants se sont confiées à Radio-Canada.
Simone, la mère d’une des élèves arrêtées, jette le blâme sur l’éducatrice spécialisée. À son avis, l'intervenante est responsable de l’escalade de tensions au sein de la classe.
Quand ma fille me rapportait des choses à la maison, comme tout parent, je lui disais : ''Ben voyons, ça ne se peut pas. Elle ne peut pas te dire ça. Elle ne peut pas te crier dessus de même''
, dit-elle.
Sa fille lui a raconté qu’en plus de crier dans la classe, son éducatrice rabaisserait ses élèves et les envoyait souvent dans une salle de retrait lorsqu’ils refusent de lui obéir. L’élève a aussi confirmé ces allégations à Radio-Canada.
Je veux dénoncer, parce que personnellement, je ne pense pas que tout le monde est à sa place dans son corps de métier. Je pense que cette [éducatrice]-là, c'est de l'abus de pouvoir qu'elle fait
, déplore Simone.
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La direction de l’école a refusé de répondre aux questions de Radio-Canada au sujet de la situation qui prévaut dans cette classe. La directrice a nié la version des faits rapportée par les parents, mais n’a pas souhaité donner davantage d’explications par souci de confidentialité.
Je suis préoccupée d'avoir un milieu sain, sécuritaire et bienveillant pour le personnel, et pour les élèves aussi. Si des situations me sont transmises où il y aurait des malaises ou des inquiétudes, vous pouvez être assuré que j'enquête, que je vérifie, que je parle avec mon monde et que je m'assure que ça ne se déroule pas dans mon école
, a-t-elle tenu à mentionner.
Nous avons interpellé l’éducatrice spécialisée pour obtenir sa version des faits, mais nous n’avons pas obtenu de réponse.
Les parents à qui nous avons parlé ne croient pas que l’école a tout fait pour protéger leurs enfants. Comme Simone, Ariane est en colère contre la direction de l’école. Sa fille, Yma, aurait également subi les foudres de l’intervenante. Pendant près d’un an, celle-ci affirme que l’éducatrice l’a envoyée plusieurs fois par semaine dans une salle de retrait sous prétexte qu’elle dérangeait la classe. L’adolescente assure s’être plainte de la situation à plusieurs adultes, dont la directrice de l'école et son adjointe, mais que rien n’a changé.
Elle n'était pas déstabilisée, elle n'était pas une menace pour elle ou une menace pour autrui. C’est pour des conneries qu'elle la mettait là
, fulmine sa mère, qui croit la version des faits de sa fille. Celle-ci qualifie de régime de terreur
l’ambiance au sein du groupe.
La directrice de l’école n’adhère pas à la version des faits de l’adolescente. Cette situation-là n’a pas dû se dérouler de cette façon-là
, dit-elle, réitérant du même souffle sa confiance envers le personnel scolaire. Elle n’a pas souhaité commenter davantage.
Yma affirme quant à elle qu’un jour, lorsqu’elle a tenté de téléphoner à ses parents après une dispute avec l’éducatrice, celle-ci l’a empoignée par le bras avec force.
Ça faisait très mal
, dit l’adolescente.
Comme Ariane et Simone, Nathalie s’interroge sur la capacité de l’éducatrice à éviter l'escalade de tension avec ses élèves. Un élève dont elle a la charge, qui a un trouble de l’opposition et de l’attachement, a affirmé à Radio-Canada s’être retrouvé à de nombreuses reprises et contre son gré dans la salle de retrait. Selon Nathalie, cela n’aurait pour effet que d’exacerber les crises de l’adolescent.
Il a d’ailleurs lui aussi déjà été accusé de proférer des menaces de mort envers l’éducatrice. L’affaire s’est réglée par le recours à des mesures extrajudiciaires et l’adolescent n’a finalement pas été jugé. Pourtant, Nathalie affirme qu’au primaire, la relation du garçon avec ses éducatrices a toujours été beaucoup plus harmonieuse.
Je me pose de sérieuses questions si la classe où il est, elle est adéquate
, dit-elle.
Le président de l’Association des éducatrices et éducateurs spécialisés, Sylvain Ratel, est catégorique : une salle de retrait ne doit être utilisée qu’en dernier recours.
« Ces mesures ne doivent jamais, jamais, être utilisées de façon punitive en réaction à un refus de travailler ou de fonctionner d'un enfant à l'école. Ce n'est pas une punition. »
Les élèves portent plainte à la police
Après l’intervention policière du 18 octobre, des élèves ont à leur tour porté plainte à la police contre l’éducatrice spécialisée. Les filles d'Ariane et de Simone sont du nombre. Elles reprochent à l’éducatrice ses abus verbaux et physiques et l’accusent de séquestrer les jeunes dans la salle de retrait.
En vertu de son protocole, la police de Trois-Rivières ne peut confirmer la réception de plaintes ni l’ouverture d’une enquête.
Ariane espère que la plainte sera retenue.
« Je ne veux plus jamais que ça arrive à un enfant. »
Comme la direction de l’école, le Syndicat du soutien scolaire du Chemin-du-Roy affirme lui aussi ne pas pouvoir commenter ce cas particulier. Sa présidente, Gabrielle Messier, précise toutefois que ses membres rapportent être de plus en plus victimes de violence de la part des élèves.
Crachats, coups, morsures, objets lancés : depuis le début de l’année scolaire, le syndicat a reçu une centaine de rapports d’incidents, dont 72 de nature violente, visant presque exclusivement des éducateurs spécialisés. À titre comparatif, durant l’année scolaire 2019-2020, le syndicat a reçu 163 rapports d’incidents, dont 83 de nature violente.
Quelques jours après l’intervention policière de la mi-octobre, les deux mères ont retiré leurs enfants de la classe. L’une fréquente une autre classe, alors que l’autre a changé d’école.
L'enfant, il est tassé. C'est toujours l'adulte qu'on écoute. On dirait que l'enfant, il n'est pas pris en considération du tout
, regrette Simone.