•  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Dans des écoles, des salles pour calmer utilisées pour punir

Une petite salle aux murs bleus avec un matelas recouvrant une partie du sol.

Plusieurs écoles sont munies de salles de retrait ou d'isolement, utilisées pour calmer des élèves perturbateurs ou en crise.

Photo : Gracieuseté

Certains sont de simples locaux un peu tristes. D’autres ressemblent à des cachots. Ces endroits, appelés salles de retrait ou d’isolement, sont conçus pour accueillir les élèves autistes ou à troubles du comportement. Lorsqu’ils entrent en crise à l’école, ils peuvent s’y rendre pour se calmer. Mais ce ne sont pas tous les élèves qui s’y retrouvent de leur plein gré. Pour certains, ces petites oasis de calme se transforment en prison.

Véronique est encore émotive quand elle parle des premières années de son garçon dans une école primaire de la Mauricie. Nous avons accepté de protéger son identité pour préserver celle de son fils. Elle affirme que pendant trois ans, l’enfant a été retiré de sa classe sur une base quasi quotidienne. On l’envoyait, seul, dans une salle de retrait aménagée près de sa classe.

« Ils ont volé sa vie. Comme un prisonnier. Comme s'il avait fait un crime majeur. »

— Une citation de  Véronique

Son garçon, qui a un trouble du spectre de l’autisme, contrôle difficilement ses émotions. La fin d’une récréation était suffisante pour déclencher une crise : il se couchait par terre et pleurait.

Ce sont des crises qui font du bruit, mais je ne pourrais pas dire que c'est des crises qui sont dangereuses pour lui ou pour quelqu'un d'autre, affirme Véronique.

Pourtant, Véronique raconte que c’est souvent pour cette raison que son fils était envoyé en salle de retrait par les intervenants qui s’occupaient de lui. Selon elle, il pouvait y rester pendant des heures.

Je me suis déjà rendue à l'école à 16 h, et j’ai vu la boîte à lunch sur le bureau. Ça me dit qu'il n'a pas dîné. Les premières années, il portait une couche. Ses besoins étaient faits dans la couche. Elle n’avait pas été changée, raconte-t-elle.

Véronique a accepté de témoigner sous le couvert de l'anonymat

Véronique (nom fictif) est la mère d'un enfant autiste d'âge primaire.

Photo : Radio-Canada

Pendant des années, Véronique a cru que les interventions des professionnels qui travaillaient avec son garçon étaient appropriées. Elle n’avait aucune idée que son fils passait autant de temps en salle de retrait. C’était jusqu’à ce qu’un autre de ses enfants aperçoive des intervenants le transporter par les bras et par les pieds, en pleine crise, vers une salle de retrait où on l’aurait enfermé. C’est à ce moment qu’elle a confronté l’école, questionné son fils et appris la troublante réalité.

« Si je n'avais pas posé autant de questions, je ne l'aurais pas su. »

— Une citation de  Véronique

Aujourd’hui, son fils fréquente une autre classe, avec d’autres intervenants. Au grand soulagement de sa mère, il ne va plus dans la salle de retrait.

Outil de dernier recours

Dans plusieurs écoles primaires et secondaires du Québec, on retrouve ces salles de retrait destinées aux élèves à besoins particuliers. La plupart sont très petites. Dans certaines écoles, elles ont une superficie de quatre mètres carrés. Ailleurs, elles font à peine 1,5 mètre carré.

Certaines sont appelées salles d’apaisement : les lumières y sont tamisées et des fauteuils permettent aux élèves de se détendre. D’autres portent l’étiquette de salles d’isolement : des matelas au sol et des revêtements souples sur les murs empêchent les élèves en crise de s’infliger des blessures.

Une porte métallique laisse entrevoir une petite pièce avec un matelas au sol.

Cette salle d'isolement a été aménagée dans une école primaire de la région de Québec. Les murs sont recouverts d'un revêtement souple.

Photo : Gracieuseté

C'est une salle qui permet de retirer un enfant, un élève, d'une situation anxiogène, difficile, voire même compromettante pour sa sécurité et celle des autres, explique Sylvain Ratel, président de l’Association des éducatrices et éducateurs spécialisés (AEESQ).

À son avis, ces salles peuvent être bénéfiques, mais elles doivent être utilisées dans un contexte bien défini. Une fois calme, l’élève doit être retiré le plus rapidement possible de la salle. Le retrait doit aussi être inscrit dans un plan d’intervention conçu d’un commun accord entre l’école et les parents. L’utilisation de ces locaux devrait être le dernier des derniers recours.

Les salles de retrait sont-elles toujours utilisées à bon escient dans les écoles du Québec? Sylvain Ratel croit que non.

On me dit que, des fois, on y va un peu vite sur le retrait de la classe, admet-il.

Il ajoute que d’autres techniques doivent être privilégiées pour intervenir lorsqu’un élève a un comportement perturbateur en classe. Par exemple, il est parfois préférable de retirer les autres élèves et de laisser l’enfant en crise revenir au calme dans la salle de classe. Pourtant, ce n’est pas toujours ce qui se passe.

Parfois, la tentation peut être grande de tout de suite aller vers cette activité-là parce qu’elle est dans un sens un peu plus simple, très efficace. Mais ce n'est pas toujours souhaitable de ne pas passer par toute la panoplie des autres interventions possibles.

Sylvain Ratel.

Le président de l'AEESQ, Sylvain Ratel, rappelle que les mesures d'isolement et de contention ne doivent être utilisées qu'en tout dernier recours.

Photo : Radio-Canada

C’est aussi ce que remarque Bianca Nugent, présidente de la Coalition des parents d’enfants à besoins particuliers du Québec.

À la lumière de ce que les parents nous rapportent, cette salle-là porte plusieurs noms, mais elle sert malheureusement souvent aux mêmes fins : mettre fin à un comportement considéré comme perturbateur.

Ces salles sont trop souvent utilisées de façon punitive, dit-elle, par des intervenants qui ignorent comment intervenir auprès d’un enfant hors de contrôle ou qui n’écoute pas les consignes des adultes.

À ce sujet, Sylvain Ratel est clair : il s’agit d’une entrave au code de déontologie des éducateurs spécialisés.

« Ces mesures-là ne doivent jamais, jamais être utilisées de façon punitive, en réaction à un refus de travailler ou de fonctionner d'un enfant à l'école. Ce n'est pas une punition. »

— Une citation de  Sylvain Ratel, président de l'AEESQ

J’ai eu l’impression que c’était une punition

L’histoire de Véronique n’est pas unique. Nous avons parlé à plusieurs autres parents dont les enfants à besoins particuliers ont été placés dans une salle de retrait contre leur gré durant leur parcours scolaire. Nous avons aussi modifié leurs noms afin de protéger l’identité des enfants mineurs.

Un jour, en allant chercher son fils à la maternelle, Ève est surprise d’être accueillie par un éducateur spécialisé. Il l’avise que son garçon vient de faire une crise et qu’il ne veut pas sortir de l’école. L’intervenant invite la mère à le suivre pour aller chercher l’enfant. L’éducateur mène Ève jusqu’à un petit local dont elle ignorait alors l’existence. Elle y retrouve son fils assis en boule, en pleurs et en sueur, dans un coin de la pièce.

Une salle d'isolement avec un matelas et un calorifère capitonné.

La salle d'isolement dans laquelle Ève a retrouvé son fils est vide à l'exception d'un matelas au sol.

Photo : Gracieuseté

Il fait sombre dans la pièce. Sur les murs, de la peinture a visiblement été arrachée. À part un matelas et un calorifère capitonné, il n’y a rien à l’intérieur.

C'est une image qui dépasse l'entendement, laisse tomber Ève. C'est très traumatisant de voir son enfant dans une situation comme ça. Je ne pouvais pas imaginer qu'une salle comme celle-là pouvait exister dans le réseau scolaire.

Elle demande pourquoi son fils a été placé dans cette salle. Selon ses dires, l’éducateur bredouille que le garçon était fébrile, qu’il avait passé une mauvaise journée.

À la lueur des explications qu'on m'a données, ce n'était visiblement pas une situation de dangerosité pour lui-même et pour autrui, dit-elle.

« J'ai eu l'impression que c'était une punition, un châtiment. »

— Une citation de  Ève

Atteint d’un trouble de l’attention avec hyperactivité et d’un trouble de l’opposition avec provocation, le fils d’Ève était suivi de près par un intervenant spécialisé de l’école. Ève affirme toutefois qu’elle n’avait jamais donné son autorisation pour que son fils soit envoyé dans une telle salle.

Jugeant que l’école n’offrait pas un accompagnement adéquat à son enfant, Ève a porté plainte au protecteur de l’élève, qui lui a donné raison.

Il appert qu’au début de la présente année scolaire, il y a eu des lacunes dans la continuité des moyens requis pour répondre aux besoins et défis de l’Élève. Il y a également eu des lacunes dans les communications entre l’équipe-école et les parents, conclut le protecteur de l’élève dans son rapport dont nous avons obtenu copie.

Ève a perdu confiance dans le réseau scolaire.

Je demande ni plus ni moins une enquête publique pour répertorier combien d'écoles ont de soi-disant salles d'apaisement, lance-t-elle.

Ils ont brisé sa vie

Julie connaît elle aussi très bien les salles de retrait. Son fils s’y est souvent retrouvé à l’époque où il fréquentait une école primaire de la Mauricie. Il vit avec des troubles importants du comportement. Dès la maternelle, il a été soumis à des contentions physiques et était envoyé en salle de retrait pour se calmer lorsqu’il était en crise. Il n’y restait que quelques minutes, le temps de retrouver son calme.

C’est en troisième année du primaire que les choses ont pris une autre tournure. En janvier, Julie a remarqué que les apprentissages de son fils stagnaient. C’est à ce moment qu’il lui a confié qu’il était envoyé presque tous les jours dans la salle de retrait et qu’il pouvait y rester pendant de longues heures.

Il entrait dans la classe à 8 h 45 le matin et à 9 h, il était rendu dans le local de retrait, dit sa mère.

Anxieux, l’enfant entrait souvent en état de crise. Incapables de le calmer, les intervenants l’envoyaient en salle de retrait, ce qui avait comme effet d’alimenter son anxiété et de briser sa confiance envers les adultes. Sa mère estime que les éducateurs qui s’occupaient de lui n’étaient tout simplement pas assez bien formés pour interagir convenablement avec son fils.

Ils ont brisé la vie de mon garçon, regrette-t-elle.

Des parents laissés dans l’ignorance

Tous les parents à qui nous avons parlé et qui ont connu une mauvaise expérience avec les salles de retrait affirment qu’ils ne sont pas informés systématiquement lorsque leur enfant est retiré de la classe. Ils ne savent pas non plus combien de temps l’isolement a duré.

Véronique déplore le manque de transparence de l’école de son garçon.

Si c'est une mesure d'urgence, le parent doit être contacté directement, croit-elle.

La directrice générale d’Autisme Mauricie, Martine Quessy, reçoit régulièrement des appels de parents d’enfants autistes qui se questionnent sur l’utilisation de ces salles.

« Il y a des enfants qui passent des journées dans ces salles-là, et les parents ne sont même pas au courant. Ils ne savent même pas que ça existe. Ça doit être connu. »

— Une citation de  Martine Quessy, directrice générale, Autisme Mauricie
Martine Quessy

Martine Quessy, présidente d'Autisme Mauricie, intervient régulièrement auprès de parents inquiets de savoir que leurs enfants sont placés en isolement à l'école.

Photo : Radio-Canada / Camille Carpentier

Elle remarque que dans certaines écoles, l’information se limite souvent à un mot griffonné dans l’agenda. Pourtant, souligne-t-elle, la mesure est loin d’être anodine. Un enfant qui se retrouve souvent dans une telle salle contre son gré peut ressentir un sentiment d’abandon qui risque de ternir ses relations avec les adultes.

Si tu te fais constamment renfermer au moment où ça ne va pas bien, comment tu vas pouvoir le dire à une personne? Comment tu vas pouvoir vivre tes émotions adéquatement?, s’interroge-t-elle.

Les cas de violence augmentent

Les syndicats qui défendent les éducateurs spécialisés sont d'avis que les mesures de dernier recours, comme les salles de retrait, sont de plus en plus inévitables. Crachat, morsures, coups, menaces : des cas de violence envers les éducateurs spécialisés sont de plus en plus rapportés dans les écoles.

Par exemple, entre le début de l’année scolaire et la fin novembre, le Syndicat du soutien scolaire du Chemin-du-Roy, en Mauricie, a reçu une centaine de rapports d’incidents, dont 72 de nature violente, visant presque exclusivement des éducateurs spécialisés. À titre comparatif, durant toute l’année scolaire 2019-2020, le syndicat a reçu 163 rapports d’incidents, dont 83 de nature violente.

Mieux protéger les élèves vulnérables

Bianca Nugent estime qu’il y a une absence de balises claires entourant l’utilisation des salles de retrait dans les écoles québécoises. Ce vide laisse place, selon elle, à de l’improvisation et à de possibles dérapages, qui peuvent mener à la violation des droits des enfants.

« C'est une pratique qui est à la limite de l'illégalité. »

— Une citation de  Bianca Nugent, présidente, Coalition des parents d’enfants à besoins particuliers du Québec

Contrairement à l'Alberta, le Québec n'a aucune norme provinciale pour l’utilisation de ces locaux. Chaque école et chaque centre de services scolaire est libre d’établir ses propres balises. Par courriel, le ministère de l’Éducation précise toutefois qu’il collabore à des travaux de la Fédération des centres de services scolaires du Québec et de certains ordres professionnels, qui sont actuellement en cours au sujet de l’utilisation exceptionnelle de mesures de contrôle en milieu scolaire et des mesures préventives à mettre en place en amont de celle-ci.

Pourtant, des balises existent bel et bien, souligne Sylvain Ratel.

« Notre code de déontologie dit que l'obligation d'une éducatrice spécialisée, c'est d'utiliser toute forme d'intervention humainement possible avant d'utiliser une forme de retrait, d'isolement ou de contention quelconque. »

— Une citation de  Sylvain Ratel, président de l'AEESQ

Il ajoute toutefois qu’en raison du manque de main-d'œuvre, les éducateurs spécialisés embauchés par les écoles ne sont pas tous convenablement formés. Questionné à ce sujet, le ministère de l’Éducation répond qu’il ignore combien d’éducateurs spécialisés non diplômés travaillent dans le réseau scolaire, puisque les centres de service scolaire et les établissements privés sont responsables des embauches.

Autre enjeu : il n’existe aucun ordre professionnel pour les éducateurs spécialisés. Ceux-ci n’ont pas l’obligation d’être membres de l’AEESQ. Mis à part les écoles et les centres de services scolaires, aucune instance ne peut donc sanctionner un éducateur dont les pratiques ne sont pas convenables.

C'est quand même incroyable, c'est presque scandaleux que personne ne se laisserait examiner les dents par quelqu'un qui n'est pas membre de son ordre, mais que l'on confie les gens les plus vulnérables de notre société [...] à des gens qui prétendent être ce qu'ils sont, mais ne le sont pas vraiment, illustre-t-il.

« Il n'y a pas que de la malveillance dans notre système scolaire. Il y a des gens qui sont merveilleux, des intervenantes qui font vraiment la part des choses auprès de nos enfants. Par contre, quand on tombe sur une personne malveillante, elle est protégée dans notre système. »

— Une citation de  Martine Quessy, directrice générale, Autisme Mauricie

Martine Quessy exige quant à elle la mise en place d’une vigie.

Il doit y avoir une meilleure protection de nos enfants dans ces salles-là. Si l'éducatrice met l'enfant dans cette pièce-là, ça doit être noté dans un document, croit-elle.

Sylvain Ratel est du même avis. Lorsqu’une crise explose dans une classe, il estime qu’il est d'autant plus important de la documenter.

Ça devrait faire encore plus l'objet d'un suivi avec prise de notes. On doit savoir à quelle heure ça commence, à quelle heure ça finit. Il y a toute une rigueur qui devrait s'appliquer qui, malheureusement, [ne se fait] pas toujours.

Il plaide pour une directive uniforme pour toutes les écoles du Québec, ce qui est inexistant à l’heure actuelle.

Avec la collaboration d’Audrey Paris

Vos commentaires

Veuillez noter que Radio-Canada ne cautionne pas les opinions exprimées. Vos commentaires seront modérés, et publiés s’ils respectent la nétiquette. Bonne discussion !

En cours de chargement...