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Les corridors écologiques, le chaînon manquant dans la protection de la biodiversité

Au Québec, les zones protégées couvrent 17 % du territoire. Mais la plupart des corridors écologiques qui les relient entre elles n'ont pas le statut d'aire protégée. Un non-sens, selon la communauté scientifique.

Kateri Monticone, directrice de programme chez Conservation de la nature Canada et conseillère stratégique pour l’Initiative québécoise Corridors écologiques.

Kateri Monticone dans le parc Alfred-Kelly, dans les Laurentides.

Photo : Vincent Rességuier

En ce début décembre, une fine croûte de neige recouvre les sous-bois du parc Alfred-Kelly, à Prévost, dans les Laurentides.

C’est là que nous a donné rendez-vous Kateri Monticone, directrice de programme chez Conservation de la nature Canada (CNC) et conseillère stratégique pour l’Initiative québécoise Corridors écologiques (IQCE). 

Sur un ton sobre que l'on devine plein de reconnaissance, la biologiste nous raconte que cette réserve privée porte le nom d’un véritable amoureux de la nature : Alfred Kelly. L’ornithologue a légué sa propriété pour assurer, entre autres, la protection des oiseaux.

Le parc est situé en bordure de la ville, à deux pas de l’autoroute 15, et il est accessible au public. La relative quiétude qui règne dans ses falaises escarpées permet désormais la reproduction du faucon pèlerin, une espèce qui est actuellement en phase de rétablissement au Québec.

Il s'agit, selon Mme Monticone, d'un lieu stratégique pour la préservation de la biodiversité dans le sud de la province. Des orignaux, des chevreuils, des coyotes s'arrêtent ici pour trouver refuge avant de poursuivre leur chemin. 

Kateri Monticone, biologiste, directrice de programme chez Conservation de la nature Canada et conseillère stratégique pour l’Initiative québécoise Corridors écologiques, devant un arbre.

Kateri Monticone souligne la présence des pics dans le parc Alfred-Kelly

Photo : Vincent Rességuier

Ce refuge fait partie du corridor écologique entre le parc naturel d'Oka et celui de Mont-Tremblant, qui sont situés à une centaine de kilomètres l'un de l'autre.

« Un corridor écologique, c'est un passage naturel qui permet à la faune de se déplacer, à la flore de se disperser, pour combler leurs besoins essentiels à leur survie. »

— Une citation de  Kateri Monticone, biologiste

Mais ce corridor est avant tout théorique. Dans la réalité, il comprend une véritable mosaïque d'espaces protégés, plus ou moins reliés entre eux.

Avec l’urbanisation, l’agriculture et les industries, les animaux et les plantes en migration trouvent toute une série d'obstacles sur leur route.

Les corridors écologiques comme celui-ci sont pourtant essentiels pour les espèces qui doivent se déplacer sur de grands territoires. Un peu comme les routes ou les autoroutes pour aller à l'épicerie ou aller travailler de façon sécuritaire, la faune et la flore ont également besoin de ces passages, argumente Mme Monticone.

Les corridors écologiques au Québec.
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Les corridors écologiques établis par l'Initiative québécoise Corridors écologiques

Photo : Crédits: IQCÉ

Des liens sont rompus

Or, dans certaines régions du Québec, les liens sont rompus. C’est le cas en Montérégie, où l’enjeu est désormais de restaurer les corridors écologiques.

La région compte une dizaine de collines qui ont, pour plusieurs, le statut d’aire protégée. Sauf que, par exemple, le mont St-Hilaire ou le mont St-Bruno sont isolés l'un de l'autre par le développement urbain et les cultures agricoles.

CNC y constate une érosion de la biodiversité et préconise notamment la création de bandes tampons pour y remédier.

Le mont Saint-Alban, au parc national Forillon.

Le mont Saint-Alban, au parc national Forillon.

Photo : Radio-Canada / Alice Proulx

Autre exemple, le parc national Forillon, en Gaspésie, établi sur une péninsule et dont l'unique lien terrestre est traversé par une route.

Dans ce cas, Conservation de la nature Canada collabore avec les propriétaires, le parc et les gouvernements pour limiter le développement des bâtiments dans les environs de la route afin que la faune puisse traverser en toute tranquillité.

Ailleurs, il a parfois été nécessaire de construire des passages fauniques. Dans le corridor écologique entre Oka et Mont-Tremblant, le tunnel d’Ivry-sur-le-Lac assure un lien sécurisé sous l’autoroute 15. Il est très utilisé par les grands mammifères, mais aussi par les randonneurs.

Passage faunique d’Ivry-sur-le-Lac

Passage faunique d’Ivry-sur-le-Lac dans les Laurentides

Photo : Crédits: IQCÉ

Un casse-tête

Restaurer ou protéger un corridor écologique implique souvent de limiter ou de déplacer les activités humaines.

Quand je parle d'un corridor écologique, je pense à un casse-tête, explique Kateri Monticone. Chaque morceau est tenu par un acteur du territoire.

On doit trouver un moyen pour que chacun puisse poser une pièce sur la table, pour que chacun voie la plus-value et que chacun soit fier de contribuer à la biodiversité, poursuit-elle.

Stéphanie Pellerin, biologiste au Jardin botanique de Montréal.

Stéphanie Pellerin est professeure au Département de sciences biologiques de l'Université de Montréal.

Photo : Vincent Rességuier

Et à ce chapitre, les gouvernements provincial et fédéral pourraient en faire davantage, soutient la biologiste Stéphanie Pellerin, qui nous accueille au Jardin botanique de Montréal. Elle est notamment spécialiste de l’influence des activités humaines sur la biodiversité des écosystèmes.

Elle note qu’il est actuellement très difficile de protéger des habitats partout dans le sud du pays. C’est pourtant là que se trouve la majorité des espèces menacées.

Dans les zones urbanisées, la plupart des habitats naturels ont une superficie réduite. Ils sont fragmentés et souvent en terrain privé.

Mme Pellerin constate que de nombreux organismes sans but lucratif lancent des initiatives pour protéger les écosystèmes, mais qu'au niveau gouvernemental, on sent un peu de réticence.

Kateri Monticone souligne que les corridors écologiques du Québec n'ont pas de statut officiel. Une situation qu'elle souhaiterait voir changer au plus vite car, dit-elle, cela permettrait de protéger leur rôle capital pour la biodiversité, sans toutefois écarter des activités comme l'agriculture et la foresterie.

Et, à ce titre, elle se fait la porte-parole de l’Initiative québécoise Corridors écologiques (IQCE). Le regroupement englobe 10 organismes en environnement et bénéficie du soutien d’une centaine d’experts et de partenaires dans le sud du Québec.

En ouverture de la COP15, le gouvernement Legault s'est engagé à protéger 30 % du territoire d'ici 2030. Mme Monticone voit là une belle occasion d’intégrer les corridors écologiques dans les objectifs officiels de conservation.

Carte de la pointe de Forillon.
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Les secteurs protégés par Conservation de la nature Canada sont des corridors verts situés entre le parc national Forillon et les terres publiques.

Photo : Conservation de la nature Canada

La biodiversité en danger

Lorsqu’on lui demande quel est l’état de la biodiversité dans le sud du Québec, Stéphanie Pellerin répond sans détour : en danger.

La variété des écosystèmes se réduit comme peau de chagrin, précise-t-elle, tout devient pareil, peu importe où on va, c'est toujours les mêmes plantes, c'est ça qui est inquiétant.

Des propos appuyés par un rapport du Conseil canadien pour la conservation des espèces en péril, publié début décembre.

Ce bilan fait état de 20 % des espèces répertoriées comme gravement en péril, en péril ou vulnérables.

Mme Pellerin assure que le chemin le plus court pour remédier à la situation est de protéger les écosystèmes, parce qu’en protégeant les milieux, on protège la vie.

« Il faut sortir du paradigme des espèces en péril. Il faut aller vers la reconnaissance des écosystèmes en péril, des paysages en péril, des environnements en péril et prendre des décisions qui sont très difficiles. »

— Une citation de  Stéphanie Pellerin, biologiste au Jardin botanique de Montréal
Stéphanie Pellerin, professeure au Département de sciences biologiques de l'Université de Montréal.

« L'agriculture est importante, la foresterie est importante, mais ce sont des causes de perte de la biodiversité », rappelle Stéphanie Pellerin.

Photo : Vincent Rességuier

Les activités humaines, principales causes de nuisances

Dans la communauté scientifique, un constat s’impose : les causes de la perte de la biodiversité sont principalement humaines.

La liste des nuisances s’avère longue comme le bras. La pollution atmosphérique, la pollution des sols, l'agriculture, la foresterie, les industries, l’étalement urbain, entre autres, causent un recul de la biodiversité.

Stéphanie Pellerin milite pour que les enjeux économiques soient relayés au second plan, derrière les impératifs environnementaux.

Dans la région de Montréal, par exemple, il reste seulement 6 % des milieux humides, rappelle la biologiste. Selon elle, le développement des activités humaines ne devrait plus être une option, on ne devrait même plus se poser la question.

Quand elle regarde vers l’avenir, Kateri Monticone anticipe qu’avec les changements climatiques, le sud du pays va avoir un rôle déterminant dans la protection de la biodiversité.

Les scientifiques observent une migration de la faune et de la flore d'Amérique vers le nord à cause du réchauffement climatique. Plusieurs espèces semblent se diriger vers le Québec, entre autres.

En Amérique du Nord, le Québec a un rôle à jouer comme refuge climatique, conclut-elle . On se doit d'accueillir cette migration pour assurer la survie de ces espèces. Et, sans surprise, elle pense que cela passe en priorité par des efforts pour préserver les corridors écologiques.

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