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Multiplication des longs délais dans des enquêtes : « On va frapper un mur » - UPAC

En entrevue à Enquête, le commissaire de l’Unité permanente anticorruption soutient que la lutte contre la corruption est compromise si ses enquêtes continuent de s’enliser dans des requêtes interminables devant les tribunaux.

Portrait de Frédérick Gaudreau

Le commissaire de l’UPAC, Frédérick Gaudreau, accorde une entrevue à Marie-Maude Denis à propos des longs délais du système de justice québécois.

Photo : Radio-Canada

Le commissaire Frédérick Gaudreau déplore que, dans une dizaine d’enquêtes d’envergure, il a fallu 1000 jours en moyenne avant que les enquêteurs ne puissent accéder à la preuve saisie lors de perquisitions, notamment parce que le secret professionnel des avocats a été revendiqué.

Frédérick Gaudreau ne conteste absolument pas le secret professionnel des avocats, un fondement de notre système judiciaire.

Mais c’est dans l’application de ce principe que les enquêtes de l’UPAC sont plombées. Selon le commissaire Gaudreau, cela contribue au dysfonctionnement général des tribunaux québécois, dénoncé par plusieurs de ses acteurs dans les dernières semaines.

À un moment donné, il faut bien s'en rendre compte, on va frapper un mur, prévient Frédérick Gaudreau, dans une rare entrevue à l’émission Enquête.

Entrevue avec Frédérick Gaudreau

L’entrevue intégrale avec le commissaire Gaudreau est diffusée à Enquête jeudi à 21 h sur ICI Télé. Il est aussi disponible en rattrapage sur ICI Tou.tv (Nouvelle fenêtre).

L’UPAC a fait l’exercice de compiler les délais entre le jour des perquisitions et le moment où les tribunaux décident quels documents pourront être consultés par les enquêteurs, lorsque le secret professionnel des avocats est invoqué.

Ce processus a pris une moyenne de 1000 jours pour trancher 14 requêtes distinctes, déposées dans le cadre de 8 enquêtes de l’UPAC. En bout de ligne, on ne peut pas travailler les dossiers dans lesquels on a fait une perquisition, déplore Frédérick Gaudreau.

C’est la conséquence de l'arrêt Lavallée rendu par la Cour suprême en 2002 qui établit la procédure pour protéger le secret professionnel de l’avocat dans le cadre d'une perquisition. Dès qu'une partie demande à un tribunal d'appliquer la procédure établie dans l'arrêt Lavallée, les enquêtes policières sont souvent paralysées pendant des années, les tribunaux sont encombrés par les multiples étapes de ces requêtes et des ressources importantes sont mobilisées.

Ce qui a tout changé depuis cette décision de 2002, selon Frédérick Gaudreau, c'est le volume actuel de documents saisis sur support informatique lors de perquisitions. En 2002, c’est un document dans une filière. Aujourd'hui, un téraoctet de données, ce n’est plus rare. Ça représente 6,5 millions de documents papier, ou 1300 classeurs.

Autant de fichiers qui doivent être finement filtrés par un ami de la cour, un avocat neutre, qui doit décider de ce qui est couvert par le secret ou non. D’ailleurs, les amis de la cour, ça ne court pas les rues, explique Frédérick Gaudreau, qui soulève qu’il y a parfois des difficultés pour trouver des avocats qui veulent exécuter ce mandat.

Les conséquences de ces longs délais minent la confiance en l’UPAC, selon le commissaire Gaudreau : Aujourd'hui, ça prend trois ans avant même d'avoir accès aux documents qu'on a perquisitionnés, comment voulez-vous qu’une personne soit incitée à faire une dénonciation?

Frédérick Gaudreau admet que l’UPAC a aussi commis des erreurs et que tous ces délais ne sont pas entièrement attribuables aux suspects des enquêtes. On est (parfois) partis avec beaucoup d'informations qui n'étaient pas nécessaires à notre enquête. Il attribue ce problème à une méconnaissance des supports informatiques.

Portrait de Frédérick Gaudreau.

Frédérick Gaudreau, commissaire UPAC

Photo : Radio-Canada / DANIEL THOMAS

Une justice pour les riches?

L’enlisement des enquêtes de l’UPAC s’explique aussi par l’effet combiné de l’arrêt Jordan et par la congestion des tribunaux. La poursuite tente d’anticiper toutes les requêtes que la défense pourrait présenter avant de déposer des accusations, afin de limiter les risques d’un arrêt de procédures pour délais déraisonnables.

C'est sûr qu'il y a une question fondamentale là-dedans, à savoir : est-ce qu'il y a deux justices? Une justice pour les gens normaux et une justice pour les riches. Moi je ne me prononcerai pas là-dessus. Par contre, c’est une réalité, effectivement, quand tu as les moyens et que tu as du temps, tu peux essayer beaucoup de recours à la cour. On l'a constaté dans certains dossiers.

Est-ce que le secret professionnel des avocats est invoqué de manière abusive pour torpiller les enquêtes de l’UPAC, un pouvoir réservé à ceux qui en ont les moyens? Le commissaire choisit ses mots avec précaution.

Mon impression, c'est que ça peut laisser des fois un petit côté cynique de ma part, de la part de mes coéquipiers qui font les enquêtes en se disant : "Bon, encore une fois, on va soulever le privilège." Puis quand ça arrive, ça va briser le momentum de l'enquête. D’un même souffle, il nuance. N'empêche qu’il faut composer avec cette réalité-là. C'est ça, notre système de justice au Canada.

Frédérick Gaudreau soutient que tous les corps de police sont aux prises avec des enjeux semblables, particulièrement en matière d’enquêtes complexes de crime organisé et de crimes financiers. Il interpelle tant les élus de Québec que d’Ottawa pour qu’ils agissent.

Il faut donner un coup de barre à nos méthodes, à la gestion de ces requêtes-là devant les tribunaux, avant même que ça rentre devant les tribunaux. Il faut s'asseoir avec les législateurs et qu'on soit écoutés, plaide-t-il.

Quelques appels à l’action du commissaire de l’UPAC pour les élus de Québec et d’Ottawa :

  • Créer un organisme indépendant chargé des perquisitions informatiques à l’image du Laboratoire de sciences judiciaires et de médecine légale. Pour éviter toute perception de partialité dans le processus de saisie du matériel informatique.
  • Adopter un protocole standard pour les requêtes portant sur le secret professionnel des avocats. Plutôt que de refaire le débat dans chaque dossier.
  • Réformer les articles du Code criminel du Canada qui portent sur la corruption. Adoptés en 1892, ceux-ci sont archaïques et ne sont plus en phase avec la réalité actuelle des crimes de corruption, estime le commissaire.

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