La crise de l’Université Laurentienne engendrera-t-elle de nouveaux outils législatifs?

Des projets de loi créés à la suite de la crise de l'Université Laurentienne cheminent à la Chambre des communes, au Sénat et à Queen's Park.
Photo : Radio-Canada / Yvon Theriault
« Il ne faut jamais gaspiller une bonne crise ». Ce dicton a été pris à la lettre par plusieurs législateurs après l’annonce de l’insolvabilité de l’Université Laurentienne. Au Sénat, à la Chambre des communes et à Queen’s Park, des projets de loi liés à cette situation inédite poursuivent leur cheminement. D’autres nouveaux outils législatifs pourraient également être explorés.
La sénatrice ontarienne Lucie Moncion se souvient toujours de sa réaction lorsqu’elle a appris en février 2021, que l’Université Laurentienne se plaçait à l’abri de ses créanciers, le tout premier établissement public au pays à prendre cette mesure.
Avant d’être nommée à la chambre haute du Parlement, elle évoluait dans le secteur des institutions financières et connaît [donc] ce qui se passe quand les gens se mettent sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC)
.
Je trouve que c’est un outil qui est très dommageable pour les principales parties prenantes
, explique-t-elle.
Les coupes de programmes et d’emplois survenues en avril 2021 à l’Université Laurentienne lui ont donné raison.
Déjà préoccupée par les défis financiers qu’éprouvent d’autres établissements postsecondaires de langue française au pays comme le Campus Saint-Jean de l’Université de l’Alberta, elle a déposé le projet de loi S-215 (Nouvelle fenêtre) qui empêcherait, s’il était adopté, à tous les collèges et universités publics de se prévaloir de la LACC ainsi que de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité.
Le texte est en train d’être étudié par le comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie.
Et même si l’Université Laurentienne émerge finalement d’une restructuration mouvementée, les signaux d’alarme, eux, se poursuivent, constate la sénatrice, et font en sorte, à son avis, que la loi est très urgente
.
Dans un rapport publié la semaine dernière, la vérificatrice générale de l’Ontario Bonnie Lysyk soulignait la santé financière fragile de l’Université Nipissing de North Bay ainsi qu’une série de lacunes en matière de gouvernance à l’établissement.
« Une des inquiétudes qui est associée au fait que les universités en soient rendues là, c’est qu’il manque peut-être de suivi de la part des gouvernements par rapport à ce qui se fait dans les universités. Dans les institutions financières, la réglementation est importante, [...] et on arrive aux universités, on parle d’indépendance académique. Je comprends l’indépendance académique, mais il y a tout le secteur financier qui est peut-être négligé de la part de nos gouvernements. »
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Imposer des limites aux déficits des universités?
Le président de l’Association des professeures et professeurs de l’Université Laurentienne (APPUL
), Fabrice Colin, abonde dans le même sens que la sénatrice Moncion.La supervision du gouvernement est absolument essentielle
, note-t-il, ajoutant que le gouvernement ontarien, par l’entremise de ses représentants au conseil des gouverneurs de l’Université Laurentienne, a failli à ses obligations de surveillance
.
Dans son rapport d’enquête sur l’Université Laurentienne (Nouvelle fenêtre), Bonnie Lysyk, conclut que les problèmes financiers de l'établissement ont été engendrés en grande partie par des dépenses en immobilisations peu réfléchies
.
Elle recommande au ministère des Collèges et Universités de l’Ontario d’évaluer les avantages du dépôt d’une loi permettant [...] de fixer des limites aux déficits, aux emprunts et aux dépenses d’immobilisations importantes des universités
.
Toutes les provinces canadiennes à part l’Ontario, le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Écosse et le Québec disposent d’un tel outil législatif.
Mais l’Union des associations des professeurs des universités de l’Ontario se veut prudente à ce sujet.
Je pense qu’il est dangereux de penser que la solution réside uniquement dans une supervision accrue du gouvernement. [...] En ajouter pourrait créer un fardeau additionnel au sein d’universités qui sont déjà sous-financées, qui seraient obligées de répondre à tout moment
, explique la présidente de l’organisme Susan Wurtele.
« Les gouvernements ont déjà une certaine supervision. Ils ne s’en sont pas toujours servi à bon escient. [...] On a plutôt besoin que le gouvernement se préoccupe davantage des besoins des universités. »
Elle réclame entre autres une augmentation du financement public des universités.
Questionné sur la possibilité d’une loi qui imposerait des limites aux déficits des universités, le ministère des Collèges et Universités de l’Ontario répond, par l’entremise d’une porte-parole, que pour l’instant, en réponse à la crise de l’Université Laurentienne, il met en place un cadre réglementaire robuste afin d’identifier les établissements qui éprouvent des difficultés financières
.
Cette nouvelle structure réglementaire vise à renforcer la supervision du ministère et à assurer un signalement proactif avant qu’un établissement n’atteigne le point de détresse financière
, écrit dans un courriel Liz Tuomi, porte-parole de la ministre Jill Dunlop.
La députée néo-démocrate de Nickel Belt, France Gélinas, estime toutefois que l’Ontario devrait
se doter d’une loi.
Elle rappelle que Bonnie Lysyk a également recommandé à l'Université Laurentienne plusieurs autres mesures visant à améliorer sa gouvernance, et fait savoir que plusieurs autres universités de la province semblent également vouloir les appliquer.
« Mais de laisser ça à la bonne volonté [des dirigeants actuels], oui, peut-être qu’on va avoir des changements tout de suite, mais dans cinq ans, 10 ans d’ici, est-ce que ces changements-là vont encore être en place? »
Le secret professionnel et l’autorité du vérificateur général
Avec son collègue, le député de Sudbury Jamie West, Mme Gélinas a aussi déposé un projet de loi (Nouvelle fenêtre) visant à renforcer l’autorité de la personne qui occupe le poste de vérificateur général de l’Ontario.
Les deux élus ont pris la décision après que Bonnie Lysyk se soit butée, dans son travail d’enquête, à la résistance de l’Université Laurentienne de lui fournir des documents couverts par le privilège du secret professionnel de l’avocat.
Le projet de loi propose des amendements à la Loi sur le vérificateur général de l’Ontario pour lui garantir à ce dernier l’accès à tous les documents qu’il exige d’une entité sur lequel il enquête même si ces renseignements ou documents sont confidentiels ou assujettis au privilège du secret professionnel de l’avocat
.
Mme Gélinas dit vouloir ainsi faciliter le travail de Mme Lysyk ainsi que ses successeurs d’autant plus que le vérificateur général de l’Ontario est tenu par la loi de ne pas divulguer les renseignements privilégiés qu’il reçoit.
Mme Lysyk attend d’ailleurs une décision de la Cour d’appel de l'Ontario qui doit statuer sur l’autorité que lui confère la loi.
Mais la notion de privilège avocat client est une notion qui est absolument importante et qui doit être absolument protégée
même pour les cas où le client est une institution recevant des fonds publics, note le professeur de droit et de gestion à l’Université d’Ottawa Gilles LeVasseur.
C’est toute une question de bâtir une confiance dans une relation, mais aussi de pouvoir expliquer [à un avocat] ce qui s’est passé selon notre vision des choses, et que ça ne soit pas interprété par quelqu’un d’autre parce qu’on a été capable d’avoir accès à cette conversation-là
, explique-t-il.
« Si on se met à ouvrir ce privilège-là, ça va ouvrir toute une question de savoir la confiance qu’on peut avoir entre deux parties qui essaient de travailler sur un dossier juridique. »
Protection des régimes de retraite
La crise de l’Université Laurentienne avait suscité, au départ, de grandes craintes chez les employés et les retraités de l’établissement, inquiets de perdre leur pension.
Finalement, le plan d’arrangement de l’Université avec ses créanciers des compagnies entériné en octobre assure une protection des régimes de retraite.
Mais le mois dernier, les élus fédéraux ont adopté à l’unanimité le projet de loi C-228 (Nouvelle fenêtre) de la députée conservatrice Marilyn Gladu, qui vise à assurer la protection des régimes de retraite en cas de faillite ou d'insolvabilité d’une entreprise.
Le texte de loi est à l’étude au Sénat.
La députée explique que ce n’est que par coïncidence
que l’adoption de son projet de loi a eu lieu dans le contexte de la crise de l’Université Laurentienne.
Toutefois, les problèmes dévastateurs de l’Université Laurentienne [...] illustrent la nécessité du projet de loi afin de protéger les travailleurs canadiens et la pension qui leur est due
, écrit-elle dans un courriel envoyé à Radio-Canada.
De tels efforts à l’échelle fédérale enchantent la présidente de l’Union des associations des professeurs des universités de l’Ontario, Susan Wurtele, qui salue le dépôt, la semaine dernière à peine à la Chambre des communes, d’un autre projet de loi visant à empêcher les institutions publiques de pouvoir se placer à l’abri de leurs créanciers.
Il ne faut pas gaspiller les leçons que nous avons apprises de cette série d’événements fortement dommageables. C’est exactement ce qui doit arriver
, conclut-elle.