Les liens entre la Caisse de dépôt et Alstom s’invitent au procès sur le tramway

Le groupe Québec mérite mieux réclame un référendum sur le projet de tramway.
Photo : Gracieuseté : Ville de Québec
Les avocats de Québec mérite mieux allèguent que le gouvernement Legault était en conflit d’intérêts quand il a donné son aval au projet de tramway en raison de l’investissement de 4 milliards $ réalisé par la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) dans Alstom, l’entreprise la mieux placée pour obtenir le contrat relativement au matériel roulant du futur réseau de transport.
Le procès intenté par les opposants au projet de tramway contre le gouvernement du Québec et la Ville de Québec s’est ouvert lundi matin au palais de justice de Québec.
Les demandeurs veulent obliger la Municipalité et ses partenaires à considérer d’autres modes de transport moins invasifs
que le tramway. Ils réclament également la tenue d’un référendum sur le projet.
Alstom
Une bonne partie de l'avant-midi a porté sur les liens entre la CDPQ et le géant français du transport ferroviaire Alstom. L’un des avocats du regroupement, Me Guy Bertrand, a fait référence à un article de presse qui n’avait pas été déposé en preuve.
Intitulé « Les Québécois financent le géant Alstom », l’article du journaliste Sylvain Larocque a été publié le 18 février 2020 sur le site du Journal de Montréal.
L’article faisait mention de l’acquisition, par la Caisse, de 18 % des actions d’Alstom au coût de 4 milliards de dollars canadiens.
Après avoir cité l’article, Me Guy Bertrand a fait référence à l’expert en transport Jean-Marc Charoud, qui a été nommé au conseil d'administration de la Caisse en mars 2021 après avoir agi en tant que consultant du ministère des Transports du Québec dans le dossier du tramway.
Conflit d'intérêts?
Pour l’avocat des demandeurs, il y a là un conflit d’intérêts qui permet d’expliquer la raison pour laquelle le gouvernement du Québec a choisi de mettre en œuvre le projet de tramway, et ce, malgré le refus du BAPE de le recommander.
Le juge Clément Samson a prévenu Me Bertrand que, s’il entendait continuer de faire allusion à ce conflit d’intérêts allégué, il serait dans l’obligation de repousser le procès afin que les personnes visées par ces allégations puissent se défendre.
Les avocats des parties défenderesses ont pour leur part soutenu que les citations publiées dans les journaux, notamment celles de politiciens, devaient être présentées comme des propos rapportés par les journalistes et non comme des faits véridiques.
Après une pause, il a été convenu que l’article du Journal de Montréal et ceux d’autres médias pouvaient être présentés en preuve, pourvu que les parties conviennent que ce qui est rapporté dans ces articles aurait été déclaré par des personnes citées
. La publication de leurs propos dans les médias ne suffit pas à établir la véracité des faits.
Où ça va nous mener?
En mêlée de presse à la pause du dîner, Me Guy Bertrand s’est défendu d’avoir évoqué un conflit d'intérêts. Il a soutenu n’avoir énoncé que des faits.
La Caisse de dépôt, pour qu’Alstom achète Bombardier, a dû mettre 5 milliards. En contrepartie, on lui a donné 16,5, 17 % d’actions, puis après ça, il faut que le Québec paie un autre 5 milliards pour le projet [de tramway] et qui va être fait par Alstom. Ça, c’est des faits. Où ça va nous mener? Eh bien, attendez la fin du procès, puis attendez les plaidoiries
, a indiqué Me Bertrand.
La première journée du procès a été principalement réservée à l’audition des témoins de la partie demanderesse.
La porte-parole et membre fondatrice de Québec mérite mieux, Doris Chabot, a été la première appelée à la barre. Rappelant que la construction du tramway allait nécessiter l’abattage de 1584 arbres, elle a reproché aux promoteurs du projet d’avoir choisi le mode de transport le plus destructeur pour l’humain et pour la vie
.
La résidente du boulevard René-Lévesque, au centre-ville de Québec, fait partie des citoyens dont une partie du terrain sera expropriée pour permettre la construction du tramway.
On viole nos droits
On se présente ici bâillonnés, les mains attachées dans le dos. On viole nos droits en prenant nos terrains sans consentement. On nous enlève le travail d’une vie en nous dépouillant de nos biens
, a dénoncé Doris Chabot.
Son témoignage a été suivi par celui de l’ex-journaliste Donald Charette, qui agit également à titre de porte-parole de Québec mérite mieux.
Il a soutenu que la tenue d’un référendum représentait le meilleur moyen de vérifier l’acceptabilité sociale du tramway. Dans l’éventualité où une telle consultation populaire était organisée, Québec mérite mieux respecterait le résultat, quoi qu’il advienne, a assuré Donald Charette.
Si on perd, on perd. C’est le respect de la démocratie
, a-t-il lancé.
À l’instar de Doris Chabot, M. Charette a reproché à la Ville de Québec d’avoir bousculé
les citoyens expropriés, sans plus de considérations pour l’élément humain
.
J’ai assisté à une rencontre pour les expropriés du boulevard René-Lévesque. Ils ont exprimé leur détresse. Ils se font exproprier sans avoir trop de recours, se font bousculer par la Ville
, a dénoncé Donald Charette.
Il a également reproché à la Municipalité de ne pas être en mesure de répondre à des questions pourtant simples
de la population. Il a donné en exemple le cas des commerçants se trouvant sur le tracé du tramway qui, selon lui, sont incapables de savoir si les camions auront suffisamment de place pour continuer leurs livraisons, une fois le réseau en service.
Analyse tronquée
Me Guy Bertrand a ensuite appelé à la barre Fanny Tremblay-Racicot, professeure agrégée à l’École nationale d’administration publique (ENAP), à titre de témoin experte dans l’intégration des transports et de l’aménagement du territoire.
S’appuyant notamment sur plusieurs constats du BAPEtronquée
dès le départ.
Mme Tremblay-Racicot a rappelé que la Ville de Québec avait mandaté la firme Systra pour mener une étude comparative de différents modes de transport lourd sur rail 14 mois après avoir annoncé le projet.
La professeure de l’ENAP
y voit un parfait exemple de decision-based evidence-making, un terme emprunté à l’anglais servant à désigner la tendance de certaines organisations à commander des études pour justifier une décision qui a déjà été prise.C’est supposé être le contraire. On veut des projets qui sont basés sur des données probantes, pas sur des décisions politiques
, a plaidé la témoin experte.
Ce faisant, a poursuivi Fanny Tremblay-Racicot, les promoteurs du tramway ont surestimé les bénéfices du projet et minimisé les risques. C’est le modus operandi de tous les projets catastrophiques
, a-t-elle asséné.
La charrue avant les bœufs
Ensuite, Clément Gosselin, professeur au Département de génie mécanique de l’Université Laval, a témoigné à son tour. Il a affirmé que le projet de tramway n’avait pas été pensé dans les règles de l’art de l'ingénierie.
On a démarré le projet avec une solution plutôt qu’avec une problématique, ce qu’on ne fait jamais avec un projet d’ingénierie
, a relevé le professeur Gosselin.
« On a mis la charrue avant les bœufs. Du point de vue d’un projet d'ingénierie, ça n'a pas de sens de procéder de cette façon. »
L’expert de la partie demanderesse a soutenu que le tramway tel que conçu par la Ville de Québec, avec ses caténaires et son système sur rail, utilisait une technologie d’un autre temps dont le manque de flexibilité fera en sorte, selon lui, qu’on va en subir les impacts pendant des décennies
.
Le titulaire de la Chaire de recherche du Canada en robotique et mécatronique a plaidé pour un arrêt du projet et son remplacement par un système digne du 21e siècle, sans rail ni caténaires.
Clément Gosselin invite la Ville de Québec et le gouvernement Legault à suivre les recommandations du BAPE
, à commencer par celle consistant à évaluer en profondeur les différents modes de transport. Même si beaucoup d’argent a déjà été investi dans le tramway, il est encore temps, selon lui, d’arrêter le projet.Ne pas arrêter ce projet maintenant va être beaucoup plus dommageable et dispendieux que si on va de l’avant, même si [on a] déjà investi de l’argent. Ce serait une catastrophe de ne pas l’arrêter
, a mis en garde le professeur de génie mécanique.
Un rassemblement protramway
Le groupe citoyen Québec désire son tramway manifestait devant le palais de justice. Une quinzaine de membres du regroupement s'était donné pour objectif de faire échouer le procès en montrant que le tramway bénéficie d’un appui citoyen fort.
Quelques membres étaient à l'intérieur de la salle pour entendre les arguments de Québec mérite mieux.
Nora Loreto, porte-parole de Québec désire son tramway, est convaincue que le projet sera bénéfique pour la capitale.
On en a besoin pour la ville, pour faciliter nos déplacements
, souligne-t-elle. Elle ajoute que le centre-ville de Québec a été bâti pour des chevaux, donc il y a une limite à combien d’autos on peut rentrer dans la ville
.
Avec la collaboration d’Olivier Lemieux et de Colin Côté-Paulette