Zoom sur les plaines d’Abraham, en 1929

Les plaines d'Abraham en août 1929
Photo : City of Toronto Archives, Globe and Mail fonds, Fonds 1266, Item 18139
Les images anciennes ont beaucoup à raconter. C’est le cas avec cette étonnante photo des plaines d’Abraham. Possiblement inédite, et prise en 1929, elle comporte sa part de mystères, même si l’on se trouve dans l'un des secteurs les plus connus de la ville.
Incroyable, cette photo!
commente l’historienne Hélène Quimper. C’est la première fois qu’elle découvre les Plaines sous cet angle. De fait, cette image n’a peut-être jamais été diffusée au Québec. Croquée en août 1929 par un couple en voyage dans la capitale, elle est conservée aux archives de la Ville de Toronto, dans le fonds du Globe and Mail
.
Le photographe se tenait sur le bastion Dalhousie de la Citadelle, à l'est des Plaines
, analyse l’historien Jean-François Caron. À l’époque, les soldats y circulaient. En plus du parlement et d'un segment de Grande Allée, le haut de la croix du Sacrifice est bien reconnaissable. Mais tout ce qui se trouvait sur les Plaines semble avoir disparu, ce qui nous vaut tout un lot de découvertes intéressantes!
1. Du tennis sur les plaines?
C’est sans doute le premier détail qui saute aux yeux. Des terrains de tennis sur les Plaines? Vraiment?
C’est peu connu, mais on y trouvait le club sportif de la Voirie à l’époque
, confirme Hélène Quimper. Après avoir fondé leur club, en 1923, nos sportifs fonctionnaires avaient aménagé un chalet et deux premiers terrains de tennis près du manège militaire. Ils se démarquaient par le tennis, mais ils jouaient également au hockey
, précise l’historienne.
Les terrains de tennis fermaient en octobre, pour être transformés en patinoires durant la saison froide.
Le club s’est doté d’un chalet plus vaste et d'un autre court, en 1927. La baraque blanche de la photo pourrait-elle être le chalet d'origine? Personne n’a pu nous éclairer là-dessus.
Le tennis était populaire dans le secteur à l’époque. Les premiers terrains de tennis de la ville avaient été construits devant le parlement, à la fin du 19e siècle. Le club de la Voirie a d'ailleurs fini par renouer avec le site. Ils y avaient un chalet et des courts dans les années 1940. Des tournois prestigieux, comme la coupe Davis, ont été disputés devant le parlement, sur leurs installations, jusque dans les années 1960. Certains d'entre vous se souviennent peut-être s'être juchés sur les fortifications pour y assister!
2. Une entrée encombrée
La croix du Sacrifice était installée depuis peu lors du passage de nos touristes. Elle est apparue sur les Plaines en 1924. Mais l’élégante entrée où elle se trouve aujourd’hui ainsi que la rue qui permet d’y accéder n’existaient pas encore.
Créé à l'occasion du tricentenaire de Québec, en 1908, le parc a effectivement mis du temps avant de s’étendre vers l’est. À ses débuts, il se limitait au terrain des sports situé devant le MNBAQLe parc a continué de se développer jusqu’à la fin des années 1950, mais les entrées actuelles et les rues qui sillonnent les plaines sont apparues lors de grands travaux lancés durant les années 1930
, rappelle Hélène Quimper.
Cet ambitieux programme fédéral avait été mis sur pied après le krach boursier d’octobre 1929 pour remettre les chômeurs de la ville au travail. En 1937, on en a profité pour aménager l’entrée est des Plaines située devant le parlement, et pour faire disparaître les terrains de tennis.
3. Des fortifications en piteux état
Les fortifications ne payent vraiment pas de mine sur la photo. On voit même des pierres qui sont tombées du mur. On était au pire du délabrement
, constate Jean-François Caron.
Le globe pendouillant au bout de son fil électrique et la végétation hors de contrôle parachèvent le tableau. En 1929, la Citadelle commençait à ressembler à l’arrière-cour d’un voisin négligent.
La bonne nouvelle, c’est qu’on s’apprêtait justement à y remédier.
Le fameux programme du fédéral mis sur pied durant la crise de 1930 n’a pas servi qu’à aménager les Plaines. Il a aussi permis de redonner du lustre aux fortifications. Il est intéressant de noter qu’un peu moins de 100 ans plus tard, l’histoire se rejoue, alors que le délabrement des fortifications force le gouvernement à les consolider à nouveau.
4. Un hôpital pour les enfants pauvres
La maison située le plus à l’est sur Grande Allée, facilement reconnaissable à sa tour carrée, s'appelait la maison Verge. Acquise par le gouvernement en 1966, elle a fait place à l'édifice H aujourd'hui.
Près d'elle, on voit aussi l'arrière de Bandon Lodge, une superbe maison à tourelle, dont l'histoire est étonnante. Après avoir été entièrement reconstruite par un riche homme d’affaires, en 1877, elle a été acquise par la Dre Irma Levasseur, la fondatrice de l’hôpital Saint-Justine, en 1922. Avec deux associés, le pédiatre René Fortier et l’orthopédiste J. Edward Samson, elle y a installé un hôpital pour enfants pauvres.
L'aventure a duré un an.
En 1923, ils sont partis sur la rue Saint-Vallier, avant de déménager une dernière fois pour fonder l'Hôpital de l'Enfant-Jésus. La maison au centre de cette rangée, on peut vraiment dire que c'est l’ancêtre de l’Enfant-Jésus
, explique Jean-François Caron.
5. La belle disparue de la rue Saint-Eustache
Un autre détail intrigant? On aperçoit des tours parmi les arbres qui ceinturent le parlement. Elles appartiennent à une maison qui se trouvait autrefois au coin des rues Saint-Eustache et Sainte-Julie, toutes deux disparues aujourd'hui.
La configuration du secteur a tellement changé que Jean-François Caron m’a fait suivre une autre photo pour m’aider à mieux comprendre: on y voit l'avenue Honoré-Mercier avant 1910, avec les pelouses du parlement sur la gauche. On comprend qu'à une époque, la maison en était encore assez éloignée. Ce qui n'était plus le cas en 1929, alors que le complexe avait pris de l'expansion.
Toutes les maisons du secteur ont été détruites lors du réaménagement de la colline parlementaire, entamé au début des années 1960. Si elle existait toujours, la demeure aux tours carrées occuperait l'espace où se trouve le monument hommage à René Lévesque qui fait face au Hilton aujourd'hui.
6. Une mystérieuse construction sur la gauche
L’édifice en construction sur la photo nous a tenu des heures sur le gril, Jean-François Caron et moi. Il semblait y avoir des travaux sur le toit, en 1929. Chercher ce qui pourrait concorder nous a valu des heures de plaisir.
La piste du Claridge, dont la construction s’était interrompue à cause du krach boursier, en 1929, a d'abord été explorée, avant qu’on ne s'intéresse au 580, Grande Allée Est. Mais ça ne collait pas. Les deux bâtiments de Grande Allée sont hors cadre, confirme le spécialiste en patrimoine Martin Dubois, appelé en renfort.
La réponse se trouvait sur la rue de la Chevrotière.
Selon Dubois, il s'agit de l’aile de Notre-Dame-de-la-Pureté, construite entre 1929 et 1930 pour agrandir le couvent des Soeurs du Bon-Pasteur. Les religieuses avaient fait installer une chapelle au dernier étage. Sur la photo, on voit une partie cintrée qui est probablement la voûte de la chapelle
, note l’expert.
Le complexe, recyclé en coopératives d’habitation dans les années 1980, fait face à l’édifice Marie-Guyart.
7. Deux énigmes résolues!
Martin Dubois nous a aussi aidés à résoudre deux autres énigmes. La première concernait la rangée de maisons qui longe les terrains de tennis derrière les belles demeures de Grande Allée, disparues lors du grand chantier de la colline Parlementaire des années 1960.
Cette allée de maisons était intrigante, puisqu'il n’existe aucune rue à cet endroit.
Il s'agit en fait d’anciennes dépendances des demeures de Grande Allée, confirme l'expert en patrimoine. Situées sur le même lot, elles logeaient probablement, à l'origine, des écuries au rez-de-chaussée et des logements de domestiques à l'étage. Au fil du temps, certaines avaient peut-être été reconverties en résidences indépendantes.
L’autre mystère concernait le grand nuage de poussière du centre de la photo, au milieu duquel on distingue les ruines d'un bâtiment en cours de démolition. Martin Dubois confirme qu'il s'agit du Victoria Curling Club. Le défunt bâtiment était rattaché au Skating Rink, où jouaient les Bulldogs de Québec autrefois. Avant d'être détruit par un incendie, en 1918, ce bel aréna occupait l'espace où se trouve la baraque blanche et son terrain de tennis.
Du patin, du curling, du hockey, du tennis... Décidément, les Plaines et Grande Allée cachent un passé bien plus sportif qu'on l'imagine!