Climat : « les dissonances du Canada mises en exergue » à la COP27
S’il a milité pour que le seuil d'un réchauffement de 1,5 °C soit maintenu, le Canada s’est toutefois présenté à la COP27 sans avoir rehaussé sa cible de réduction des émissions de GES.

Le ministre de l'Environnement et du Changement climatique Steven Guilbeault était à la tête de la délégation canadienne à la COP27 à Charm el-Cheikh en l'absence du premier ministre Justin Trudeau.
Photo : Reuters / MOHAMED ABD EL GHANY
Faute d’un « mandat clair » accordé par le gouvernement Trudeau à son ministre de l’Environnement, le Canada n’a pas su se démarquer à la COP27 ni démontrer son leadership en matière de lutte contre les changements climatiques, selon des experts et des participants au sommet de Charm el-Cheikh, en Égypte.
Précédé par sa réputation de mauvais élève parmi les pays industrialisés, le Canada revient de la COP27 avec un bilan peu reluisant, voire décevant
, d'après Philippe Simard, chargé de cours à l'École de politique appliquée de l'Université de Sherbrooke, qui a participé sur place à la Conférence des parties sur les changements climatiques.
La délégation canadienne – menée par le ministre de l’Environnement et du Changement climatique Steven Guilbeault en l'absence de Justin Trudeau – est arrivée en Égypte avec un historique difficile à défendre : le Canada détient la pire moyenne en matière d’émissions de gaz à effet de serre (GES) par habitant parmi les pays du G20, où il figure également au deuxième rang pour ce qui est des subventions accordées aux entreprises qui œuvrent dans le secteur des énergies fossiles.
Quatrième pays producteur de pétrole au monde, le Canada a vu ses émissions de GES augmenter de 13,1 % de 1990 à 2020. Le secteur de l’exploitation pétrolière et gazière, plus grand émetteur au pays, a connu une hausse de 74 % sur la même période.
Pour démontrer son leadership, le Canada a travaillé d’arrache-pied
à la COP27 pour que la déclaration finale ne compromette pas les objectifs établis ni les efforts consentis pour y parvenir lors de négociations précédentes, soit à Paris en 2015 et à Glasgow l’an dernier. Le ministre Steven Guilbeault a indiqué que les délégués canadiens ont campé sur une position ferme
pour que la cible de réchauffement planétaire maximal soit maintenue à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels, malgré l'opposition de certains pays.
Sur la question de la réduction des émissions de GES, on a sauvé les meubles
, a déclaré M. Guilbeault en entrevue à En direct avec Patrice Roy, déçu que la communauté internationale n'ait pas su réaliser de gains.
Or, le Canada s’est présenté à Charm el-Cheikh sans avoir rehaussé sa cible de réduction des GES, comme il en avait été convenu à [la COP26] de Glasgow, l’an passé
, note Philippe Simard.
Avec son objectif de réduction de 40 à 45 % de ses émissions d’ici 2030 par rapport au niveau de 2005, le Canada est pourtant loin de faire sa juste part
pour véritablement contribuer au respect du seuil de 1,5 °C, rappelle-t-il.
Preuve, s'il en est une, du manque de volonté politique du gouvernement canadien, cet exemple témoigne de l'absence d'un « mandat clair » accordé par Justin Trudeau à son ministre de l'Environnement, selon M. Simard.
Critiqué pour son manque de leadership, M. Guilbeault ne sortira pas indemne de cette COP.
J'ai l'impression qu'on a envoyé un expert de ces questions-là, mais en lui donnant très peu de marge de manœuvre concrète
, soutient de son côté Annie Chaloux, professeure à l’Université de Sherbrooke et spécialiste de la gouvernance et des politiques environnementales.
S'il s'est dit en faveur de la création d'un mécanisme de pertes et dommages pour les pays les plus vulnérables, le Canada n'a pas rehaussé de manière significative son financement à l'adaptation aux changements climatiques.
Le gouvernement a annoncé qu'il mettrait fin aux subventions octroyées au secteur des énergies fossiles dans la première moitié de 2023. Mais sur la question de la responsabilité qui lui incombe au chapitre des hydrocarbures, le fédéral a joué de prudence. Le ministre Guilbeault a réitéré que le gouvernement légifère dans le respect de ses champs de compétence en s'attaquant à la pollution plutôt qu'à la réduction de la production pétrolière et gazière au pays.
Ce qui s'est passé en deux semaines [à la COP] a mis en exergue les dissonances des positions canadiennes
, estime Mme Chaloux.
Bien que le Canada ait défendu avec vigueur le maintien de la cible préconisée par le GIEC, il est impératif qu'il mobilise les mêmes efforts pour mettre en œuvre, au pays, des politiques qui permettent de l'atteindre, souligne pour sa part Albert Lalonde, responsable de projet à la Fondation David Suzuki.
C'est ironique de voir le Canada défendre cet élément du texte alors que ses politiques intérieures continuent de contribuer à l'expansion [de l'usage] des combustibles fossiles
, note l'activiste à Charm el-Cheikh.
Le mammouth dans la pièce
L'inclusion de représentants d'entreprises qui œuvrent dans le secteur des énergies fossiles au sein de la délégation canadienne en a fait sourciller plus d'un. Quelques jours après l'ouverture de la COP27, près d'une trentaine d'organisations environnementales ont signé une lettre ouverte exigeant l'expulsion des compagnies pétrolières du pavillon du Canada.
Plaidant pour qu'une pluralité de voix soit entendue, le ministre Guilbeault a dit juger qu'il serait contre-productif de « censurer » ces entreprises.
Le bémol, c'est qu'elles n'ont pas été invitées pour aller prendre des engagements qui enverraient le signal fort [selon lequel] elles veulent faire partie de la solution
, nuance Philippe Simard.
Au lieu de présenter une stratégie de décarbonisation sur toute la chaîne de production, les compagnies ont mis de l'avant des technologies qui permettent de stocker et de séquestrer du carbone. Or, ces « fausses solutions » repoussent à plus tard la stratégie première de lutte contre les changements climatiques, à savoir la fin du recours aux énergies fossiles, selon M. Simard.
En accréditant ces lobbyistes – qui ont été plus de 600 à participer à cette COP, une augmentation de 25 % par rapport au sommet de Glasgow –, des États comme le Canada leur ont accordé une place de choix alors qu'ils ne font pas « preuve de sérieux », renchérit Annie Chaloux. Ça pose un problème extrêmement grave, cette influence que ces groupes peuvent avoir sur l'ensemble des processus
, dit-elle.
On n'invite pas l'industrie du tabac aux conventions internationales de l'OMS
, illustre-t-elle.
Le fait que le Canada persiste à soutenir ce secteur d'activité malgré les rapports du GIEC qui pressent les États de mettre fin à la production et au transport d'hydrocarbures « n'a plus de sens en 2022 », déplore Mme Chaloux.
Les hydrocarbures, ce n'est même plus l'éléphant, c'est le mammouth dans la pièce.
Une réticence qui dérange
À cette invitation controversée s'ajoute la réticence du Canada d'inclure dans la déclaration finale l'élimination progressive de tous les combustibles fossiles, et pas uniquement le charbon. « Une grossière insulte au bon sens », accuse Albert Lalonde, de la Fondation David Suzuki.
L'Inde, qui plaidait pour que la définition soit élargie au pétrole et au gaz, voulait ainsi mieux répartir le poids de la transition sur les pays industrialisés plutôt que de maintenir la pression sur les pays en développement.
Le Canada a finalement appuyé une mention qui appelle à l'élimination progressive des combustibles fossiles non exploités
, a précisé le ministre Guilbeault.
Le langage relatif à la réduction progressive des combustibles fossiles n'a jamais été présenté ou discuté lors des sessions de consultation auxquelles j'ai participé pendant les premiers jours. Ce n'est que tard le vendredi que le texte nous a été présenté verbalement par le Royaume-Uni. Le Canada l'a soutenu
, a-t-il indiqué mercredi.
Au grand dam des groupes environnementaux, l'énoncé sur la sortie des énergies fossiles n'a pas été retenu par les délégués de la COP27.
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À Charm el-Cheikh, le ministre Guilbeault a dit se concentrer sur la mise en œuvre de politiques qui permettent de réduire les émissions de GES. Le gouvernement canadien, a-t-il rappelé, s'est heurté à des contestations judiciaires lorsqu'il a voulu agir, notamment lors de l'imposition d'une tarification sur le carbone.
S'il avait fallu choisir un mauvais exemple, celui-ci aurait été tout indiqué, selon Annie Chaloux. La Cour suprême du Canada a déclaré que cette politique fédérale, contestée par des entreprises et par des provinces, était constitutionnelle. Le gouvernement est allé jusqu'au bout et il a gagné! résume-t-elle. Si on est sérieux dans cette volonté de lutter contre les changements climatiques, on va faire les gestes nécessaires.
Convaincu que son plan de réduction des émissions de GES pour 2030 sera suffisant pour respecter ses engagements climatiques, le gouvernement Trudeau mise sur sa stratégie de plafonnement des émissions du secteur pétrolier et gazier, dont les détails doivent être annoncés au cours de l'année 2023.
Philippe Simard appelle à l'adoption d'un cadre rigoureux, doté de cibles intermédiaires et de mécanismes de reddition de comptes – autant d'éléments qui ont manqué aux plans précédents et qui ont contribué aux échecs successifs des objectifs à atteindre.
Le Canada a assez traîné les pieds en matière d’atteinte de cibles climatiques, estime-t-il. S'il est vraiment soucieux de réussir, il lui faudra mettre en place les structures nécessaires pour y arriver.