Claims miniers : la pression augmente pour mieux protéger les aires naturelles

De nombreuses affiches « Vivre sans mine » ont été installées dans le secteur de Cleveland, en Estrie.
Photo : Radio-Canada
L’exploration minière connaît un engouement exponentiel dans plusieurs régions du Québec, dont le sud-est, ce qui suscite de vives inquiétudes au sein des organismes de protection de l’environnement et des municipalités. Alors que le congrès Québec mines + Énergie s’ouvre lundi à Québec, des organismes et des municipalités comptent accentuer la pression sur le gouvernement provincial pour obtenir plus de pouvoir afin d'assurer la protection des milieux naturels.
Au cours des deux dernières années, le nombre de titres miniers autorisés aux entreprises a explosé dans le sud-est de la province. Un titre minier, ou claim, donne à l’entreprise qui en fait l’acquisition le droit exclusif d’effectuer des travaux sur un territoire donné afin de chercher des substances minérales. Éventuellement, elle peut ensuite en faire l’exploitation.
Augmentation du nombre de titres miniers (du 1er novembre 2020 au 1er novembre 2022)
Estrie : 63,4 %
Bas-Saint-Laurent : 85,7 %
Gaspésie : 139 %
Total des trois régions : 107 %
Source : Coalition pour que le Québec ait meilleure mine
Cependant, plusieurs de ses claims frôlent des aires protégées. Dans la MRC du Granit en Estrie, des titres miniers ont été achetés aux frontières du parc national du Mont-Mégantic. À Saint-Sébastien, les sentiers de randonnée du mont Morne, prisée par les amateurs de plein air, sont aussi maintenant inclus dans un territoire sujet à de l’exploration minière.
Cette nouvelle a fait bondir la préfète de la MRC du Granit. C’est vous qui nous l’apprenez, on n’était pas informés et cela nous a surpris
, a réagi Monique Phérivong Lenoir, lorsque Radio-Canada l’a contactée.

Les claims dans le secteur du mont Morne dans la MRC du Granit.
Photo : GESTIM
Mme Phérivong Lenoir aurait souhaité être informée et connaître les intentions des explorateurs. Les entreprises n’ont toutefois pas d’obligation de consultation avant d’acheter des droits exclusifs d’exploration du territoire. On ne veut pas semer un vent de panique [dans la population]. Là, pour l’instant, il n’y a que des intentions [d’exploration]. C’est sûr que pour nous, la MRC, nous avons à cœur l’aménagement de notre territoire et la protection de notre environnement
, précise-t-elle.
En Gaspésie aussi, des titres sont actifs dans plusieurs milieux naturels d’intérêt, dont les réserves fauniques de Matane, des Chic-Chocs et de Port-Daniel.

La carte des titres miniers dans le secteur de la réserve faunique des Chic-Chocs.
Photo : GESTIM
Un frein à la protection du territoire?
Onze organismes ont formé la coalition Pour que le Québec ait meilleure mine pour faire pression auprès de Québec afin d'accentuer la protection du territoire.
Selon plusieurs membres, le contexte actuel pourrait mettre en péril les objectifs du gouvernement d’augmenter les superficies d’aires protégées au Québec. Une situation qu'ils jugent plus que problématique dans un contexte de crise de la biodiversité.

La carte des claims miniers en Gaspésie et au Bas-Saint-Laurent.
Photo : Gracieuseté - Coalition pour que le Québec ait meilleure mine
À partir du moment où il y a des claims miniers, on ne peut plus faire d’aires protégées, on ne peut plus protéger les milieux naturels, affirme le co-porte-parole de la Coalition pour que le Québec ait meilleure mine, Ugo Lapointe. Mais on a un gros déficit [d'aires protégées] dans le sud du Québec.
Superficies d’aires protégées (%)
Cible 2030 pour le Québec : 30 %
Estrie : 3,48 %
Gaspésie : 7,86 %
Bas-Saint-Laurent : 3,39 %
Selon la directrice principale de la Société pour la nature et les parcs (SNAP) Québec, Alice De Swarte, l’achat d’un titre minier par un simple clic sur un site du gouvernement
vient geler toute autre mise en valeur possible du territoire. Quel investisseur va vouloir développer un projet sur un territoire qui est "claimé"? On est en train de geler, bloquer toute autre vision du territoire
, déplore-t-elle.
Il y a très peu de ces claims qui vont aboutir à une mine. Mais pendant tout ce temps que le claim est actif, qui va durer en général 10 ans, 20 ans, on ne peut pas développer d’autres projets sur ces territoires-là.
Ugo Lapointe estime également que les travaux d’exploration peuvent avoir des impacts environnementaux non négligeables. Lorsqu’on a un claim minier, on peut y faire des forages miniers, des dizaines, voire des centaines [de fois] sans évaluation environnementale, sans consultation publique des populations. Cela a des impacts réels
, affirme-t-il.
L’UMQ et la FQM réclament plus de pouvoirs pour les villes
L’Union des municipalités du Québec (UMQ) et la Fédération québécoise des municipalités (FMQ) réclament elles aussi plus de pouvoir pour être en mesure de protéger les territoires qu’elles jugent d’intérêt.

Jacques Demers, président de la Fédération québécoise des municipalités
Photo : Courtoisie Fédération québécoise des municipalités
Les critères encadrant l’établissement de territoires incompatibles avec l’activité minière (TIAM) sont trop contraignants, selon les deux associations. Ces TIAM découlent du mécanisme prévu à la loi visant à limiter les activités minières, mais les MRC doivent respecter les critères établis par Québec.
Présentement, avec les critères qui sont à l’intérieur de la loi, c’est impossible pour nous de bien protéger nos territoires
, souligne l’administrateur à l’UMQ et maire de Thurso, Benoît Lauzon. L’UMQ organisera d'ailleurs un colloque sur cette question en janvier prochain.
Le président de la FQM et préfet de la MRC de Memphrémagog, Jacques Demers, est du même avis, d'autant plus, signale-t-il, que la MRC de Memphrémagog a été incapable de désigner un territoire incompatible avec l’activité minière.
Je comprends qu’il y a des besoins miniers, mais il y a quand même des endroits qu’il faut continuer à protéger
, insiste-t-il. Jacques Demers demande au gouvernement d’agir avant que certains conflits d’usage ne soient judiciarisés.
Il y a des milieux de vie qu’il ne faut pas condamner pour donner place à des mines.

La carte des claims sur le territoire de l'Estrie
Photo : Gracieuseté - Coalition pour que le Québec ait meilleure mine
Le Conseil régional de l’environnement de l’Estrie demande une réforme de l’encadrement législatif pour que les activités minières ne jouissent plus d’une forme de régime d’exception.
La Loi sur les mines fonctionne sur le vieux principe du free mining. C’est cette idée que les minières peuvent aller partout sur le territoire, explique le codirecteur de l’organisme Philippe-David Blanchette. Cette loi a préséance sur toutes les autres lois qui concernent l’aménagement du territoire.
Comment on fait pour vivre ensemble dans un contexte où il y en a un qui est plus fort que tout le monde?
La Coalition pour que le Québec ait meilleure mine réclame pour sa part un moratoire sur l’émission de titres miniers jusqu’à une révision de la Loi sur les mines. On ne peut pas développer des minéraux d’avenir avec des lois du passé. Faut moderniser cette loi
, spécifie le co-porte-parole Ugo Lapointe.
Le ministère relativise le « boom » actuel
Invité à commenter ces demandes, le ministère des Ressources naturelles et des Forêts a répondu que plusieurs MRC protègent déjà 90 % de leur territoire.
Le pouvoir des MRC d’identifier des territoires incompatibles avec l’activité minière s’ajoute aux dispositions de la Loi sur les mines et d’un large corpus législatif, notamment en matière environnementale, qui encadrent l’activité minière de manière à réduire les nuisances et les risques pouvant la rendre incompatible avec certaines activités
, mentionne le représentant du ministère par courriel, Éric de Montigny.
Quant au boom d’exploration minière, le ministère des Ressources naturelles et des Forêts précise que le nombre de claims varie quotidiennement
.
Afin de remettre la progression du nombre de claims dans un contexte plus large
, le ministère a produit une comparaison avec le nombre de claims en vigueurs en 2011-2012 par rapport à 2022. On peut constater qu’il y avait nettement plus de claims actifs il y a 10 ans.
Comparaison du nombre de titres actifs (2011-2012 et 2022)
Estrie : baisse de 73,9 % depuis 2011
Bas-Saint-Laurent : baisse de 41,1 % depuis 2012
Gaspésie-Îles-de-la-Madelaine : baisse de 8,3 % depuis 2012
Source : Ministère de l’Énergie et des Forêts
Selon l’Association de l’exploration minière du Québec (AEMQ), l’augmentation du nombre de titres miniers s’explique notamment par la stratégie pour les minéraux critiques lancée par le gouvernement du Québec.
Sa directrice générale, Valérie Fillion, soutient cependant qu’on n’assiste pas à une explosion de production minière. Au Québec, je vous rappelle qu’il y a en moyenne 0,7 mine qui ouvre par année. Il y a présentement 20 mines en activité
, souligne-t-elle.
Selon le co-porte-parole de la Coalition pour que le Québec ait meilleure mine, ces faits ne changent rien à la légitimité des revendications exprimées, d’autant plus que le contexte actuel est bien différent.
En 2011-2012, les régions du Sud-Est vivaient aussi un boom de claims miniers. Dans les deux cas, le boom de claims miniers concorde avec la hausse de la demande mondiale et la hausse des prix des métaux, plus spécifiquement les prix de l’or et du cuivre et des métaux usuels
, ajoute Ugo Lapointe.
Les explorateurs miniers invitent au dialogue
Valérie Fillion se veut rassurante concernant les préoccupations environnementales. Tous ces travaux d’exploration au cours des années se font dans un encadrement rigoureux au Québec. Il y a plusieurs étapes où il va y avoir des communications avec les gens
, affirme-t-elle.

Valérie Fillion, directrice générale de l’Association de l’exploration minière du Québec
Photo : Radio-Canada / Alexia Martel-Desjardins
Elle juge que la prise de position des municipalités est une occasion pour le gouvernement de démystifier l’exploration minière pour transmettre une meilleure information. C’est une occasion de communiquer, d’expliquer comment ça fonctionne
, soutient-elle.
On [les entreprises] habite nos communautés, on s’implique dans nos communautés. Il n’y a pas d’intérêt des explorateurs québécois à défaire le territoire.
Quant aux conflits d’utilisation du territoire, elle croit que la solution ne réside pas dans la soustraction de superficies à l’exploitation minière, mais dans un dialogue entre les parties afin de permettre la saine cohabitation. Il y a des projets où on a bonifié le lieu, déplacé des portions de projet. Tout cela découle du fait qu’on s’est parlé
, mentionne Valérie Fillion.
Soustraire du territoire pour nous, ce n’est pas une solution à l’harmonisation et à la cohabitation
, ajoute-t-elle.
Le directrice juge cependant qu’il est préférable d’ouvrir des mines au Québec pour soutenir la transition énergétique. Si on ne découvre pas [les minéraux] au Québec, qui a un cadre rigoureux, il faudra les importer de quelque part
, conclut-elle.