Secteur industriel : pas de transition réussie sans dialogue, selon l’IRIS
Dix entreprises représentaient en 2019 la moitié de toutes les émissions de GES du secteur industriel au Québec.

La mine du mont Wright, à Fermont, ville où plus de 79 % de la population active dépend d'un établissement polluant.
Photo : Radio-Canada / Ann-Édith Daoust
En voie de rater ses cibles climatiques à l’horizon 2030, le Québec devrait sans plus tarder s’attaquer à la décarbonisation du secteur industriel, deuxième émetteur de GES, afin de réduire l’empreinte des entreprises les plus polluantes de la province. Or, une transition réussie ne saurait se faire sans la participation de la population et des travailleurs qui dépendent de ces entreprises, selon une étude.
Le secteur industriel a beau avoir diminué ses émissions de gaz à effet de serre (GES) de 22,7 % de 1990 à 2019, il représentait, lors du dernier inventaire, 29,4 % du bilan québécois, avec 24,8 mégatonnes (Mt) d’équivalent CO2. D’autres activités qu’il englobe, comme le transport de marchandises et de déchets, sont recensées dans les émissions associées aux transports, premiers en importance au chapitre des émissions de GES.
En y regardant de plus près, on constate même que la moitié des émissions du secteur industriel en 2019 sont attribuables à 10 entreprises – qui sont aujourd’hui au nombre de 9, en raison de la fusion de deux d’entre elles –, selon une récente étude de l’Institut de recherche et d'informations socio-économiques (IRIS).
À elles seules, Rio Tinto PLC, Domtar Corp, ArcelorMittal SA, Valero Energy Corp, Westrock Co, Suncor Energy inc., Aluminerie Alouette inc., McInnis Holding LP et Alcoa Corp comptaient pour 14,67 % des émissions totales relâchées dans l’atmosphère au Québec.
Les chercheurs soulignent que les industries spécialisées dans la fabrication, l'extraction minière, l'exploitation en carrière et l'extraction de pétrole et de gaz, qui comptent parmi les plus grands employeurs du secteur industriel, sont celles qui contribuent le plus au réchauffement climatique.
Bien que la contribution de ce secteur à l’effort de réduction du bilan carbone soit incontournable
pour atteindre les cibles climatiques de 2030, encore faut-il en planifier correctement la transition, d'après les chercheurs de l'IRIS.
Si le Québec rate, année après année, les cibles qu’il se donne depuis le tournant des années 2000, c'est en partie en raison de l'absence d'un plan de transition du secteur industriel digne de ce nom.
La transition écologique et l'objectif de carboneutralité d'ici 2050, au-delà d’être des slogans, renvoient à des réalités socio-économiques régionales bien précises qu’il s’agit d’identifier comme point de départ [de] cette transition
, explique Colin Pratte, chercheur associé à l’IRIS.
L’IRIS a dressé la liste des régions et municipalités du Québec les plus dépendantes d’un secteur dit polluant. Le Nord-du-Québec, la Côte-Nord, le Saguenay–Lac-Saint-Jean, l’Abitibi-Témiscamingue et le Centre-du-Québec ont ainsi plus de 10 % de leur population active employée dans un de ces établissements.
Pour les localités de Fermont, Port-Cartier, Bois-Franc, Témiscaming, Sayabec et le Gouvernement régional d’Eeyou Istchee Baie-James, la proportion de la population active qui travaille dans une entreprise polluante s'élève à plus de 40 %.
La transition impliquera des transformations considérables du marché de l’emploi, rappelle Colin Pratte. D’où l’importance, pour l’État, d’amorcer un dialogue avec les entreprises, les municipalités, les salariés et les communautés, rappellent les chercheurs, qui y voient une condition fondamentale
.
Cette démarche de dialogue, premier principe de la transition juste
, reconnue à l’unanimité à l’Assemblée nationale en octobre 2021, n’a toutefois pas été entamée par le gouvernement du Québec
, notent M. Pratte et son collègue Bertrand Schepper.
Apprendre de la sortie du charbon en Alberta
Selon l'IRIS, le Québec aurait intérêt à tirer des leçons de l'Alberta, où le plan pour éliminer progressivement la production d'électricité au charbon s'est organisé entre le gouvernement et les entreprises privées.
Le projet a été mis à mal par l'arrivée au pouvoir du conservateur Jason Kenney, sous lequel les salariés et les municipalités ont été tenus à l'écart des discussions tandis que des programmes d'aide ont été annulés.
Une partie des travailleurs dont les emplois ont été reconvertis se sont même dirigés vers un autre secteur polluant : celui du gaz naturel. On est passés d'une énergie fossile à une autre et on s’est réclamés de la transition alors que le problème n'a été que repoussé
, estime M. Pratte.
Au Québec, la majorité des GES du secteur industriel sont toutefois de sources « non énergétiques ». C'est le cas, notamment, des industries des métaux, des minéraux, du ciment et des produits chimiques.
Contrairement à l'industrie de l'aluminium, qui a de plus en plus recours à l'électricité dans ses processus de combustion, les fonderies ne peuvent se tourner vers cette solution, cite en exemple M. Pratte. Ces entreprises devront changer leurs techniques de production
pour réduire leur empreinte carbone.
Un programme à parfaire
Au Québec, la transition du secteur industriel est gênée par l’insuffisance des politiques environnementales en place
, indiquent en outre les chercheurs de l'IRIS. Ces grandes entreprises polluantes, dont la plupart des actionnaires sont situés à l'extérieur du Québec, n’en tirent aucun bénéfice économique et [...] risquent de ne plus être concurrentielles sur le marché international
.
Dans son plan de mise en œuvre 2022-2027, qui rassemble les mesures devant permettre au Québec de réduire ses émissions de GES de 37,5 % par rapport au niveau de 1990 d’ici 2030, le gouvernement estimait pouvoir couper 5,6 mégatonnes (Mt) d’équivalent CO2 du bilan du secteur industriel d’ici 2030.
Il s’agirait d’une réduction de 34,9 %, rendue possible par l’amélioration des procédés de fabrication et la conversion vers des sources d’énergie moins émettrices de GES
, selon le ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP).
Or, les mesures consacrées au secteur industriel dans la politique-cadre d'électrification et de changements climatiques du Québec pour 2030 demeurent peu détaillées. Le plan n'exclut pas le recours aux énergies fossiles, au besoin, pour assurer la transition énergétique des industries.
Afin de réduire le bilan du secteur industriel, le gouvernement compte sur la tarification carbone et le système québécois de plafonnement et d’échange de droits d’émission (SPEDE), auquel sont soumis tous les établissements qui émettent 25 000 tonnes d'équivalent CO2 et plus par an.
Québec mise aussi sur le programme ÉcoPerformance, qui aide les entreprises à revoir leur consommation énergétique et à réduire leurs émissions de GES. Des centaines de millions de dollars y sont consacrés, même si son efficacité ne fait pas l'objet d'un suivi suffisant. Le gouvernement a rehaussé en avril dernier le financement du volet destiné aux « grands émetteurs ».
Ces mécanismes contribuent à la transition, mais ne sauraient se substituer à une planification démocratique
impliquant tous les acteurs concernés, affirment les chercheurs de l'IRIS.
Il faut se rappeler une chose, insiste Colin Pratte. La transition aura lieu tôt ou tard. Et si on veut optimiser ses chances de succès et l'adhésion des communautés concernées, elle doit être débattue collectivement.