« Convoi de la liberté » : la GRC n’a pas subi de pression politique, dit sa patronne
Brenda Lucki jure qu'aucune ligne n'a été franchie par le gouvernement Trudeau pendant l'occupation d'Ottawa.
Brenda Lucki a expliqué à la commission Rouleau que la GRC n'a pas juridiction sur le maintien de l'ordre dans la ville d'Ottawa, même si la police fédérale est légalement responsable de veiller au respect de certains mandats spécifiques dans la capitale canadienne.
Photo : La Presse canadienne / Adrian Wyld
Appelée à soutenir le Service de police d'Ottawa (SPO) lors de l'occupation du centre-ville de la capitale l'hiver dernier, la Gendarmerie royale du Canada (GRC) a pu faire son travail sans aucune forme d'ingérence de la classe politique, a certifié mardi la grande patronne de la police fédérale, Brenda Lucki.
Je n'ai pas ressenti de pression
, a-t-elle affirmé, mardi matin, à la Commission d'enquête sur l'état d'urgence.
Cela dit, nous n'étions pas le corps de police responsable
, a souligné Mme Lucki – un rappel qui, de son propre aveu, a dû être formulé plusieurs fois pendant la crise, certains politiciens ayant cru que la GRC offrait à Ottawa des services de police locaux, alors que son mandat se limitait à la protection de certaines infrastructures.
Sans surprise, les membres du Cabinet Trudeau lui posaient chaque jour de nombreuses questions sur la suite à donner aux manifestations – mais sans jamais franchir la ligne
, a assuré Mme Lucki. Ils tentaient seulement de trouver une solution
, a-t-elle nuancé.
« La résolution de problèmes peut ressembler quelques fois à : "On devrait faire ceci, on devrait faire cela. Est-ce qu'on pourrait faire ceci? Est-ce qu'on pourrait faire cela?" Et des fois, les gens peuvent l'interpréter comme une directive. Ce n'est pas une directive directe. Selon moi, une directive serait : "Nous avons besoin que tu fasses ceci ou non." Ça, c'est une directive, et ce serait de l'interférence politique. »
Questionnée par un procureur de la Commission sur l'absence d'institution chargée de s'assurer de l'indépendance de la GRC
vis-à-vis du gouvernement, la commissaire Lucki a proposé de régler la question une fois pour toutes.Je pense qu'il est temps de mettre quelque chose par écrit qui décrirait ce que vous pouvez et ne pouvez pas faire en tant que commissaire ou politicien
, a-t-elle suggéré, soulignant que cet enjeu a souvent été souligné lors des audiences de la commission d'enquête sur la tuerie de Portapique, en Nouvelle-Écosse.
Traduire du politique
à l'opérationnel
Brenda Lucki, qui a amorcé son témoignage mardi matin aux côtés de son adjoint Mike Duheme, a également déclaré qu'elle avait été prise de court
par la demande du maire d'Ottawa d'envoyer 1800 policiers en renfort lors de la manifestation du prétendu « convoi de la liberté ».
La commissaire a indiqué dans son témoignage qu'elle ne savait pas que le SPO
souhaitait obtenir le soutien d'un si grand nombre d'agents jusqu'à ce qu'elle prenne connaissance de la requête soumise par Jim Watson aux gouvernements fédéral et provincial, le 7 février.Elle a affirmé mardi que la demande ne contenait aucune information précise sur ce déploiement de renforts, comme la durée pendant laquelle ces policiers seraient prêtés ou ce qu'ils feraient exactement.
La requête ne précisait pas non plus combien de ces agents devaient être prêtés par la Police provinciale de l'Ontario (PPO
) et combien de ces agents devaient être fournis par la GRC , a poursuivi Mme Lucki.Nous devions traduire cela dans un plan opérationnel
, a-t-elle résumé. Or, à cette époque, le SPO n'avait pas encore mis à jour son plan opérationnel en fonction de la situation, ce qui était une source de préoccupation pour la police fédérale.
En fin de compte, quelque 1100 policiers de la GRC
ont été affectés à l'occupation du centre-ville d'Ottawa. La plupart d'entre eux sont arrivés dans les jours ayant précédé l'invocation des mesures d'urgence fédérales.Le gouvernement Trudeau a invoqué la Loi sur les mesures d’urgence le 14 février 2022 pour mettre fin à un rassemblement réunissant des camionneurs et d’autres manifestants opposés aux mesures sanitaires liées à la COVID-19, qui ont paralysé le centre-ville d’Ottawa du samedi 29 janvier au dimanche 20 février.
Cette loi – adoptée en 1988 pour succéder à la Loi sur les mesures de guerre – prévoit notamment qu’une enquête publique doit a posteriori se pencher sur les circonstances ayant mené les autorités à prendre une telle décision.
Mme Lucki, qui estimait le 13 février que « tous les outils disponibles » n'avaient pas été épuisés par la police pour mettre fin à l’occupation d’Ottawa, a par ailleurs révélé mardi qu'elle n'avait jamais pu partager son opinion sur le sujet de manière explicite avec les membres du gouvernement Trudeau.
Les forces de l'ordre avaient à l'époque élaboré un plan complet pour libérer le centre-ville, a expliqué la commissaire. Or, celle-ci n'a pas été invitée à la réunion du Cabinet au cours de laquelle la décision d'invoquer la Loi sur les mesures d'urgence a été prise, a-t-elle déploré.
Cela étant dit, Mme Lucki n'est pas certaine que cette information aurait convaincu les membres du gouvernement de renoncer aux mesures d'urgence qui, en fin de compte, ont été utiles, selon elle.
Des ministres impatients
et frustrés
Le juge Rouleau en voit de toutes les couleurs depuis un mois.
Il y a trois semaines, un échange de messages textes entre la commissaire Lucki et le grand patron de la PPOa rapidement perdu la confiance du gouvernement Trudeau lorsque le convoi des camionneurs a pris la capitale d’assaut, l’hiver dernier.
, Thomas Carrique, a notamment permis de comprendre que le SPOMme Lucki a toutefois précisé mardi qu'aucun ministre, à sa connaissance, ne s'était exprimé de la sorte textuellement. La commissaire a plutôt expliqué qu'elle avait elle-même inféré
cette perte de confiance en fonction de l'impatience
et de la frustration
exprimées lors des réunions auxquelles elle avait assisté.
Je n'ai pas souvenir d'avoir entendu quelqu'un dire : "Nous perdons confiance", a-t-elle admis. C'était mon observation. Lorsque j'ai entendu des commentaires sur la durée et sur le fait que la manifestation gagnait en importance, j'en ai déduit que la confiance était brisée.
Curtis Zablocki, sous-commissaire de la GRC
responsable de l'Alberta, sera le prochain à comparaître devant le juge Rouleau. Il devrait être question du blocage de Coutts, qui a perturbé les passages à la frontière du 29 janvier au 14 février.Les événements de l’hiver dernier ont profondément divisé les quelque 250 habitants de ce village, a confié le maire Jim Willett la semaine dernière.
Pour mettre fin au barrage, le gouvernement de l’ex-premier ministre Jason Kenney a notamment demandé l’aide des Forces armées canadiennes, mais en vain. C’est finalement une intervention de la GRC qui aura permis de rouvrir le principal lien routier entre l’Alberta et le Montana.
La Commission siégera jusqu’au vendredi 25 novembre. Le premier ministre Justin Trudeau sera appelé à la barre des témoins, mais son homologue ontarien, Doug Ford, a obtenu une exemption de la Cour fédérale.