Irving Oil : un allégement fiscal assorti de profits de 250 millions de dollars
Les révélations sur l'empire Irving se poursuivent.
Irving Oil a enregistré des bénéfices d'un quart de milliard de dollars l'année où elle a obtenu un allégement fiscal.
Photo : Radio-Canada / Jean-Philippe Hughes
L'entreprise Irving Oil a engrangé un quart de milliard de dollars de profit en 2005, la même année où elle a persuadé le conseil municipal de Saint-Jean et le gouvernement du Nouveau-Brunswick de lui accorder un allégement fiscal pendant 25 ans, selon des documents qui ont fait l'objet d'une fuite.
L'entreprise a engrangé un profit de 250,7 millions de dollars en 2005, année au cours de laquelle Saint-Jean a plafonné la facture d'impôt foncier du projet de Canaport LNG, mené par Irving et par son partenaire, Repsol, à un demi-million de dollars.
Le coût pour la Ville a été estimé à 112 millions de dollars sur un quart de siècle.
À lire aussi :
Cet allégement fiscal nécessitait des changements législatifs, que le gouvernement progressiste-conservateur de Bernard Lord a adoptés en 2005.
Les profits de la compagnie n'étaient pas connus publiquement. Kenneth Irving, le pdg d'Irving Oil à l'époque, a soutenu que cet allégement fiscal était décisif pour le projet Canaport LNG. Les entreprises investissent beaucoup d'argent à risque
, a-t-il déclaré au Telegraph-Journal en 2005.
Cet allégement fiscal a été abrogé en 2016 et Irving Oil a vendu sa participation dans le terminal à son partenaire, la société énergétique espagnole Repsol, l'année dernière.
Les dossiers financiers confidentiels d'Irving montrent que la compagnie pétrolière a été si lucrative de 2005 à 2009 qu'elle a réussi à réaliser des profits même aux jours les plus sombres de la crise économique mondiale en 2008.
Cette société a démontré sa capacité à maintenir des marges et une rentabilité attrayantes malgré la nature cyclique des activités de raffinage et de commercialisation
, a écrit l'avocat fiscaliste britannique Andrew Hine dans un affidavit de 2010 déposé devant un tribunal des Bermudes, qui a été divulgué.
Des profits pendant la crise
Durant la crise de 2008, de grandes banques américaines se sont effondrées et le prix du baril de pétrole est passé de 140 $ en juin 2008 à moins de 40 $ en décembre de la même année.
Malgré tout, Irving Oil a enregistré des profits de 111,2 millions de dollars. Son ratio d'endettement sur capitalisation totale – qui mesure ce que la compagnie doit par rapport à la valeur de ce qu'elle possède – a également continué de s'améliorer pendant la tourmente financière de 2008.
Ces chiffres proviennent d'un mémorandum de placement privé
confidentiel que la société a utilisé pour emprunter 150 millions de dollars sur les marchés financiers en 2009. Il comprend cinq ans de données financières détaillées sur la société.
L’avocat Andrew Hine a utilisé ce document dans une évaluation, menée en 2010, des perspectives financières d'Irving Oil lors de procédures judiciaires pour diviser l'empire Irving, fondé il y a un siècle par K. C. Irving.
Avocat du cabinet britannique Taylor Wessing, Andrew Hine a été nommé par un tribunal aux Bermudes pour représenter les petits-enfants non adultes d'Arthur Irving. L'affidavit et la note de placement privé font partie de millions de pages de documents divulgués au journal allemand Süddeutsche Zeitung et partagés avec le Consortium international des journalistes d'investigation.
De nombreux documents, connus sous le nom de Paradise Papers, proviennent d'Appleby, un cabinet d'avocats mondial de services extraterritoriaux basé aux Bermudes qui comptait Irving Oil parmi ses clients.
Un historique de revenus en croissance
La compagnie pétrolière était une entreprise bien gérée et prospère
avec un historique impressionnant de croissance des revenus
, a déclaré Andrew Hine dans l'affidavit confidentiel. Selon lui, même dans le pire des cas, Irving Oil serait en mesure de payer ses dettes et ses futures obligations, ce qui en ferait une source de revenus fiable pour les petits-enfants d'Arthur Irving.
En vertu de la division en trois de l’empire Irving, la famille d'Arthur obtiendrait les deux tiers de la propriété d'Irving Oil, tandis que la famille de son frère Jack Irving en obtiendrait un tiers. Les deux frères abandonneraient leurs participations dans d'autres sociétés d'Irving contrôlées par le frère J. K. Irving et par sa famille.
On craignait que la famille de J. K. Irving n'obtienne le contrôle d'un portefeuille diversifié d'entreprises dans plusieurs secteurs d'activité, y compris la foresterie, le camionnage, l'alimentation et la construction navale, et que la famille d’Arthur Irving ne dépende que du pétrole.
Le tribunal aux Bermudes qui supervisait la division a nommé Andrew Hine pour évaluer si cela était dans le meilleur intérêt des petits-enfants d'Arthur Irving. Andrew Hine a utilisé des états financiers confidentiels et le mémorandum de placement privé, qui contient des données détaillées pour les années 2005 à 2009.
La note montrait qu'Irving Oil avait des actifs d'une valeur de 4,5 milliards de dollars en juin 2009 et des revenus de 4,6 milliards de dollars au cours des six premiers mois de 2009.
De très rares pertes
La société a subi des pertes nettes à deux reprises seulement, soit en 1977 et en 1978. L’avocat Andrew Hine dit dans son affidavit que la compagnie attribue [ces pertes] à des conditions de marché exceptionnellement mauvaises et à l'impact de l'expansion d'une raffinerie
.
Le biographe d'Irving, John DeMont, a écrit dans son livre de 1991 intitulé Citizens Irving que la capacité des raffineries dans l'est du Canada avait dépassé la demande en essence de 70 % en 1977, ce qui avait réduit les profits du secteur.
En 2018, Irving Oil a annoncé que le Arthur Irving Family Trust avait acheté la participation d'un tiers dans la société pétrolière, qui était détenue par la branche familiale de Jack Irving.
La raffinerie Irving Oil de Saint-Jean est la plus grande au Canada : on y raffine 300 000 barils de pétrole brut par jour, soit environ 15 % de la capacité totale du pays en 2009, selon la note de service. Au cours des six premiers mois de 2009, la raffinerie rapportait 136,7 millions de dollars de revenus, soit 45 % des revenus totaux d'Irving Oil, selon les documents.
La société n'a pas répondu à une demande de commentaire sur l'évaluation de Hine, y compris les données liées aux bénéfices.
En 2019, le dirigeant d'Irving Oil, Andrew Carson, a déclaré au Comité de modification des lois de l'Assemblée législative du Nouveau-Brunswick que c'était un mythe que l'entreprise s'en tirait facilement pour ce qui est du paiement des impôts. Gerry Lowe, qui était député libéral de Saint-Jean Havre à l’époque, avait questionné Andrew Carson sur les bénéfices de l’entreprise et sur les revenus tirés de ses divers produits.
Cela varie au cours de l'année, en toute honnêteté. Il y a généralement des périodes de l'année où certains produits sont plus demandés
, a répondu Andrew Carson.
En 2015, il a été révélé dans une affaire fiscale fédérale indépendante en Alberta qu'Irving facturait à son partenaire et co-investisseur dans le terminal Canaport LNG, Repsol, 12 millions de dollars par an en loyer pour les installations. Cela ainsi qu'un bénéfice garanti pour Irving Oil dans leur accord ont permis à l'entreprise de rester profitable, en ce qui a trait au terminal, même pendant que Repsol perdait de l'argent.
Avec les informations de Jacques Poitras et de Frédéric Zalac