Justin Trudeau à la conquête de la région indo-pacifique
Le premier ministre canadien souhaite écrire un nouveau chapitre de la politique étrangère du Canada.
La région indo-pacifique est l'une des nouvelles priorités de la politique étrangère canadienne.
Photo : La Presse canadienne / Sean Kilpatrick
Ottawa souhaite déplacer le cœur de sa politique étrangère plus près de la zone indo-pacifique. La tournée de Justin Trudeau qui s’amorce en Asie est un premier pas en ce sens.
Ce voyage officiel servira entre autres à signaler une transition diplomatique
, indique un haut responsable du gouvernement, qui n’est pas autorisé à s’exprimer publiquement.
Au cours des dernières années, nous avons été très américano-centristes et euro-centristes
, admet cette source gouvernementale.
Ottawa amorce ainsi un virage.
La région indo-pacifique constitue l’épicentre d’une transition globale et générationnelle
, a d’ailleurs déclaré la ministre des Affaires étrangères mercredi lors d’un discours étalant les grandes lignes de sa nouvelle stratégie indo-pacifique. Mélanie Joly a aussi souligné que la région allait représenter plus de la moitié de l’économie mondiale d’ici 20 ans.
Pour faire contrepoids à la Chine, le gouvernement souhaite se rapprocher de pays comme l’Inde, le Japon et la Corée du Sud. Ottawa flaire de bonnes affaires et espère pouvoir exporter des minéraux critiques, de l’hydrogène et du gaz naturel liquéfié, et tirer profit de son expertise en matière d’intelligence artificielle.
Pendant son voyage, le premier ministre fera un arrêt au Sommet de l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (ASEAN) à Phnom Penh, au Cambodge. Ensuite, Justin Trudeau s’arrêtera au Sommet du G20 qui se déroule en Indonésie, avant de prendre part à la réunion du Forum de coopération économique Asie-Pacifique en Thaïlande.
Les objectifs d’Ottawa vont plus loin que le simple commerce, selon Benoit Hardy-Chartrand, professeur auxiliaire à l'Université Temple au Japon et chercheur à la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques.
Le but pour le Canada n’est pas simplement d’augmenter ses échanges commerciaux, mais également d’être perçu comme un partenaire fiable qui peut contribuer à la stabilité de la région
, explique le professeur.
D’ailleurs, la ministre Joly a indiqué mercredi vouloir renforcer la présence militaire canadienne en Asie-Pacifique. Déjà, depuis 2018, le Canada déploie périodiquement des navires et des aéronefs pour prévenir des manœuvres de contournement des sanctions imposées à la Corée du Nord, dans le cadre de l’opération NEON.
Le but aussi pour le Canada, c’est d’être davantage invité aux grands sommets et aux grandes tables de négociation dans la région où le Canada a souvent été ignoré au cours des récentes décennies
, explique Benoit Hardy-Chartrand.
Face à la Chine, la recherche de l’équilibre
Si la ministre Mélanie Joly utilise des termes forts pour parler de la Chine, la qualifiant de puissance perturbatrice
, si elle demande aux entreprises d’y faire affaire avec lucidité, le commerce avec Pékin n’est pas formellement découragé.
Pour l’instant, le Canada s’en tient à des interventions stratégiques, en bannissant par exemple le géant Huawei de son réseau 5G, ou en ordonnant à des firmes chinoises de quitter l’industrie des minéraux critiques au Canada.
« Tout le monde essaie de trouver ce juste milieu, mais il n’est pas évident du tout. »
Lors d’un récent discours à Washington, la vice-première ministre du Canada, Chrystia Freeland, a fait la promotion d’une approche fondée sur l’économie d’affinité
, visant à développer des chaînes d’approvisionnement avec des pays aux valeurs semblables.
Le ministre de l’Innovation, François-Philippe Champagne, est allé plus loin en parlant d’un découplage
avec la Chine, visant à se défaire de la dépendance commerciale envers Pékin.
Ce processus ne peut pas se faire en criant ciseau
, note le professeur Patrick Leblond, alors que la Chine demeure le deuxième partenaire commercial du Canada.
C'est très difficile pour les entreprises qui ont déjà investi des milliards de dollars dans ce marché pour faire de la fabrication de dire : "Bon, on va tout défaire ça et on va essayer de recommencer en Europe, au Canada, aux États-Unis ou dans les pays de l’ASEAN." Ça peut se faire tranquillement, mais on parle de plusieurs années, sinon d’au moins une décennie
, explique Patrick Leblond.
Il rappelle que prendre ses distances dans le commerce avec la Chine pourrait entraîner une augmentation du prix de certains biens pour les consommateurs canadiens.
On est déjà dans une période inflationniste où les gens ont de la difficulté à se payer de plus en plus les biens de base. Alors jusqu’à quel point sommes-nous prêts à mettre plus de pression?
, demande le professeur Leblond.
Voilà où réside le cœur du casse-tête de Justin Trudeau : comment freiner la puissance économique de la Chine, sans trop en souffrir économiquement?
Exportations canadiennes (2021)
- Japon : 14,5 milliards $
- Corée du Sud : 6,3 milliards $
- Inde : 3 milliards $
Source: Statistique Canada
Importations canadiennes (2021)
- Japon : 15,4 milliards $
- Corée du Sud : 10,3 milliards $
- Inde : 6 milliards $
Source: Statistique Canada