Projet Monarques : les maux de centaines de militaires s’envolent grâce à leurs mots

Angèle Séguin et Marie Malavoy, deux des co-porte-parole du projet Monarques, une pièce de théâtre à laquelle ont gravité environ 500 personnes.
Photo : Radio-Canada / DANIEL MAILLOUX
Le Projet monarques, qui raconte les traumatismes vécus par des militaires canadiens, est présenté en grande première à Sherbrooke.
On dit toujours que la première victime d'une guerre, c'est la vérité.
Le brigadier-général à la retraite des Forces armées canadiennes, Richard Giguère, résume ainsi les multiples perceptions d’un conflit, qui sont tordues selon la lorgnette qui le regarde. La vérité est en effet mise à mal dans un conflit armé. Elle est cachée, déformée, tronquée. Elle explose parfois en plein visage du militaire confronté à des drames pour lesquels il ne pouvait se préparer. C’est pour exposer au grand jour leurs traumatismes qu’a été créée la pièce du Projet Monarques du Théâtre des petites lanternes de Sherbrooke.

Richard Giguère, co-porte-parole du Projet Monarques et ancien haut gradé des Forces armées canadiennes.
Photo : collection: Projet Monarques
Le haut gradé est l’un des co-porte-parole de la production qui sera présentée à plusieurs endroits au Canada, en français et en anglais. C’est le fruit d’une collaboration de cinq ans entre deux mondes à première vue incompatibles: le théâtre et le militaire.
Richard Giguère a mené plusieurs missions à l’étranger, et heureusement pour lui, il n'est pas atteint de stress post-traumatique. Cependant, il a côtoyé des hommes et des femmes qui en souffrent. Il a aussi été témoin de l’évolution des mentalités et d’une plus grande ouverture dans les rangs des Forces armées à reconnaître le traumatisme qui n’est pas visible comme une blessure de guerre corporelle. Lors de la Première et de la Seconde Guerre mondiale, les gens qui développaient des syndromes post-traumatiques, on les appelait les shell shock. Ceux qui n'en pouvaient plus et qui ne pouvaient plus rester au front, on les tassait complètement. On en faisait des parias.
On comprend toutefois que le sujet reste toujours délicat de nos jours, et qu’il demeure tabou. On garde un peu ce réflexe de dire: qu'est-ce que les autres vont penser? La population canadienne m'a fait confiance. J'ai porté le drapeau canadien sur mon uniforme toute ma carrière et là, je la laisse tomber. C'est souvent comme ça que les gens réagissent.
La pièce nous permet cet espace de discussion, de réflexion et d'échanges tout à fait sain [...] à l’extérieur de la chaîne de commandement.

Marie Malavoy co-porte-parole du Projet Monarques et ancienne ministre.
Photo : Radio-Canada / DANIEL MAILLOUX
L’autre co-porte-parole est Marie Malavoy, une ancienne politicienne et ministre. La directrice artistique du projet, Angèle Séguin, voulait un représentant issu du milieu civil pour intéresser un public le plus large possible. Pour moi, la vérité se rencontre dans l’être humain, qu'on soit militaire ou non
, précise-t-elle.
À première vue, Marie Malavoy semble à cent mille lieux du monde militaire et de ses enjeux de santé mentale. Et pourtant, elle est née d’un résistant français, André Malavoy, qui fut incarcéré dans des camps de concentration durant la Seconde Guerre mondiale. Sa collaboration avec le Projet monarques la retrempe d’une certaine façon dans les souffrances familiales qu’elle a souvent choisi de garder à distance, et que son père a longtemps préféré taire. Il a vécu des choses absolument épouvantables et c'est comme si ça ne se partageait pas. C'était vraiment à l’intérieur de lui-même.
Son père a aussi, à sa façon, mélangé l’art et la douleur. La poésie a été sa planche de salut.
Mon père se récitait des poèmes dans un cachot sans fenêtre où il est resté pendant des mois.

Angèle Séguin. directrice artistique et co-autrice du Projet Monarques.
Photo : Radio-Canada / DANIEL MAILLOUX
Une vérité humaine
Angèle Séguin qui a mené plusieurs productions artistiques dans le monde, parle avec grande fierté de cette production autour de laquelle ont gravité environ 500 personnes depuis ses premiers balbutiements. Au départ, lorsqu’on l’a approchée pour mener à bien ce projet, elle n'avait pourtant aucune affinité avec l’uniforme militaire. Elle entretenait même des préjugés et de la méfiance envers ces personnes formées pour aller au combat, avoue-t-elle.
Ça m'a dérangé. Ce n’était pas mon univers. Je ne voyais pas ma vérité dans ça. Je me demandais : Comment je peux m’engager dans ce projet sans être en distorsion avec mes valeurs?

200 militaires et leurs proches ont participé aux ateliers d'écriture de la Nouvelle-Écosse à la Colombie-Britannique.
Photo : collaboration spéciale: Michelle Boulay
Cette incompatibilité a vite fait de s’estomper et à fait place à la découverte de personnes exceptionnelles, comme le raconte la dramaturge. Investir le monde militaire c'est quelque chose en soi. C'est presque monter l'oratoire Saint-Joseph à genoux. Mais en même temps, j'ai senti beaucoup d'ouverture, jamais de fermeture.
Afin de créer un corpus de travail pour bâtir un scénario, des militaires et leurs familles sont invités, de février à mai 2021, à partager leurs blessures dans le cadre d'ateliers d’écriture tenue d’un bout à l’autre du pays. Deux cents personnes participent à cette Grande cueillette des mots, ce qui donne au final 2000 pages de témoignages. Une matière brute qui devient un projet artistique dans lequel tout le monde peut se reconnaître, estime Angèle Séguin.
Une parole libératrice
Tous les trois ont de toute évidence trouvé leur vérité dans le Projet Monarques. Le militaire de carrière, Richard Giguère avoue candidement qu’il croyait avoir tout compris sur le stress opérationnel avant d’assister à la lecture des textes en juin dernier à Québec. Il raconte avoir réalisé pour la toute première fois que ses longues affectations à l’étranger déclenchaient de l’anxiété chez ses proches. Je partais en mission pour six mois, à gauche et à droite, sans vraiment ne jamais me soucier trop trop de ce que ça pouvait leur causer. C'est là que je me suis aperçu de ce que j'avais exigé de mes quatre enfants et de mon épouse
, explique-t-il.

Le rôle de l'épouse de militaire est jouée par la comédienne, Ann-Catherine Choquette.
Photo : Radio-Canada / TAMARA GARNEAU
En s’impliquant dans ce projet artistique, Marie Malavoy prend conscience pour sa part que les chocs vécus par les militaires peuvent s'apparenter à d’autres épreuves qu’une personne peut rencontrer au cours de sa vie. Elle évoque la douleur de la défaite électorale qu’elle-même et d’anciens collègues ont eux même traversée. Mais aussi l’importance de passer du silence dans lequel on est enfermé à la parole qui libère
, tout comme l’a fait un jour son père en publiant, un livre sur son expérience de guerre qui est toujours édité aujourd’hui, La mort attendra, souligne-t-elle avec émotion.
Un des éléments que je garde, c'est qu'on peut toujours s'en sortir. Vous savez, le camp de concentration où papa est resté, Mauthausen [en Autriche], 10 % seulement en sont sortis vivants, je crois. Quand on sait ça, devant les coups durs de la vie, on se dit "ma foi: on peut trouver des ressources pour s'en sortir." Ça m'a donné, je pense, une forme de combativité
, reconnaît-elle.
Pour lui, on ne s'apitoyait pas sur son sort. On trouvait le moyen de s’en sortir et de rebondir. C'est certainement quelque chose qui m'a inspirée.

Les comédiens Albert Kwan et Sébastien Rajotte lors de la répétition de la pièce Projet Monarques.
Photo : Radio-Canada / TAMARA GARNEAU
Angèle Séguin, qu'on sent fébrile alors que les comédiens répètent la pièce, sort visiblement grandie de toute cette traversée. Son grand souhait est que le Projet monarques puisse changer le regard que l’on porte envers les personnes engagées dans le monde militaire, mais de façon plus large, envers les personnes qui souffrent de problèmes de santé mentale.
C'est un des plus grands projets que j’ai mené. Je suis très fière de cette rencontre d'humanité entre deux mondes dont je n’étais pas certaine au début qu'ils allaient pouvoir se rencontrer.
Cette vérité là pour moi elle se rencontre dans l’être humain, qu'on soit militaire ou non. Le post-trauma c'est pas lié seulement au monde militaire et toute cette grande aventure nous ouvre cette porte sur la santé mentale.
Le Projet Monarques est présenté au Centre culturel de l'Université de Sherbrooke ce mardi à 19 h 30. Le scénario a été écrit par Angèle Séguin et Amélie Bergeron. La mise en scène est assurée par Amélie Bergeron.