La hausse des taux donne le mal de bloc aux propriétaires de plex
Hausse des taux d’intérêt, augmentation des taxes foncières, inflation… La marge de manœuvre ne cesse de rétrécir pour les propriétaires de logements locatifs, qui pourraient refiler une partie de la facture aux locataires.

Pancarte d'immeuble à vendre à Montréal.
Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers
Dans la dernière année, Simon Choucroun a investi toutes ses économies pour se lancer dans l’immobilier. Parti de zéro, il est désormais propriétaire de 24 logements locatifs en Mauricie.
Après quelques mois prolifiques, la satisfaction a fait place à l'inquiétude chez ce jeune investisseur. Car si, à l’origine, son montage financier lui a permis de tirer profit de la location des appartements, la tendance s'est depuis inversée à cause de la hausse des taux d'intérêt.
Pour bâtir son parc immobilier, Simon Choucroun a contracté sept hypothèques, toutes à un taux variable.
Après avoir récolté des profits allant de 5 % à 10 % selon les immeubles, il doit maintenant composer avec une perte dans les quatre chiffres tous les mois
. Cet informaticien de carrière puise depuis dans son salaire pour boucher les trous.
Au début, on a des ambitions, on n'a pas peur, il y a une petite hausse ou deux, on continue d'acheter
, explique-t-il. Après, on ralentit.
D’autant que les sources d'inquiétude sont multiples. Car en plus des taux hypothécaires, ses assurances ont augmenté de 1000 $ par année et il devra composer avec une forte hausse des taxes municipales.
Simon Choucroun se sent d'autant plus coincé qu'il ne peut pas vraiment augmenter les loyers. Ses locataires ont généralement des revenus modestes et, de toute façon, les hausses sont limitées par le Tribunal administratif du logement (TAL).
Les taux ont tellement augmenté, ça commence à me faire peur. En ce moment, c'est comme la montée dans les montagnes russes, j'ai hâte de descendre.
Pour Simon Choucroun, pas question de vendre pour le moment, la stratégie est plutôt de serrer les dents en attendant que l’orage passe.
Pour limiter la casse, il procède à différents ajustements dans son modèle d’affaires. Il a, par exemple, l’intention de subdiviser des appartements pour augmenter ses revenus et de prendre en charge le déneigement pour limiter ses dépenses.
Mais d'autres propriétaires de logements ont, eux, décidé de jeter l’éponge. L'un d'entre eux nous a confié être en train de vendre la trentaine de logements qu’il possède à Montréal.
La transaction est en cours et il préfère rester discret sur son identité pour mettre toutes les chances de son côté.
La hausse des taux hypothécaires en est la principale cause, mais pas la seule. Il se dit coincé
entre la hausse des taxes foncières et les limites imposées par le TAL pour augmenter les loyers.
Nous avons reçu plusieurs témoignages de propriétaires démoralisés par la hausse des charges, qui enregistrent des pertes mensuelles et hésitent à vendre leur bien pour stopper l'hémorragie.
En plus, les acheteurs ne se bousculent pas au portillon. Le marché est de plus en plus calme, bien loin du climat d’effervescence observé pendant la pandémie.
Selon le Registre foncier du Québec, sur l’ensemble du territoire, le nombre de ventes enregistrées en septembre 2022 a diminué de 19,6 % par rapport à septembre 2021.
Les propriétaires québécois vulnérables
Les propriétaires de logements locatifs ont la vie dure actuellement, confirme la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ).
Son directeur des Affaires publiques et Relations gouvernementales, Marc-André Plante, affirme que de plus en plus de propriétaires sont obligés de puiser dans leurs revenus personnels pour équilibrer la gestion de leur parc immobilier.
Il observe que le phénomène prend de l’ampleur depuis trois mois et touche davantage les petits
investisseurs possédant moins de cinq logements locatifs, souvent un ou deux.
La CORPIQ a mené un sondage auprès de ses membres au cours de l’été. Résultat : 60 % des participants disent avoir opté pour un taux variable. Aussi, 80 % des participants affirment avoir contracté une hypothèque qui s’élève au-delà de la moitié de la valeur de la propriété.
Deux chiffres qui montrent la grande vulnérabilité des propriétaires face à la hausse des taux hypothécaires en cours, analyse Marc-André Plante.
Son organisme n’a d'ailleurs jamais reçu autant de témoignages de membres découragés, dit-il, et un grand nombre d’entre eux veulent réduire leurs investissements à court et à moyen termes.
Des répercussions sur les loyers
Selon la CORPIQ, l’inflation, l’augmentation des taxes et la hausse des taux hypothécaires mèneront à une hausse notable des loyers dans la prochaine année. Mais le phénomène ne touchera pas tout le monde de la même façon.
C'est pour les locataires d’un logement neuf que l'addition risque d’être particulièrement salée. La clause F
permet au propriétaire de réajuster le loyer à sa guise, sans limites, dans les cinq années suivant la construction du logement.
Une règle fondamentale
, selon Marc-André Plante, car, dans le cas contraire, de nombreux investisseurs seraient en faillite tant les différentes charges ont augmenté depuis le début de la pandémie. Cela permet aussi de donner des garanties aux investisseurs qui veulent miser sur la création de nouveaux logements.
Les nouveaux locataires devraient aussi être mis à contribution pour éponger la hausse des charges. Les propriétaires profitent souvent de cette occasion pour réajuster les loyers à la réalité du marché, une décision que le nouvel occupant peut cependant contester devant le TAL.
Les locataires qui, eux, renouvellent leurs baux ne devraient pas être touchés par la hausse des taux hypothécaires, puisque ces derniers ne sont pas inclus dans les critères autorisés par le TAL pour fixer les loyers.
En revanche, la hausse des taxes municipales devrait frapper tout le monde de plein fouet. Les propriétaires ont la possibilité de refiler la totalité de la facture aux locataires, ce qui est généralement le cas.
À Montréal, par exemple, un nouveau barème va entrer en vigueur le 1er janvier pour les trois prochains exercices financiers, soit 2023, 2024 et 2025. Il sera basé sur la valeur des propriétés qui a augmenté en moyenne de 32,4 % par rapport à la valeur des rôles fonciers précédents.
Dans plusieurs municipalités, l’addition risque d’être salée. La CORPIQ s’attend à la plus grande augmentation de loyer autorisée par le TAL depuis une trentaine d’années.
Marc-André Plante anticipe une hausse de 3 à 4 %, alors qu’elle se situe généralement autour de 2 %.
De nombreux propriétaires s’attendent, eux, à une autre hausse des taux d’intérêt. Début 2022, le taux directeur de la Banque du Canada se situait à un plancher historique de 0,25 %. Après six augmentations successives, il a été fixé à 3,75 % en octobre.