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Convoi des camionneurs : la police d’Ottawa aurait vite perdu la confiance du fédéral

La GRC craignait de se voir confier les commandes de la crise, une semaine après le début de l'occupation.

Des policiers d'Ottawa regardent les manifestants devant le parlement d'Ottawa.

Le Service de police d'Ottawa (SPO) est demeuré responsable de l'encadrement du convoi des camionneurs du début à la fin de l'occupation du centre-ville.

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Radio-Canada

Des échanges de textos entre la commissaire de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et son homologue de la Police provinciale de l'Ontario (PPO) montrent que l'occupation du centre-ville d'Ottawa, l'hiver dernier, a rapidement poussé le gouvernement du Canada à s'interroger sur la capacité du service de police local à faire face à la crise.

Ces messages, déposés en preuve jeudi à la commission Rouleau, évoquent une possible invocation de la Loi sur les mesures d'urgence dès le samedi 5 février, soit une semaine après le début de l'occupation.

Dans une série de textos transmis ce jour-là par Brenda Lucki à Thomas Carrique, la grande patronne de la police fédérale soutient que le gouvernement du Canada est en voie de perdre confiance ou a déjà perdu confiance dans le Service de police d'Ottawa (SPO).

La commissaire mentionne en outre que la GRC ou la PPO pourrait devoir prendre les rênes de l'opération si la Loi sur les mesures d'urgence était invoquée, ce [qu'elle] ne souhaite pas.

Mme Lucki explique ensuite qu'elle tente tant bien que mal de calmer les ministres du Cabinet Trudeau, mais que ce n'est pas facile lorsque ceux-ci voient des jeux gonflables dans le centre-ville d'Ottawa.

Commission d'enquête sur l'état d'urgence

Consulter le dossier complet

Photo prise devant la Colline Parlementaire, sur la rue Wellington à Ottawa.

Dans le sommaire de son interrogatoire mené en amont des audiences publiques, le commissaire Carrique rapporte par ailleurs avoir eu une discussion avec Mme Lucki le 15 février au sujet de la possibilité de demander au chef du SPO, Peter Sloly, de céder le commandement et le contrôle de l'opération pour mettre fin aux manifestations.

Le commissaire de la PPO a indiqué qu’il était sur le point d'en faire la demande à M. Sloly, mais que cette conversation n'a jamais eu lieu, ce dernier ayant remis sa démission plus tard le jour même.

Des pouvoirs utiles, mais pas forcément nécessaires

De nombreux policiers convoqués à la commission soutiennent depuis deux semaines que, si la Loi sur les mesures d'urgence les a aidés à déloger les manifestants, son invocation n'était pas pour autant indispensable.

Dans le sommaire de son interrogatoire mené cet été, le commissaire Carrique affirme par exemple que son organisation n'a pas changé d'approche après le 14 février, lorsque le gouvernement Trudeau a déclaré l'état d'urgence.

Si les pouvoirs extraordinaires qui ont été délégués aux policiers ont été extrêmement utiles pour indemniser les entreprises de remorquage, ils n’étaient pas nécessaires pour réquisitionner des dépanneuses et restreindre la présence des manifestants au centre-ville, selon le commissaire.

Une dépanneuse prend en charge une voiture.

Des entreprises de remorquage craignaient d'être la cible de représailles si elles retiraient des véhicules et des camions du centre-ville.

Photo : Radio-Canada / Francis Ferland

Une lettre datée du 17 février et déposée en preuve montre pourtant que M. Carrique a cité la Loi sur les mesures d'urgence dans ses correspondances avec les entreprises de remorquage. Dans la lettre, il est écrit que la PPOexige de ces entreprises qu'elles offrent leurs services en vertu de cette loi d'exception.

Or, le commissaire Carrique insiste pour dire que l'enjeu en était un d'indemnisation. Il a expliqué que les entreprises sollicitées étaient prêtes à aider, mais craignaient d'être prises pour cible par des manifestants.

Techniquement, aurions-nous pu les contraindre? Leur avons-nous fourni des informations par écrit laissant entendre qu'elles étaient contraintes d'agir? C'est fort probable. Mais avons-nous vraiment contraint qui que ce soit? Non, ils ont volontairement accepté de nous aider.

Une citation de Thomas Carrique, commissaire de la PPO

L'analyse du commissaire Carrique va dans le même sens que celles fournies dans les dernières semaines par plusieurs autres témoins issus de la police provinciale, dont le chef surintendant à la retraite Carson Pardy et le surintendant Pat Morris, de même que par le chef par intérim du SPO, Steven (Steve) Bell. Un inspecteur du SPO, Robert Bernier, a également assuré que la police aurait démantelé le convoi des camionneurs avec ou sans mesures d’urgence. (Nouvelle fenêtre)

Le commissaire Carrique témoignant devant la commission.

Le commissaire de la PPO, Thomas Carrique, ne croit pas que l'invocation de la Loi sur les mesures d'urgence était nécessaire pour démanteler le convoi des camionneurs, même s'il a affirmé en commission parlementaire, le 24 mars dernier, que le rassemblement représentait à l'époque une « menace à la sécurité nationale ».

Photo : La Presse canadienne / Justin Tang

M. Carrique s'est également dit d'accord avec l'opinion de la commissaire de la GRC, Brenda Lucki, sur la nécessité de recourir aux mesures d'urgence. Rappelons que le 14 février — soit le jour même où la Loi sur les mesures d'urgence a été invoquée — cette dernière jugeait que les autorités n'avaient pas encore épuisé tous les outils à leur disposition pour tenter de mettre fin aux manifestations.

Une menace « potentielle » à la sécurité nationale

Le point de vue partagé par le commissaire Carrique avec les procureurs de la commission Rouleau tranche toutefois avec le témoignage qu'il a offert en commission parlementaire le 24 mars dernier, alors qu'il avait déclaré qu'il considérait que le convoi des camionneurs représentait à l'époque une menace à la sécurité nationale.

Devant le juge Rouleau, jeudi matin, il a précisé que cette menace potentielle ne répondait pas nécessairement à la définition de menace à la sécurité du Canada établie par la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS).

Il faut dire que le chef de l'unité de renseignement de la PPO, le surintendant Pat Morris, a déclaré devant la commission la semaine dernière qu'il n'y avait jamais eu d'informations crédibles montrant une menace directe pour la sécurité nationale du Canada.

Le commissaire du corps de police provincial s'est publiquement rallié à cette analyse jeudi, ajoutant toutefois que le mot menace était utilisé pour indiquer que quelque chose pouvait se produire et que la situation exigeait une analyse plus approfondie.

Un témoignage hautement anticipé

Le récit des événements de Thomas Carrique à la Commission d'enquête sur l'état d'urgence sera suivi de celui – très attendu – de l’ex-chef de police ottavien Peter Sloly, vendredi.

Selon le résumé de l'entrevue qu'il a accordée à la commission, l’ex-chef du SPO ne croit pas que ses policiers auraient pu faire quoi que ce soit différemment en janvier et février derniers, compte tenu de la crise de sécurité nationale sans précédent à laquelle le SPO était confronté.

Or, de nombreux témoignages entendus depuis le 13 octobre ont permis d’apprendre que la police locale n’a pas pris au sérieux les signaux émis ici et , selon lesquels la manifestation pourrait se dégrader.

De plus, le commissaire Carrique a confié au juge Rouleau qu'il avait été surpris de voir la police locale diriger les camionneurs vers la rue Wellington, sur la colline du Parlement, alors qu'il croyait plutôt qu'ils les empêcheraient de pénétrer au centre-ville. Cette décision a déjà été qualifiée d'erreur par une officière du SPO la semaine dernière.

M. Carrique a également affirmé devant la commission que le SPO ne semblait pas avoir de plan opérationnel clairement communiqué et documenté.

Le gouvernement Trudeau a invoqué la Loi sur les mesures d’urgence le 14 février 2022 pour mettre fin à un rassemblement réunissant des camionneurs et d’autres manifestants opposés aux mesures sanitaires liées à la COVID-19, qui ont paralysé le centre-ville d’Ottawa du samedi 29 janvier au dimanche 20 février.

Cette loi – adoptée en 1988 pour succéder à la Loi sur les mesures de guerre – prévoit notamment qu’une enquête publique doit a posteriori se pencher sur les circonstances ayant mené les autorités à prendre une telle décision.

À terme, 66 personnes auront comparu devant le juge Paul Rouleau, dont Justin Trudeau et sept ministres , ainsi que des organisateurs du convoi. La commissaire de la GRC, Brenda Lucki, devrait également témoigner.

Le premier ministre ontarien, Doug Ford, et l’ex-solliciteure générale de la province Sylvia Jones ont aussi reçu une citation à comparaître, mais ils la contestent en justice, arguant qu’il s’agit d’une affaire essentiellement fédérale.

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