Exode ontarien vers les Maritimes, pour les finances et la qualité de vie
Des 88 720 Ontariens qui ont choisi de quitter la province, 21 595 ont déménagé vers la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick et l'Île-du-Prince-Édouard.

Le centre-ville de Sackville, au Nouveau-Brunswick
Photo : Radio-Canada
Les données du recensement de 2021 démontrent que des Ontariens ont choisi en masse de s’établir dans les provinces maritimes. Une tendance qui se poursuit malgré la fin des restrictions sanitaires.
Monica Resendes et Nick Chase ont quitté Toronto il y a plus d’un an. Pour elle, c’était un départ de la province où elle a grandi. Pour lui, le déménagement vers Sackville, au Nouveau-Brunswick, était plutôt un retour aux sources.
La mère de deux enfants affirme que l’achat d’une propriété était devenu hors de leur portée et qu’elle craignait que les propriétaires de la maison qu’ils louaient ne décident de la vendre pour profiter de la flambée des prix.
« Avec ce genre d’incertitude et deux enfants, nous voulions vraiment aller quelque part où nous étions certains de pouvoir nous installer pour un certain temps. »
Les plus récentes données de Statistique Canada (Nouvelle fenêtre) démontrent qu’au cours de la pandémie, ils sont loin d’être les seuls à avoir pris cette décision.
Des 88 720 Ontariens qui ont choisi de quitter la province, 21 595 ont déménagé vers les provinces maritimes.
La Nouvelle-Écosse a été le choix le plus populaire, avec 12 330 migrants interprovinciaux de l'Ontario. Le Nouveau-Brunswick arrive 2e avec 7275. Puis 1990 personnes ont choisi de s’établir à l’Île-du-Prince-Édouard.
L’Alberta a aussi connu une hausse de popularité avec le déplacement de 14 165 Ontariens.
En considérant l’ensemble des mouvements interprovinciaux recensés par Statistique Canada, l’Ontario a accueilli 35 000 résidents de moins que ceux qui ont décidé de partir pour d’autres provinces.
L’agente immobilière Jennifer Jones, qui travaille dans l’industrie à Sackville depuis plus de 15 ans, affirme que plusieurs de ses clients avaient décidé de profiter de la flambée des prix de l’immobilier en Ontario pour vendre leur propriété et s’en procurer une, à moindre coût, dans les Maritimes.
« Un phénomène complètement nouveau, rien de tel n’est jamais arrivé auparavant. C’était incroyable. »
Les données du rapport démographique trimestriel (Nouvelle fenêtre) de l’Ontario démontrent que la province a enregistré une perte nette de plus de 21 000 personnes dans la migration interprovinciale.
Selon les données de l’Association canadienne de l’immobilier, le prix moyen d’une résidence en Ontario est près de trois fois plus élevé que celui d’une résidence au Nouveau-Brunswick, par exemple. Les maisons y sont aussi près de quatre fois moins chères que dans la région de Toronto.
Elle affirme que le faible nombre de maisons à vendre, jumelé aux interdictions de voyager et aux restrictions de la pandémie, a forcé des acheteurs à faire des offres sans jamais avoir visité une propriété.
Le géant de la location de camion U-Haul a aussi constaté, dans son rapport annuel, des enjeux de disponibilité des camions de déménagement dans certaines régions.
Le président de l’entreprise pour la région de l’Atlantique, Jake Spelic, affirme avoir constaté un exode de l’Ontario vers d’autres provinces, en particulier vers les Maritimes
.
En raison de la demande, Nick Chase a été incapable de louer un camion à Toronto pour se rendre à Sackville. Il a donc effectué une location à Moncton, puis a conduit le camion vide sur une distance de 1500 kilomètres jusqu’à Toronto, avant d‘entreprendre son déménagement.
Même une fois la transaction effectuée, les nouveaux résidents devaient s’isoler pendant deux semaines à leur arrivée dans les provinces maritimes lorsque les restrictions les plus strictes pour contrer la pandémie de COVID-19 étaient en place.
L’agent immobilier Alexandre Girouard avait mis en place un service particulier pour ses clients On a mis des provisions dans les maisons, comme de la viande, des œufs, du propane [...] tu ne peux pas conduire de l’Ontario avec deux semaines de nourriture
, raconte-t-il.
Ce n’est qu’une fois l’isolement terminé que les nouveaux Néo-Brunswickois ont pu découvrir leur chez-soi. Après un peu plus d’un an, la famille Resendes-Chase affirme qu’il s’agit toujours d’une adaptation.
« C’est bien, différent, c’est un mode de vie différent, mais nous le savions. »
D’emblée, le couple admet que certains aspects de la vie dans une métropole leur manquent : la diversité de choix alimentaires, par exemple, et l’accès relativement simple à des services de santé. Mais tous deux se pressent d'ajouter que d’autres aspects de leur nouvelle vie à Sackville sont plus proches de leurs valeurs, comme l’accès à des produits locaux et la proximité de la nature.
Selon le professeur en comptabilité et développement durable à l’Université York Charles Cho, ces enjeux entourant le mode de vie devraient être considérés avant même les arguments financiers lorsqu’une personne envisage un déménagement.
« Est-ce qu’on est prêts à ça, à avoir plus d’espaces verts, mais à abandonner des aspects de la vie de tous les jours? »
Si les migrants interprovinciaux doivent s’adapter à leur nouveau mode de vie, les villes où ils choisissent de s’installer changent, elles aussi.
Le maire de Sackville, Shawn Mesheau, souligne qu’entre les recensements de 2016 et 2021, la population de sa municipalité, à une cinquantaine de kilomètres de Moncton, est passée de 5300 à 6099.
« J’ai toujours été fier de dire que je connaissais tout le monde, maintenant je vois beaucoup de nouveaux visages, c’est une bonne chose pour notre communauté. »
Il affirme que la croissance vient aussi avec son lot de défis, comme celui de fournir les services essentiels aux nouveaux résidents et de permettre l’accès abordable au logement.
Dans la ville de Dieppe, près de Moncton, le maire Yvon Lapierre souligne que la croissance de sa municipalité au cours des dernières années a aussi apporté des défis qui lui étaient jusqu’alors inconnus, comme l'itinérance ou les problèmes de dépendance, par exemple.
« On veut continuer la croissance, on veut en profiter pour toutes sortes de raisons économiques et de raisons sociales. »
Il souligne toutefois que la croissance de sa communauté est nécessaire à son épanouissement et aimerait la voir se poursuivre de manière plus modeste : 5 ou 6 % [de croissance] ce serait viable et on pourrait bien gérer ça
, affirme-t-il.
Compétition déloyale pour les acheteurs locaux
L’arrivée massive d’acheteurs provenant de grandes villes a aussi provoqué une importante hausse des prix.
Jennifer Jones affirme qu’il était devenu très difficile pour les gens de la communauté de rivaliser pour l’achat d’une maison.
Depuis les derniers mois, elle constate que le marché, bien que toujours à l’avantage des vendeurs, s’est quelque peu stabilisé. Les propriétés à vendre sont plus nombreuses, les maisons restent un peu plus longtemps sur le marché.
Le marché immobilier en Ontario a aussi connu des remous au cours des derniers mois et l’agent immobilier Thomas Delespierre croit que ceux qui souhaitaient bénéficier d’une migration interprovinciale ont peut-être raté la fenêtre idéale pour la faire.
« Le moment idéal entre guillemets pour timer le marché est un peu derrière nous. »
Pour Monica Resendes et Nick Chase, la permanence du déménagement est toujours un questionnement.
Elle croyait pouvoir conserver son emploi dans une entreprise de Toronto en télétravail, mais son employeur a modifié ses politiques internes pour exclure l’embauche de personnel habitant à l’extérieur de l’Ontario.
Elle est parvenue à obtenir un autre emploi qui ne comporte pas la même exigence au sein de la même organisation.
Si un retour en Ontario n’est pas hors de question pour la famille, l’aspect financier de la décision revient inévitablement à l'avant-plan.
Même en louant leur maison à Sackville, ils craignent qu’un appartement semblable à celui qu’ils ont laissé à Toronto il y a à peine plus d’un an soit maintenant hors de leur portée.
Le marché locatif dans la métropole canadienne serait plus compétitif qu’avant la pandémie, selon Thomas Delespierre, qui estime que le prix des loyers a augmenté de près de 20 % au cours de la dernière année.