AnalysePourquoi Doug Ford refuse-t-il de témoigner à la commission Rouleau?
L’équipe Ford croit qu’il a plus à gagner qu’à perdre en se tenant loin des audiences, ce qui ne déplaît probablement pas à Justin Trudeau.

Le premier ministre de l'Ontario, Doug Ford
Photo : La Presse canadienne
Doug Ford et sa ministre Sylvia Jones brillaient par leur absence lors de la rentrée parlementaire à Queen’s Park, au lendemain d’une décision pourtant explosive : ils se battront devant les tribunaux pour éviter de témoigner devant la commission Rouleau.
Hier, le premier ministre de l’Ontario a préféré participer à un événement privé de la Chambre de commerce de Toronto, à plus de 100 $ le billet, auquel les médias n'avaient pas accès.
Le message de Doug Ford est sans équivoque : il est prêt à affronter un déluge de critiques, y compris des comparaisons à Donald Trump, qui a été cité à comparaître à la commission d'enquête sur l'assaut du Capitole, plutôt que de s’expliquer.
Quitte à laisser ses opposants l’accuser de se défiler. Une impression alimentée par la révélation, durant les audiences, que Jim Watson et Justin Trudeau estimaient que Doug Ford se dérobait à ses responsabilités pour des raisons politiques.
Pourquoi? Peut-être pour la même raison qu'il s’est tourné vers la Cour suprême pour cacher ses lettres de mandat à la veille du scrutin du printemps dernier, ou qu’il a évité les médias durant la campagne électorale : le piège est trop grand.
La commission Rouleau a déjà révélé que Sylvia Jones, qui était solliciteure générale au moment de l’occupation d’Ottawa, a donné des informations trompeuses aux médias sur le nombre de policiers de la PPO déployés dans la capitale.
De plus, M. Ford a affirmé à la presse qu'on ne lui avait pas demandé de témoigner, alors que des avocats de la commission soutiennent le contraire. Sous serment, Doug Ford et Sylvia Jones seraient contraints de se justifier; un coup d'œil sous le vernis des déclarations offertes jusqu’à présent.

La police de Windsor, accompagnée d'un véhicule de la Police provinciale de l'Ontario de style militaire, devant le pont Ambassador.
Photo : Radio-Canada / Thomas Daigle
Y a-t-il un lien, par exemple, entre l’intervention directe de Washington, le 10 février, qui a offert de l’aide pour mettre fin au blocage du pont Ambassador, et la déclaration d’état d’urgence du gouvernement ontarien le lendemain, décision nécessaire pour libérer le pont?
Doug Ford était-il davantage préoccupé par les relations commerciales entre l’Ontario et les États-Unis et par les sièges qu’il espérait ravir au NPD dans la région de Windsor à quelques mois des élections que par la grogne des résidents de la Ville d'Ottawa?
Spéculations à part, une chose est certaine : le premier ministre ontarien est un électron libre lorsqu’il s’égare des messages clés préparés par ses stratèges. C’est un risque que son équipe n’est pas prête à prendre.
L’histoire montre également que rares sont les politiciens qui ne sortent pas éclaboussés de leur comparution en commission d’enquête. Parlez-en à l’ancien premier ministre ontarien Mike Harris, qui avait perdu la face devant la Commission d’enquête sur Ipperwash.
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Une stratégie légale
Mais qu’en est-il du risque de perdre la révision judiciaire? Si le gouvernement Ford était débouté par un juge, la commission Rouleau pourrait toujours contraindre Doug Ford et Sylvia Jones à comparaître, même après la fin des audiences.
Croyez-le ou non, le gouvernement Ford a un argument très solide
, estime l’avocat constitutionnaliste Paul Daly. Puisqu’un membre d’une assemblée législative ne peut être contraint de témoigner dans une procédure judiciaire pendant une session parlementaire
.
De toute manière, selon Me Daly, Doug Ford pourrait toujours en appeler s’il perd, ce qui ferait traîner la cause bien après le dépôt du rapport du juge Rouleau, à l’hiver 2023.
Manque de courage? Jeu politique déplorable? Pied de nez effronté à la démocratie? Ce sera aux Ontariens d'en juger et ils n’iront pas aux urnes avant 2026.
Mais on n’entendra sûrement pas Justin Trudeau critiquer l’évitement de M. Ford. Le premier ministre provincial le plus puissant du Canada est probablement son plus grand allié, et pas seulement dans cette affaire.

Justin Trudeau et Doug Ford lors d'une annonce la semaine dernière.
Photo : La Presse canadienne / Adrian Wyld
Que les décisions de l’Ontario aient contribué ou non au dénouement de la crise, n'oublions pas que l’objectif de la commission n’est pas d’examiner les actions de Doug Ford et de ses ministres, mais bien d'enquêter sur la décision du gouvernement fédéral d'invoquer la Loi sur les mesures d'urgence.
Si Doug Ford admet que l’Ontario aurait pu en faire plus ou intervenir plus tôt pour mettre fin à la crise, le juge Rouleau pourrait conclure que le recours à la loi n'était pas justifié.