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Sombres perspectives pour l’avenir de l’énergie nucléaire, selon des experts

Délais de construction plus longs, réfections complexes, gestion de déchets contaminés et coûts astronomiques : l’énergie nucléaire est de moins en moins une énergie du futur, selon un rapport publié par des experts indépendants.

Une vaste panneau de contrôle se trouve derrière l'ouvrier.

Salle de contrôle d'une centrale nucléaire en Chine.

Photo : Reuters

Sur fond de crise climatique, de nombreux gouvernements brandissent la carte de l’énergie nucléaire comme une solution viable et efficace pour décarboner le secteur de l’énergie.

Même le ministre canadien de l’Environnement et des Changements climatiques, Steven Guilbeault, voit l’atome comme une solution à considérer

Au pays, on trouve cinq centrales en Ontario, dont deux fermées, une au Nouveau-Brunswick et une au Québec, celle de Gentilly-2, mise à l’arrêt en 2012. En tout, ces centrales abritent 25 réacteurs nucléaires dont six fermés.

Selon la Régie de l'Énergie du Canada, la part du nucléaire dans la production d'électricité au Canada est de 15 %. Et dans la consommation finale de l'énergie le nucléaire représente environ 3 %.

Or, le nucléaire semble perdre de son lustre, selon plusieurs spécialistes indépendants qui ont contribué à la rédaction du World Nuclear Industry Status Report, un rapport exhaustif sur l’état de l’industrie de l’énergie nucléaire dans le monde, produit annuellement depuis 2007.

Une première en 40 ans

On peut y lire que la quantité d’électricité produite avec de l’énergie nucléaire était en hausse de 3,9 % en 2021 dans le monde. Une hausse qui s’explique en partie par la production d’énergie nucléaire chinoise qui, à elle seule, a augmenté de 11 % l’an dernier.

Ces données pourraient donner l’impression que le secteur est en croissance. Mais, pour la première fois en 40 ans, la part de l’énergie nucléaire dans la production mondiale brute d’électricité est passée sous la barre des 10 % l’an dernier.

C’est une diminution de 40 % par rapport à 1996, année où la part du nucléaire dans la production mondiale d’électricité avait atteint un sommet avec 17,5 %.

Les statistiques publiées indiquent aussi que, de 2002 à 2021, 98 nouveaux réacteurs nucléaires ont été connectés à des réseaux d’approvisionnement, dont 50 en sol chinois. Cependant, pour la même période, 105 réacteurs nucléaires ont été mis à l’arrêt, et aucun en Chine.

En 2022, 411 réacteurs étaient en fonction dans 33 pays. Soit 4 de moins que l’année précédente, 7 de moins qu’en 1989 et 27 de moins qu’en 2002, où 438 réacteurs étaient en fonctionnement.

Les cinq plus grands producteurs d’énergie nucléaire, dans l’ordre, sont les États-Unis, la Chine, la France, la Russie et la Corée du Sud. Ensemble, ils sont responsables de 71 % de toute l'énergie nucléaire produite dans le monde.

 On voit les installations, toutes en béton.

La centrale nucléaire de Flamanville-3, en France.

Photo : Reuters / SARAH MEYSSONNIER

Coût des énergies renouvelables moins élevé

Globalement, le coût des énergies renouvelables est maintenant nettement inférieur au prix de la production d’énergie nucléaire, ce qui explique, en partie, son recul.

Les investissements à l’échelle planétaire dans les nouveaux projets de construction d’installations nucléaires l’an dernier se chiffraient à 24 milliards de dollars américains, ce qui représente 6,5 % des investissements pour la production d’énergie.

Au total, c'est 366 milliards de dollars qui ont été investis dans des projets d’énergies renouvelables non hydroélectriques.

Les investissements mondiaux dans le secteur de l'énergie en 2021 sont répartis comme suit : 69 % dans les énergies renouvelables, 23 % dans les énergies fossiles et 8 % dans l’énergie nucléaire.

Les énergies solaire et éolienne représentaient 10,2 % de la production mondiale d’électricité dans le monde en 2021. La production d’énergie nucléaire perd donc du terrain au profit des énergies renouvelables.

Pour nous, ces données démontrent que l’énergie nucléaire n’est pas une solution viable pour nos besoins futurs.

Une citation de Jan Philipp Albrecht, président de la fondation Heinrich Böll

Déclassement des installations

L’âge moyen des 411 réacteurs sur la planète est de 31 ans. Sachant que la durée de vie d’un réacteur est autour de 40 ans (dans certains cas, on autorise des extensions de 20 ans supplémentaires), il faut s’attendre à ce qu’un nombre important de réacteurs ferment dans les prochaines années, précise Alexander James Wimmers de l’Université berlinoise des technologies et coauteur du rapport.

Les statistiques montrent que la durée de vie opérationnelle des réacteurs est souvent presque aussi longue que le temps requis pour déclasser complètement les réacteurs.

La fermeture et le déclassement d’installations nucléaires sont des processus longs, coûteux et complexes et souvent sous-estimés.

Une citation de Alexander James Wimmers, de l’Université berlinoise des technologies et coauteur du rapport

Les coûts et la gestion des démantèlements sont rarement envisagés au moment de la conception des réacteurs. Alors qu’un nombre croissant d’installations nucléaires arrivent en fin de vie ou sont déjà fermées, ces problèmes attirent de plus en plus l’attention du public et des gouvernements, précise le rapport.

À ce jour, seulement 22 réacteurs nucléaires ont officiellement accompli tout le processus de démantèlement sur les 204 réacteurs fermés sur le globe.

Au Canada, à la mi-2022, six réacteurs, dont cinq CANDU, étaient considérés comme fermés. Bien que certaines parties de ces installations soient démantelées, aucun de ces réacteurs n’a encore été déclassé.

Le mirage des petits réacteurs modulaires

Les petits réacteurs modulaires nucléaires continuent d’attirer beaucoup d’attention médiatique dans de nombreux pays. On vante notamment leur rapidité de construction et leur rentabilité financière. Mais la réalité est tout autre, selon les auteurs du rapport.

Ces réacteurs sont actuellement en construction dans seulement trois pays : la Chine, l’Argentine et la Russie. En Chine, on rapporte des délais de construction deux fois plus longs, et en Argentine et en Russie, jusqu’à quatre fois plus longs que prévu.

Les auteurs du rapport estiment que les bénéfices économiques promis par ces petits réacteurs modulaires sont un mirage.

Si en Chine la construction de SMR prend deux fois plus de temps que prévu, imaginez les délais dans les autres pays.

Une citation de M.V. Ramana, professeur à l’Université de la Colombie-Britannique

Pourtant, de nombreux pays, comme la France, les États-Unis et le Canada, continuent d’investir des centaines de millions de dollars, voire des milliards, pour le développement de ces technologies.

Il indique un taux de radiation très élevé.

Un compteur Geiger, tourné vers le réacteur numéro trois de la centrale de Fukushima, fortement endommagé lors du tsunami du 11 mars 2011.

Photo : Reuters / SAKURA MURAKAMI

Fukushima 11 ans plus tard

Le rapport dépeint une situation encore précaire au Japon, 11 ans après la tragédie de Fukushima. Tatsujiro Suzuki, un professeur au Research Center for Nuclear Weapon Abolition à l’Université de Nagasaki, affirme que la situation à Fukushima sur le site et hors site est loin d’être stabilisée.

Les défis à Fukushima sont nombreux.

Une citation de Tatsujiro Suzuki, professeur au Research Center for Nuclear Weapon Abolition à l’Université de Nagasaki

Les autorités japonaises prévoient déverser plus de 1,3 million de mètres cubes d’eau contaminée dans l’océan prochainement. Ce plan est largement contesté tant au Japon qu’à l’étranger. L’eau contaminée est stockée dans plus de 1000 réservoirs. Et la capacité de stockage de ces conteneurs a atteint 96 %. Le gouvernement estime que ces réservoirs seront pleins à l’été 2023.

Le ramassage de débris contaminés (des débris de combustible nucléaire fondu) près de Fukushima devait commencer en 2021, mais en raison de la pandémie de COVID-19, le projet a été reporté à une date ultérieure inconnue. Les autorités ne savent pas comment se débarrasser de ces déchets contaminés. Par ailleurs, l'évacuation de ces débris est particulièrement compliquée car la radioactivité de ces débris est très intense. Seul un robot manipulé à distance peut le faire.

Le nucléaire en temps de guerre

Dans un chapitre entier consacré à l’énergie nucléaire en temps de guerre, on rappelle que le bon fonctionnement d’une centrale nucléaire repose sur un environnement stable. Les employés doivent être bien formés et reposés, et ne doivent pas travailler avec un stress indu afin d’éviter toute erreur pouvant causer de sérieux accidents. La prise de contrôle russe de la centrale de Zaporijia, la plus grande centrale d’Europe, démontre que les centrales peuvent être fragilisées.

Mycle Schneider, l’auteur principal du rapport et consultant indépendant, insiste aussi sur les vulnérabilités physiques des sites nucléaires comme les piscines de refroidissement. Ces piscines ne peuvent pas manquer d’électricité, sans quoi elles ne pourront plus refroidir les pièces radioactives. Et elles ne doivent pas être attaquées.

Or, le spécialiste rappelle que, dans le contexte de la guerre en Ukraine, toutes les règles internationales ont été bafouées. Par ailleurs, les coupures de courant que subit la centrale depuis le début du conflit n’ont rien de normal. Selon lui, une seule coupure de courant est un événement majeur. Pourtant, même si elles se sont multipliées, on ne semble pas s’en formaliser.

Je pose sérieusement la question : sommes-nous en train d’assister à la normalisation de l'utilisation du nucléaire en temps de guerre? Si oui, c’est très inquiétant.

Une citation de Mycle Schneider, auteur principal et consultant indépendant

Par ailleurs, le spécialiste déplore la désinformation qui circule concernant l’énergie nucléaire comme étant une option verte et efficace pour les besoins futurs. Selon lui, les faits parlent d’eux-mêmes. Avec les délais plus longs, les dépassements de coûts, les dangers en temps de guerre et la gestion compliquée des déchets nucléaires, l’atome a réellement perdu de son vernis.

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