Toronto sabre un programme qui permet aux sans-abri de rentrer à la maison
Radio-Canada a appris qu'en septembre, sans crier gare, l’administration Tory a décidé de couper son financement, à hauteur de 182 000 $ par année.

Plusieurs itinérants ayant élu domicile dans un campement au stade Lamport ont dû déménager l'été dernier après intervention de la police (Archives).
Photo : Evan Mitsui / CBC
« Je n'ai jamais compris comment, mais il s'est retrouvé tout seul avec son sac à dos à Toronto. »
Zoé Desjardins n’avait pas eu de nouvelles de son frère Adam (nom fictif*) depuis un moment lorsqu’elle a été contactée par une travailleuse sociale de l'agence Turning Point Youth Services.
Son frère voulait rentrer à la maison, à Gatineau. Mais étant toxicomane et aux prises avec des problèmes de santé mentale, Adam n'en avait pas les moyens.
Il n'avait pas de téléphone cellulaire, il avait perdu son portefeuille, donc il se retrouvait sans ressources. Même si j'avais voulu lui transférer des fonds, ce n'était pas possible.
L'organisme a payé son billet d'autobus et s'est assuré qu'Adam avait un endroit où aller. Il va mieux depuis et suit en ce moment un programme de traitement de six mois pour sa dépendance aux opioïdes.
Une seconde chance qui n’aurait pas été possible sans l’intervention de l’agence, croit Mme Desjardins. Ils ont continué de me contacter des semaines et des mois plus tard pour voir comment il allait.

Zoé Desjardins et son frère.
Photo : Zoe Desjardins
Lancé en 1999, le programme torontois Going Home réinstalle en moyenne quelques dizaines de jeunes, de familles et d'adultes par année à leur demande et à celle de leurs familles, le plus souvent à Montréal, Victoria et Vancouver, mais aussi à l’étranger.
Mais Radio-Canada a appris qu'en septembre, sans crier gare, l’administration Tory a décidé de couper son financement, à hauteur de 182 000 $ par année.
Turning Point Youth Services, qui gère aussi un refuge pour jeunes et offre des services de santé mentale, administre le programme Going Home depuis ses débuts pour le compte de la Ville. Le programme travaille auprès des personnes itinérantes ou en situation vulnérable, comme des victimes de violence conjugale.
Malheureusement, à moins que la Ville ne change d’idée ou que nous puissions trouver une nouvelle source de financement, le programme prendra fin en décembre
, déplore son directeur, Chris Bouchard, qui se dit surpris de la décision.
Puisqu’aucun service semblable n’existe à Toronto, les personnes vulnérables susceptibles d’y avoir recours demeureront dans la rue ou encore dans les refuges, dit-il.
Durant la pandémie, le programme a roulé au ralenti, concède Chris Bouchard, mais il note que la demande aurait augmenté de manière significative ces derniers mois. Elle provient des hôpitaux ainsi que de la part de refuges pour sans-abri et pour familles en difficulté.
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La Ville se défend
La Ville de Toronto reçoit des fonds par l'intermédiaire du Programme de prévention de l'itinérance de l'Ontario (PPI) et du programme fédéral Vers un chez-soi pour fournir des subventions [...] visant à aider les personnes sans abri à atteindre la stabilité du logement
, écrit par courriel le porte-parole de la Ville de Toronto, Anthony Toderian.
Au terme d'un appel d'offres compétitif
, le programme de Turning Point Youth Services aurait obtenu un score moins élevé que d'autres. Au total, 40 propositions ont été soumises et 7 ont été retenues. La Ville n'anticipe pas de pression d'occupation supplémentaire sur les refuges en raison de la fin du programme
, écrit-il.
Les défis liés à l’itinérance sont l’un des thèmes principaux de l’élection municipale qui se déroule à Toronto.
Le maire sortant John Tory a été critiqué durant la campagne électorale et durant son mandat pour le démantèlement musclé de campements de sans-abri dans les parcs de la métropole, des interventions qui ont coûté des millions de dollars aux contribuables.

La police de Toronto a arrêté 26 personnes lors du démantèlement des camps de fortune près du stade Lamport.
Photo : Radio-Canada / Evan Mitsui
La Ville a également annoncé son intention de fermer des refuges temporaires d'ici la fin de l'année, ce qui soulève des inquiétudes.
Pour le Dr Stephen Hwang, titulaire de la Chaire de recherche sur l'itinérance, le logement et la santé de l'hôpital St. Michael's, la décision de mettre fin au programme Going Home est très dommageable
pour ceux qui en ont besoin, mais il souligne que la grande majorité des personnes en situation d'itinérance dans la métropole viennent du Grand Toronto.
Les experts et acteurs du milieu craignent l'arrivée de l'hiver. Nous avons désespérément besoin de plus de logements abordables
, explique le Dr Hwang, qui est aussi professeur en médecine à l'Université de Toronto.
Il critique John Tory, mais aussi la province et Ottawa. Des gens se présentent chaque jour dans les urgences des hôpitaux de la ville, simplement parce qu'ils ont besoin d'un abri
, déplore-t-il.
*Radio-Canada a décidé de préserver l'identité d'Adam, qui préfère conserver l'anonymat pendant qu'il tente de guérir.