Pauvreté dans les Maritimes : « L’hiver va être atroce », disent des intervenants

La Journée internationale pour l’élimination de la pauvreté sera soulignée le lundi 17 octobre.
Photo : Reuters / Eric Gaillard
Au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse, des intervenants communautaires sur le terrain s’inquiètent sérieusement du sort d’un nombre grandissant de citoyens qui vivent dans la pauvreté. L’approche de l’hiver n’a rien de rassurant.
Les conséquences de l’inflation des derniers mois, la question de l’accès au logement et la popularité croissante des banques alimentaires : voilà autant de raisons de s’inquiéter sérieusement du sort d’un nombre grandissant de nos concitoyens, disent-ils.
Auréa Cormier, du Front commun pour la justice sociale à Moncton, travaille sur le terrain et a bien l’impression que la situation empire chez les moins nantis.
Au cours du dernier mois, juste pour Moncton, on a eu 160 demandes d’aide
, relate-t-elle. La majorité, c’est pour du logement : le problème de logement est énorme.
Ce ne sont pas seulement les loyers qui compliquent la donne, précise-t-elle : ce sont aussi le dépôt demandé par les propriétaires et les arrérages accumulés par les locataires.
Les gens vont accumuler des dettes. Ils vont peut-être aller chercher de l’argent chez des prêteurs qui leur imposent un taux d’intérêt de 15 ou 20 % et ils restent pris dans ce trou-là pour des années après sans s’en sortir.
Après le logement, souvent, les gens ont besoin de nourriture, alors on leur donne de la nourriture. Bien de ces gens-là n’ont pas ce qu’il faut pour se payer des meubles
, dit Auréa Cormier.
Selon le directeur général de l’Atelier R.A.D.O. à Edmundston, Yves Sévigny, l’hiver aggravera le cycle de la pauvreté au Nouveau-Brunswick : la province risque de voir de plus en plus de personnes en difficulté au cours des prochains mois.
Avec le prix de l’huile à chauffage, on ajoute encore d’autres pressions sur le budget des familles
, dit Yves Sévigny. Ça va empirer […]. Une fois le loyer payé et le chauffage de fait, il ne restera plus rien. […] L’hiver va être atroce au Nouveau-Brunswick.
Le défi des banques alimentaires
Si Yves Sévigny s’inquiète, c’est avec raison, car la banque alimentaire de l’Atelier R.A.D.O. a enregistré des données alarmantes depuis des mois.
Depuis le début de l’année 2022, on vient de passer le cap des 33 % d’augmentation de nouveaux clients, des personnes qu’on n’a jamais vues auparavant
, affirme-t-il.
Malgré cette hausse de la clientèle, la quantité d'aliments sur les tablettes de la banque alimentaire est approximativement la même que l’an dernier, bien que leurs coûts aient bondi de 20 %, en raison de l’inflation.
Le problème, c'est d’être capable de fournir la quantité de nourriture — nutritive — qui est nécessaire pour tout le monde
, explique Yves Sévigny, qui ajoute avoir constaté que la dernière année a été très difficile pour de plus en plus de gens.

L’Atelier R.A.D.O. a une banque alimentaire, une cuisine communautaire, une friperie et un centre de distribution régional pour les banques alimentaires dans le nord-ouest du Nouveau-Brunswick.
Photo : Radio-Canada / MATHILDE PINEAULT
Yves Sévigny souligne que le gouvernement provincial soutient le réseau avec du financement pour les activités de la plupart des banques alimentaires mais que cela correspond à peu près à 10 % du budget de celles-ci.
Tout le reste, c’est des revenus que je dois aller chercher
, dit-il, des efforts qui sont à refaire chaque mois.
En plus des levées de fonds dans la communauté et des dons d’aliments d’épiceries de la région, la recherche de partenaires devient plus que nécessaire dans la mesure où sa clientèle a augmenté d’un tiers.
Manger ou se loger
La directrice du Centre canadien de politiques alternatives à Halifax, Christine Saulnier, souligne que la pauvreté touche non seulement les personnes à l’aide sociale mais aussi de plus en plus de gens qui travaillent 40 heures par semaine.
C’est très difficile à accepter
, dit-elle. Les services communautaires et les œuvres de charité, c’est eux qui remplissent les lacunes […]. Il y a énormément de gens qui n’ont pas assez d’argent pour les nécessités et pour les biens essentiels.
Mme Saulnier avance que la dernière fois où une réduction de la pauvreté a été enregistrée dans la province, c'était en 2020, lors de la pandémie.
Parce que le gouvernement fédéral a aidé les gens et a donné assez d’argent
, affirme-t-elle.
La même année, le Centre canadien des politiques alternatives avait néanmoins publié un rapport indiquant qu’un enfant sur quatre vivait dans la pauvreté dans cette province.

En 2020, plus de 41 000 enfants vivaient dans la pauvreté en Nouvelle-Écosse, selon un rapport du Centre canadien des politiques alternatives.
Photo : Getty Images / chameleonseye
Il s’agit du plus haut taux de pauvreté infantile dans les provinces de l’Atlantique. La Nouvelle-Écosse se classe troisième au Canada à ce chapitre après le Manitoba et la Saskatchewan.
Pour les enfants, c’est une urgence. On ne veut pas que les enfants vivent dans la pauvreté, ça va leur nuire [toute] la vie
, lance Christine Saulnier, qui ajoute que les bébés de moins de 18 mois représentent le plus grand pourcentage touché par la pauvreté infantile.
On a besoin d’aider ces gens-là qui essaient de prendre soin de leur famille
, dit-elle. Les banques alimentaires, ce devrait être une urgence. Les familles veulent avoir de l’argent pour aller à l’épicerie, comme tout le monde.
Un constat également applicable au Nouveau-Brunswick, selon Yves Sévigny. Des familles se retrouvent à devoir faire le choix dramatique de payer le loyer ou la nourriture. C’est ça, la pauvreté : on est là-dedans. C’est des cycles où on doit faire des choix dramatiques de vie
, assure-t-il.
Un toit au-dessus de la tête
Même en sachant que le problème de la pauvreté est très complexe et qu’il n’y a pas de solution magique, certaines mesures plus urgentes pourraient être instaurées pour améliorer rapidement la situation, selon les trois intervenants.
Le moteur principal qui amène les gens à la rue, c’est le coût inabordable des loyers
, soutient Yves Sévigny. [Beaucoup de choses] sont impossibles à faire si tu n’as pas un toit au-dessus de ta tête.
Selon Auréa Cormier, un plus grand nombre de logements subventionnés par le gouvernement doivent être accessibles, et ce, rapidement.
Elle indique que la ville de Moncton compte à elle seule approximativement 400 sans-abri. Essaie de trouver une chambre ou un appartement abordable… Ça n’existe à peu près pas
, dit-elle.

Un campement de personnes sans-abri au lendemain d'une tempête de neige à Halifax, en Nouvelle-Écosse, le 15 janvier 2022.
Photo : CBC / Steve Lawrence
Il y a beaucoup de personnes qui vivent dans leur voiture
, dit pour sa part Christine Saulnier, qui ajoute qu’il y a un grand nombre de campements de personnes sans-abri dans la capitale néo-écossaise. On ne peut pas vivre dans des tentes en hiver.
Yves Sévigny croit que des mesures de contrôle des hausses de loyer pourraient aussi jouer un rôle déterminant.
Christine Saulnier ajoute qu'il est aussi primordial que les gouvernements améliorent les programmes sociaux et augmentent les prestations pour les moins nantis.
Par ailleurs, un problème social qu’il faudrait régler, selon Auréa Cormier, c’est qu’il existe beaucoup de préjugés envers les gens qui n’ont pas d’argent ou qui doivent faire appel à l’aide sociale.
Si on connaît les pauvres, si on connaît leur histoire, pourquoi ils en sont rendus là, on les appuie, on essaie de les encourager, ça aussi, c’est un facteur important
, suggère-t-elle.
Vivre dans la pauvreté, ça a vraiment un impact sur la santé : sur la santé mentale et sur la santé physique
, indique Christine Saulnier. Ces personnes-là, elles n’arrivent pas à atteindre leur potentiel. On a besoin de tout le monde dans notre communauté.
À lire aussi :
Le lundi 17 octobre, c’est la Journée internationale pour l’élimination de la pauvreté. Des activités ont lieu au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse pour l’occasion.
La section de Moncton du Front commun pour la justice sociale organise une marche et une conférence à 15 h au parc Riverain.
Une rencontre de la Coalition Action de la Nouvelle-Écosse pour le bien-être communautaire a aussi lieu à la Bibliothèque centrale de Halifax à 18 h 30.
Avec des renseignements de l'émission de radio Michel le samedi