Protection du caribou : la MRC de la Haute-Gaspésie pas d’accord sur tout

Une zone de coupes forestières dans la réserve faunique de Matane
Photo : Radio-Canada / Pierre Chapdelaine de Montvalon
Le préfet de la Haute-Gaspésie, Guy Bernatchez, s'oppose à plusieurs recommandations formulées par la Commission indépendante sur les caribous forestiers et montagnards qui visent à protéger cette espèce.
Veuillez noter que le titre de cet article a été modifié pour refléter plus exactement le fait que c'est la MRC qui énonce sa position sur le sujet et non l'ensemble de la Haute-Gaspésie.
La commission propose notamment d'instaurer un moratoire sur toute coupe forestière prévue à l'intérieur de l'aire de répartition du caribou, une très mauvaise idée, selon Guy Bernatchez.
Selon lui, les pertes de volumes de bois soustraits à l'exploitation forestière seraient trop lourdes pour l'économie régionale, ce qui porterait préjudice au tissu social de sa MRC.
Des fois, c’est trop facile de dire qu'on va mettre une cloche de verre et qu'on ne fera plus rien. C’est sûr et certain que quand tu dis à une personne dans les grands centres : "Monsieur, madame, on va doubler ou tripler la superficie du parc de la Gaspésie", eh bien, neuf personnes sur dix vont répondre : "Bien sûr, c’est une excellente idée!", sans savoir ce que ça va avoir comme impact socioéconomique sur la Haute-Gaspésie
, explique-t-il.

Guy Bernatchez, préfet de la Haute-Gaspésie
Photo : Radio-Canada
Pour Guy Bernatchez, l'important consiste à préserver les emplois sur le territoire tout en mettant en œuvre des solutions pour préserver le caribou de la Gaspésie. Toutefois, le préfet n'a pas précisé les solutions qu'il privilégierait à court terme.
Il faut continuer à trouver des solutions pour faire en sorte d'atténuer les impacts négatifs sur notre population. Oui, on pense aux caribous, mais il faut penser aux êtres humains qui habitent le territoire, c'est extrêmement important
, a-t-il indiqué.
Il faut tout mettre en œuvre pour sauver le caribou, mais en même temps, il faut essayer de sauver les meubles au niveau social et économique.
Aménager la forêt pour mieux protéger le caribou?
À long terme, par contre, cet ancien technicien forestier croit que l’industrie forestière a un rôle à jouer dans la préservation du caribou montagnard, notamment en coupant des feuillus autour du parc de la Gaspésie pour les remplacer par un couvert de résineux, qui forment des habitats moins propices aux prédateurs du caribou.
Ça prend des forêts qui sont à 100 % résineuses, et quand elles deviennent matures, elles vont produire du lichen [dont se nourrit le caribou]. Si on fait un aménagement convenable, on pourrait transformer ces forêts de feuillus en résineux pour que ça devienne à très long terme un habitat convenable pour le caribou
, explique-t-il.

Des coupes forestières dans la réserve faunique de Matane
Photo : Radio-Canada / Pierre Chapdelaine de Montvalon
Pour sa part, Martin-Hugues Saint-Laurent, professeur titulaire en écologie animale à l’Université du Québec à Rimouski (UQAR) et spécialiste du caribou, se montre sceptique. Il explique par courriel qu’un couvert plus résineux que feuillu est une bonne idée… mais seulement de 50 à 60 ans après les coupes.
Récolter une forêt – peu importe qu’on la reboise en résineux ou en feuillus après 50 ou 60 ans –, c’est avoir des peuplements très défavorables au caribou pendant plusieurs décennies. Une coupe reboisée en résineux à 100 % est moins dommageable qu’une coupe reboisée en feuillus à 100 %, mais elle reste plus dommageable qu’une forêt mature, même si elle est composée de feuillus
, écrit-il.
Il note aussi que les coupes forestières sont souvent [ou] toujours
associées à la création de chemins forestiers qui favorisent les prédateurs du caribou.

L'aire de répartition du caribou est délimitée par le trait noir pointillé alors que le territoire du parc national de la Gaspésie, plus petit, se limite à la zone verte.
Photo : gouvernement du Québec (tiré du Plan de rétablissement du caribou forestier de la Gaspésie 2019-2029)
Advenant une mise sous cloche de l’aire de répartition du caribou montagnard, il faudrait, selon Guy Bernatchez, intensifier et augmenter la productivité des aires de coupes restantes au moyen des aires d’intensification de la production ligneuse
, aussi appelées AIPL.
S’il faut se tasser des alentours d’où le caribou se trouve, il faudrait accentuer les actions d’AIPL partout sur le territoire pour qu’on garde une capacité forestière de fournir nos usines en place
, explique-t-il.
On veut préserver les usines qu’on a.

Le préfet de la MRC de la Haute-Gaspésie, Guy Bernatchez, s'oppose à l'instauration d'un moratoire sur les coupes forestières dans l'aire de répartition du caribou (archives).
Photo : Radio-Canada / Priscilla Plamondon Lalancette
Protection du caribou et développement touristique
La commission recommande également un moratoire sur l’octroi de tout nouveau bail de villégiature dans l’aire de répartition des caribous
ainsi que des mesures pour y limiter et y encadrer la circulation motorisée.
Une étude d’impacts sur le caribou de la fréquentation humaine du parc national de la Gaspésie devrait aussi être réalisée, croit la commission.
Or, Guy Bernatchez craint que ces mesures nuisent au développement récréotouristique de sa région.
On est en train d’élaborer un plan de développement de la Haute-Gaspésie et des Chic-Chocs. Le parc de la Gaspésie et la réserve faunique des Chic-Chocs, c’est la locomotive pour attirer du tourisme. Il y a beaucoup de ski hors piste qui se fait avec des entreprises privées, c’est merveilleux pour nous. Et on veut développer ça.

Un caribou montagnard dans le parc national de la Gaspésie
Photo : Radio-Canada / Pierre Chapdelaine de Montvalon
Il prend l’exemple de la proposition de Nature Québec de créer l’aire protégée des Vallières-de-Saint-Réal en Gaspésie, qui est recommandée par la commission.
Si on perd ce coin de terrain qui est en dehors du parc, où il y a eu de l’activité récréotouristique dans les dernières années, on perd un beau terrain de jeu
, croit Guy Bernatchez.
On ne se fera pas de cachettes : c’est la Haute-Gaspésie qui va être touchée par les mesures de protection du caribou.
Environnement Vert Plus chatouille
le préfet
Par ailleurs, Guy Bernatchez critique vertement l’organisme Environnement Vert Plus et les pressions de son porte-parole, Pascal Bergeron, afin de mettre en œuvre des mesures pour protéger le caribou.
Cet organisme a réitéré au début de la semaine sa demande d’instaurer un moratoire sur les coupes forestières dans l’aire de répartition du caribou, une prise de position qui chatouille
le préfet de la Haute-Gaspésie.
Ça devient malaisant pour nous parce que c'est nous qui habitons le territoire, c'est nous qui sommes ici. Ça devient agaçant d'entendre certains propos. Moi, je trouve que la vérité est pas mal barouettée d'un bord puis de l'autre, avec des discours extrémistes par rapport aux activités humaines près du parc de la Gaspésie
, lâche-t-il.
Pascal Bergeron rejette ces critiques. Pendant les audiences publiques [de la commission], tout le monde, y compris l'industrie, est venu dire que le rétablissement du caribou passait par la restauration de son habitat. On ne pourra pas restaurer l'habitat du caribou en continuant à couper dedans, à moins que M. Bernatchez ait des solutions magiques à nous proposer.

Pascal Bergeron est le porte-parole d'Environnement Vert Plus.
Photo : Radio-Canada / Louis Pelchat-Labelle
L'écologiste insiste aussi sur le fait que la Haute-Gaspésie n'est pas la seule zone concernée par les mesures de protection du caribou et par les revendications d'Environnement Vert Plus.
La partie sud de l'aire de répartition du caribou de la Gaspésie déborde largement dans une zone d'aménagement forestier qui concerne des industriels des MRC d'Avignon et de Bonaventure, qui sont les MRC où Environnement Vert Plus est actif
, ajoute-t-il.
C'est Québec qui aura le dernier mot, lorsque le gouvernement rendra publique sa stratégie finale sur le caribou forestier et montagnard, d'ici la fin du mois de juin 2023.