Des demandeurs d’asile peinent à obtenir des soins de santé

Reportage de Marika Wheeler
Photo : Radio-Canada / Marika Wheeler
Quand Christian* s’est fracturé le poignet lors d’un match de soccer le 19 août, il ne se doutait pas que les maux de tête occasionnés par ses démarches pour obtenir des soins seraient presque aussi désagréables que sa blessure.
À l’urgence du CHUL
, on lui demande une carte d’assurance maladie, mais le demandeur d’asile de 37 ans n’en a pas.Il présente donc son document d’identification officiel, son document du demandeur d’asile
(DDA), aussi connu sous le nom de papier brun
, qui lui offre une couverture d’assurance par l’entremise du Programme fédéral de santé intérimaire (PFSI).
La première fois, c’est très difficile, très long pour les personnes qui travaillent dans l'hôpital, parce que les personnes ne savent pas comment fonctionne notre statut au Canada.
Après beaucoup de va-et-vient, de questions, de photocopies et l'aide d'une collègue, la commis de l’urgence enregistre Christian et il est évalué par un professionnel de la santé.
Trois jours plus tard, le long processus recommence lors de sa consultation en orthopédie à l'Hôpital Saint-François d’Assise.
[Le médecin] était perdu, fâché, frustré, parce qu'il ne savait pas comment fonctionnait notre statut... Il [nous] demandait comment ça fonctionnait pour la facturation
, dit-il.
Qu’est-ce que le PFSI?
Tout demandeur d’asile arrivant au Canada est couvert par le Programme fédéral de santé intérimaire, qui comprend une assurance de Croix Bleue Medavie pour la période de traitement de la demande, ainsi que 90 jours après la décision.
Le problème, c'est qu’on n’a pas l'information, donc on ne peut pas offrir une solution à la personne qui nous questionne sur notre statut
, explique *Ivonne, la femme de Christian, qui l’a accompagné à ses rendez-vous.
Nous avons seulement un document d'identification et aucune idée comment ça fonctionne
, ajoute-t-elle.
Le couple précise qu’une fois le flou entourant la couverture médicale de Christian dissipé, il a reçu des soins super
de la part d’une équipe souriante et gentille.
Pas un cas isolé
Le cas de Christian est loin d’être unique, explique Paula Torres-Caceres, chargée de projet au Centre multiethnique de Québec.
Selon elle, l'enjeu le plus important par rapport au PFSI, c'est qu'il est méconnu, autant par les fournisseurs de services que par les demandeurs d’asile, qui sont en grande majorité allophones, connaissent peu le français ou l'anglais, et sont parfois analphabètes.
Ignorant le programme, les demandeurs se retrouvent souvent avec une facture immense
, dit-elle.
Ça se règle après, et ce n’est pas si difficile à régler, mais c'est quand même un stress que la personne vit.
Plus de 10 000 demandeurs d’asile ont été pris en charge au Québec entre janvier et août 2022.
Carte d'assurance maladie
La chargée de projet estime qu'étant donné qu’environ 80 % des demandes d’asile sont retenues, il serait plus simple de leur accorder une carte d’assurance maladie temporaire dès leur arrivée au pays.
Elle est d'avis que cette solution serait appropriée, autant pour les professionnels de la santé que pour les demandeurs d'asile.
Même son de cloche de la part de Jean-Marc Tanguay, chef de service à la Clinique santé des réfugiés et responsable du développement des pratiques en interculturel pour le CIUSSS de la Capitale-Nationale.
« D'avoir une cohérence entre le PFSI et la RAMQ viendrait beaucoup faciliter le traitement, parce que les gens seraient beaucoup plus familiers avec l’ensemble des services qui pourraient être donnés. »
M. Tanguay ajoute que le CIUSSS
a développé un outil auquel les agents administratifs du réseau peuvent se référer pour bien comprendre leur couverture médicale ainsi que d'autres clientèles atypiques. Il concède que des rappels et des ateliers de formation sont nécessaires, étant donné le roulement de personnel important en raison de la pénurie de main-d'œuvre.Un programme bien
connu, selon le CHU
Selon Bryan Gélinas, conseiller en affaires publiques au CHU de Québec-Université Laval, les gestionnaires des urgences connaissent bien
le programme. Il précise que la procédure du PFSI est abordée lors de la formation des commis des urgences.
Si un intervenant du CHU est moins familier avec les procédures de ce programme, il pourra toujours se référer à son chef d'équipe qui pourra répondre à ses questions pour bien orienter le patient
, ajoute-t-il, précisant que le CHU a accès à des services d'interprétation si nécessaire.
« Il est important de rappeler que toutes les personnes se présentant aux urgences avec une problématique de santé recevront les soins adéquats sans égard à leur type de couverture. »
Sur le radar d’un député fédéral
Plusieurs groupes et organismes, dont le Centre multiethnique, ont fait part de leurs inquiétudes et frustrations à l'égard du PFSI
lors d’une conférence sur les programmes d’immigration pour les personnes vulnérables au Canada, organisée par le député fédéral Joël Lightbound en septembre dernier.Lightbound, qui a assisté en personne à la rencontre, affirme que les embûches n'étaient pas sur son radar
avant cette rencontre.
Il dit avoir été interpellé par un intervenant qui a fait part de ses inquiétudes face à l'abandon du programme par certains professionnels, car ils jugeaient trop lourd le processus de remboursement.
Lightbound compte présenter un rapport de cette conférence au ministre de l’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada et au caucus libéral dans les prochaines semaines.
Encourager une meilleure adhésion
Des groupes chapeautés par le ministère de la Santé et des Services sociaux sont conscients des obstacles que doivent surmonter les demandeurs d'asile et tentent d’encourager les fournisseurs de soins de santé à offrir des services dans le cadre du programme.
Conjointement avec d’autres organismes, le Centre d’expertise sur le bien-être et l’état de santé physique des réfugiés et des demandeurs d’asile (CERDA) a récemment publié un guide destiné aux fournisseurs de soins de santé.
Selon CERDA, l’inscription au PFSI est facultative et les médecins et autres professionnels peuvent facturer les frais aux personnes détentrices ou refuser d’offrir un service. Seuls les hôpitaux sont tenus de s’inscrire au programme et de prodiguer des soins d’urgence.
Le PFSI n'est pas un mauvais programme en soi, il vient couvrir un vide de service. Il est juste mal connu
, résume Paula Torres-Caceres du Centre multiethnique.
Selon M. Tanguay de la Clinique des réfugiés, l'accessibilité aux soins est l’enjeu le plus important relativement à la santé des demandeurs d’asile.
Lorsqu'on a quelqu’un qui arrive avec des besoins importants et pressants, plus il y a du retard dans l'accès à la santé, plus la situation va se détériorer et on va récupérer dans un contexte d'urgence des situations qui sont plus difficiles.
Il estime qu'un bon accès aux soins de santé est un signe d’une bonne intégration et est une manière d'assurer une rétention des demandeurs d’asile au Québec.
* Radio-Canada a accepté d’identifier ces personnes seulement par leur prénom pour des raisons de sécurité en lien avec leur demande d’asile au Canada.