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Cruauté animale à l’île d’Orléans : le MAPAQ n’a pas sévi

D'ex-employés d'Expédition Mi-Loup dénoncent des situations de négligence et d'abus envers les chiens de traîneau.

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Reportage de Camille Carpentier.

Photo : Radio-Canada / Israel Tanguay

Des chiots mis au congélateur, des animaux malades abattus, des conditions insalubres. D’anciens employés d’un chenil de l’île d’Orléans estiment que les autorités gouvernementales auraient dû intervenir pour sauver des chiens de traîneau.

Plusieurs signaux d’alarme ont été émis en lien avec l’entreprise de balades en traîneaux à chien Expédition Mi-Loup, et ce, bien avant l’arrestation de ses propriétaires. Malgré de nombreuses plaintes et des avis de non-conformité, le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ) n’a jamais sanctionné l’établissement de l’île d’Orléans. Les propriétaires, aujourd’hui accusés de cruauté animale, ont pu continuer à exploiter leur entreprise en toute impunité.

Expédition Mi-Loup a offert des randonnées en traîneau à chien pendant près de 14 ans. Le chenil de Saint-Jean-de-l'Île-d'Orléans, qui a abrité jusqu’à 200 chiens huskys, a cessé ses activités au printemps dernier après la publication d’un reportage de CTV qui exposait des pratiques douteuses, comme l'utilisation d’une chambre à gaz pour euthanasier les animaux.

Quelques jours plus tard, l'endroit a fait l’objet d’une perquisition par la Sûreté du Québec. Selon les informations de Radio-Canada, le MAPAQ avait pourtant observé des situations non conformes à la loi dès 2016.

Les propriétaires, Élizabeth Leclerc et Antoine Simard, ont été arrêtés au début du mois de septembre au terme d’une enquête policière de plusieurs mois. Ils sont notamment accusés d'avoir volontairement tué, blessé, estropié ou empoisonné des animaux. Ils auraient aussi négligé de fournir la nourriture, l’eau, l'abri et les soins convenables à un animal.

Un montage de photos d'Édouard Parent et d'Antoine Simard.

Édouard Parent (à gauche), Antoine Simard (à droite) et Élizabeth Leclerc ont été arrêtés et accusés d'avoir maltraité des animaux.

Photo : Facebook

Un autre homme, Édouard Parent, fait face aux mêmes accusations. Celui-ci a travaillé au chenil pendant plusieurs années, selon nos informations.

Par la voie de leurs avocats respectifs, les trois accusés ont refusé de commenter notre reportage. Le dossier sera de retour en cour le 16 novembre.

Premiers signaux d’alarme

Des documents obtenus grâce à la Loi sur l'accès à l’information indiquent que plusieurs inspections ont été effectuées chez Expédition Mi-Loup, notamment à la suite de plaintes.

Une plainte, datée d’avril 2015, envoie les premiers signaux d’alarme.

« Aucune prise en charge vétérinaire pour les chiens blessés et personne n’est apte à les soigner correctement. Ceux qui ne peuvent plus courir sont tués, tout comme ceux qui sont décrétés ''moches''. Seuls quelques chiots sont gardés, les autres sont tués. »

— Une citation de  Extrait d'une plainte
Plusieurs chiens de traîneau sont attachés à leur niche.

Une photo du chenil prise par un inspecteur du MAPAQ en 2014. Pendant plusieurs années, Expédition Mi-Loup avait à sa garde plus de 200 chiens.

Photo : MAPAQ

Quelques jours plus tard, un inspecteur se rend sur les lieux. Il n’observe rien d’anormal, outre des chaudières d’eau brisées. L’employé note que le propriétaire fait affaire avec un vétérinaire pour l’euthanasie des animaux. Il me confirme ne pas utiliser d’autres méthodes, conclut-il.

Des manquements récurrents

Certaines plaintes ont toutefois entraîné le MAPAQ à délivrer des avis de non-conformité en vertu de la Loi sur le bien-être et la sécurité de l’animal (LBSA) et la Loi sur la protection sanitaire des animaux.

Des résidus de viande jonchent le sol.

Le 11 mars 2016, un employé du MAPAQ observe des résidus de viande dans l'atelier de préparation de la nourriture qui dégage une odeur nauséabonde.

Photo : MAPAQ

Par exemple, lors d’une visite datée de mars 2016, un inspecteur du MAPAQ constate que plusieurs chiots ont été euthanasiés. Il note que la méthode d’euthanasie employée ne correspond pas à celle déclarée sur la demande de permis, sans en préciser la nature.

L’inspecteur constate aussi que le broyeur servant à préparer la nourriture des chiens est souillé et que des bêtes malades ne sont pas séparées de la meute. Les propriétaires sont avisés de se conformer aux articles de la loi. À défaut de ce faire, le ministère prendra les mesures qui s’imposent, est-il précisé.

Au mois d’octobre suivant, une nouvelle inspection est effectuée. Dans son rapport, l’inspecteur martèle à nouveau que la procédure d’euthanasie doit correspondre à celle déclarée lors de la demande de permis.

L’inspecteur remarque aussi que les propriétaires n’utilisent pas une méthode de stérilisation convenable. La stérilisation des chiens est considérée comme un acte vétérinaire, elle doit donc être réalisée par un vétérinaire et non par le propriétaire [...] de l’animal, est-il indiqué.

À nouveau, les propriétaires sont avisés de se conformer à la Loi sur le bien-être et la sécurité de l’animal.

Un chien husky est attaché à un baril bleu qui lui sert de niche.

L'inspecteur qui a visité le chenil en mars 2016 avise le propriétaire que les niches doivent être surélevées du sol.

Photo : MAPAQ

En mars 2018, des situations non conformes à la loi sont à nouveau observées. Un inspecteur rappelle au propriétaire que la stérilisation doit être effectuée par un vétérinaire.

En tout, Radio-Canada a pu consulter six rapports d’inspection rédigés entre 2014 et 2020, dont cinq à la suite d’une plainte reçue. Seulement trois ont entraîné un avis de non-conformité, même si des situations non conformes à la loi ont été observées lors de cinq visites.

Malgré tout, aucune contravention ne semble avoir été donnée. Le MAPAQ a refusé de commenter les informations contenues dans ce reportage.

« Le dossier étant présentement en processus judiciaire, le MAPAQ ne commentera pas le dossier spécifique et les allégations envers lui. »

— Une citation de  Yohan Dallaire Boily, relationniste au ministère

Des chiots dans le congélateur

D’anciens employés d’Expédition Mi-Loup estiment que le ministère aurait dû en faire davantage pour protéger les chiens. Radio-Canada a pu s’entretenir avec neuf ex-employés au cours des derniers mois. La plupart ont témoigné de façon confidentielle, par peur de représailles de la part des propriétaires.

Deux d’entre eux nous ont affirmé ne pas avoir été témoins de situations d’abus envers les animaux durant leur séjour au chenil.

Les sept autres nous ont toutefois raconté avoir été témoins de négligence qui a miné le bien-être des chiens. Deux d’entre eux ont accepté de témoigner à visage découvert. Nous les avons rencontrés en mai dernier.

Mathieu Lambert et Mathieu Lévesque en compagnie de leurs chiens.

Mathieu Lambert et Mathieu Lévesque ont travaillé comme guides chez Expédition Mi-Loup pendant trois et quatre ans.

Photo : Radio-Canada / Nicolas Perron-Drolet

Mathieu Lévesque et Mathieu Lambert ont travaillé comme guides chez Expédition Mi-Loup pendant respectivement quatre et trois ans. Ils n’avaient aucune expérience dans le domaine du chien de traîneau auparavant. De leur propre aveu, leur rêve de travailler avec des animaux s’est rapidement transformé en cauchemar.

De la viande infestée d’insectes, une surcharge de travail pour les employés et les chiens, des animaux blessés abattus d’une balle dans la tête, les deux ex-employés mentionnent un environnement de travail difficile où le bien-être animal était loin d’être une priorité. La façon dont le chenil gérait les portées de chiots non désirées les a particulièrement bouleversés.

« Le contrôle des naissances, ça se faisait après la naissance. »

— Une citation de  Mathieu Lévesque, ex-employé d'Expédition Mi-Loup

Cinq autres ex-employés confirment que très peu de mesures étaient mises en place chez Expédition Mi-Loup pour limiter la reproduction. Ils affirment que les femelles en chaleur n'étaient pas toujours séparées des mâles et que ceux-ci n'étaient pas tous castrés. Résultat : des dizaines de portées voyaient le jour chaque année.

Une chienne s'occupe de ses chiots naissants.

Cette portée a vu le jour chez Expédition Mi-Loup en 2021. D'ex-employés allèguent que des animaux de cet âge étaient régulièrement éliminés pour éviter la surpopulation du chenil.

Photo : Facebook/XP Mi-Loup

Avec un chenil déjà surpeuplé, les chefs-guides avaient la lourde responsabilité de faire disparaître la plupart des nouveau-nés. Nos sources affirment que plusieurs animaux naissants étaient simplement placés au congélateur, où ils succombaient à une mort lente.

Des employés nous ont raconté que certains préféraient abréger la souffrance des chiots en leur cassant le cou. Un geste de compassion envers ces animaux qui auraient, selon eux, été de toute façon tués par les propriétaires.

Personnellement, je détestais ça et je trouvais des moyens détournés pour ne pas le faire, dit quant à lui Mathieu Lambert, qui affirme faire toujours des cauchemars en lien avec son expérience de guide.

Questionné quant à la méthode d'euthanasie qui devrait être privilégiée, le MAPAQ répond que l’euthanasie par injection intraveineuse de barbiturique effectuée par un médecin vétérinaire est la pratique recommandée et devrait être privilégiée dans tous les cas où il est possible de le faire.

Que dit la loi?

La loi permet au propriétaire d’un chenil d’abattre lui-même ses animaux. Il doit toutefois respecter l’article 12 de la Loi sur le bien-être et la sécurité de l’animal, qui prévoit que la méthode employée ne doit pas être cruelle et qu’elle doit minimiser l’anxiété de l’animal. La personne qui effectue l’abattage doit aussi constater l’absence de signes vitaux immédiatement après l’acte. La loi ne précise pas quelle méthode est acceptable. Un nouveau règlement, qui entrera en vigueur en février 2024, interdit l’euthanasie par inhalation pour les animaux de compagnie. L'euthanasie devra aussi être réalisée par un médecin vétérinaire ou sous sa supervision.

La mort plutôt que des soins

Les deux ex-employés affirment également que l’entreprise ne faisait pas régulièrement appel aux services d’un vétérinaire. Selon eux, les animaux trop vieux ou malades étaient aussi régulièrement abattus pour contenir la population du chenil. D’autres employés à qui nous avons parlé confirment ces informations.

« La retraite, c'est un plomb dans la tête. C'était beaucoup, beaucoup de morts inutiles. »

— Une citation de  Mathieu Lévesque, ex-employé d'Expédition Mi-Loup

Mathieu Lambert aurait souhaité que les propriétaires offrent plutôt les animaux en adoption.

Des solutions, il y en avait. Il y en aurait eu bien d'autres. Et facilement, dit-il avec amertume.

Un chien husky boit dans un bol d'eau.

Des employés ont installé une niche temporaire dans la salle de préparation des viandes pour tenter de soigner un chien malade.

Photo : Mathieu Lambert

Ces ex-employés estiment que le MAPAQ, qui a la responsabilité d’appliquer la loi, n’en a pas fait assez pour protéger les chiens de traîneau.

« Il y a un manque de sérieux. On dirait que la loi n'encadre pas bien le chien de traîneau, ou que tout le monde s'en bat les couilles. »

— Une citation de  Mathieu Lambert, ex-employé d'Expédition Mi-Loup

Une loi avec peu de mordant

Les associations de protection des animaux estiment elles aussi que le ministère ne sévit que trop rarement contre les propriétaires d’animaux qui dérogent à la Loi sur le bien-être et la sécurité de l’animal, entrée en vigueur en décembre 2015.

Le MAPAQ est reconnu pour avoir une application très conservatrice, voire laxiste de la loi, confirme Amélie Martel, porte-parole de la Humane Society International Canada.

Selon elle, le ministère ne compte pas suffisamment d’inspecteurs dans ses rangs et est réticent à agir lorsqu’une activité commerciale est en jeu.

Amélie Martel.

Amélie Martel est responsable de la campagne de la Humane Society International Canada et a travaillé à l'application de la Loi sur le bien-être et la sécurité de l'animal.

Photo : Radio-Canada

Le MAPAQ a beaucoup de pouvoirs en vertu de la loi provinciale, souligne-t-elle. Il peut émettre des rapports d'infraction, des amendes, confisquer des animaux, les saisir. Il y a vraiment plusieurs mécanismes qui sont prévus dans la loi. Pourquoi ils ne sont pas utilisés? Je pense que seul le MAPAQ peut répondre à cette question-là.

Le ministère n'a pas souhaité commenter le dossier d'Expédition Mi-Loup.

Il précise toutefois par courriel que 23 inspecteurs travaillent présentement pour le MAPAQ. Entre avril 2021 et mars 2022, ceux-ci ont effectué 42 inspections dans des établissements qui détiennent un permis de garde de 50 chiens ou chats et plus, comme Expédition Mi-Loup.

Saisir pour protéger

Dans un rapport transmis au MAPAQ l’an dernier, l’Association québécoise des SPA et SPCA constate que la saisie des animaux, notamment des chiens, n’est utilisée qu’en tout dernier recours, une fois que plusieurs autres mesures ont été tentées sans s’avérer suffisamment dissuasives. Des bêtes peuvent donc passer des années dans des conditions inadéquates.

L’Association demande que la saisie des animaux soit envisagée plus tôt lorsqu’un cas de négligence est documenté et que la loi soit appliquée de manière plus stricte.

Le MAPAQ a, à plusieurs reprises, refusé aux inspecteurs de SPA/SPCA la permission de retirer des animaux des lieux où ils étaient gardés, même lorsque les infractions à la LBSA étaient claires et qu’il existait un historique de manque de collaboration de la part du propriétaire ou gardien des animaux, peut-on lire dans le rapport.

« Dans certains cas, des accusations et condamnations ont finalement été obtenues au criminel, alors que le MAPAQ avait refusé l’autorisation de mettre en infraction sous la [loi]. »

— Une citation de  Extrait du rapport

Quant à Mathieu Lévesque et Mathieu Lambert, ils souhaitent un changement de mentalité. Mathieu Lambert se souvient encore des noms des chiens qui ont trouvé la mort prématurément. Il souhaite que la vie des animaux ait plus de valeur pour la société québécoise.

Même si je disais ce que j'avais vécu, c'était banalisé. [On me disait] : ''C'est des chiens, pourquoi tu ne passes pas par-dessus?'' C'est pas des chiens, c'est des collègues, souffle-t-il.

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