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Patrimoine bâti : comment éviter l’abandon et la démolition?

L'édifice de trois étages est coiffé d'un clocheton au-dessus du centre de la façade.

Comme plusieurs édifices historiques de Rimouski, les Ateliers Saint-Louis sont présentement inoccupés (archives).

Photo : Radio-Canada / François Gagnon

La préservation des bâtiments historiques, à Rimouski comme ailleurs au Québec, fait régulièrement les gros titres. Les questions sont nombreuses quant à l’importance du patrimoine dans la prise de décisions et dans la vision à plus long terme que, selon certains, les élus devraient adopter. Quelle est la place et l'importance du patrimoine bâti dans notre communauté et comment mieux le protéger?

De vieux édifices abandonnés, à l’avenir incertain, à vendre ou en attente d'une nouvelle vocation… Les exemples s’accumulent au centre-ville de Rimouski et préoccupent les citoyens qui ont à cœur le patrimoine bâti et qui craignent que ces bâtiments soient tout simplement rasés l'un après l'autre.

Est-ce que c’est ce qu’on veut, avoir une ville qui n’a aucune personnalité, aucune histoire? Il faut prendre ça en main, il faut s’en occuper, soutient l’architecte retraité Michel Saint-Pierre, qui est aussi membre du Comité de sauvegarde des Ateliers Saint-Louis.

« On va détruire Rimouski, on va réaliser ce que le feu de Rimouski n’a pas fait en 1950. »

— Une citation de  Michel Saint-Pierre, architecte retraité

Pour M. Saint-Pierre tout comme pour Pascal Gagnon, enseignant en histoire, et pour Amélie Brière, agente de développement en patrimoine bâti dans la MRC des Basques, le patrimoine bâti fait partie de l’identité d’un centre-ville. Or, cette identité pourrait être rapidement altérée dans la mesure où des édifices inoccupés comme la cathédrale et les Ateliers Saint-Louis n'auraient plus que la démolition comme seul sort possible.

Pascal Gagnon, Amélie Brière et Michel Saint Pierre.

Pascal Gagnon, Amélie Brière et Michel Saint Pierre se sont tous trois déjà impliqués au sein de la Société rimouskoise du patrimoine.

Photo : Radio-Canada

« Quand un bâtiment n’est pas occupé, ce n'est pas un gage [ou] une bonne garantie pour son avenir. »

— Une citation de  Pascal Gagnon, enseignant en histoire au Cégep de Rimouski

Souvent, quand on va arriver à préserver un bâtiment, c’est quand on va lui donner une vocation nouvelle ou qu’on va poursuivre sa vocation actuelle. Ça nous permet souvent de les sauvegarder, parce qu’on leur donne une utilité pour la société, mentionne Pascal Gagnon.

M. Gagnon donne l’exemple de la cathédrale de Rimouski, dont l’avenir n’est pas encore assuré. C’est une préoccupation majeure pour une bonne partie des Rimouskois, pour une bonne partie de la communauté.

Mais il y a aussi d’autres bâtiments, comme les Ateliers Saint-Louis. Ça fait très longtemps qu’ils n’ont pas été rénovés, qu’on n’a pas mis d’argent là-dedans, et on voit ce que ça donne présentement : il y a des projets intéressants, mais c’est toujours une question de les faire accepter, de les financer et tout ça… ça devient assez difficile, ajoute-t-il.

La cathédrale de Rimouski.

La cathédrale de Rimouski est fermée depuis 2014 (archives).

Photo : Radio-Canada

Amélie Brière rappelle aussi que bien des églises devront changer de vocation, si ce n’est pas déjà le cas, pour éviter la démolition.

Lorsqu’un bâtiment est utilisé une fois par mois, pour une messe ou pour une activité religieuse, ça ne donne pas beaucoup de vision à long terme [sur la façon dont] le bâtiment va pouvoir évoluer, mentionne-t-elle.

« Il ne faut pas se le cacher : oui, il y a encore des églises qui vont fermer. Ça va continuer : le mouvement est amorcé depuis quelques années. »

— Une citation de  Amélie Brière, agente de développement en patrimoine bâti dans la MRC des Basques

La première phase de l’abandon d’un vieil édifice, voie directe vers la démolition, s’amorce lorsque les propriétaires cessent de le chauffer, indique Michel Saint-Pierre. C’est ce qui fait que ça se dégrade rapidement.

« Il ne faut pas laisser les bâtiments stagner pendant des années, pas chauffés, parce que sinon, on risque d’avoir "l’abandon-démolition" : on abandonne et, ensuite, on justifie la démolition par l’abandon. »

— Une citation de  Michel Saint-Pierre
Des linteaux de fenêtres sont abîmés sur l'édifice des Ateliers Saint-Louis.

Beaucoup de travaux de restauration seraient à faire tant à l'extérieur qu'à l'intérieur des Ateliers Saint-Louis, vacant depuis 2007.

Photo : Radio-Canada / François Gagnon

Selon lui, la société vit actuellement un changement de cycle : On a des bâtiments qui ont une utilité, on les construit avec une fonction et, après plusieurs décennies ou un siècle, dans le cas de la cathédrale, la fonction première n’est plus viable ou le bâtiment ne correspond plus au besoin pour lequel il avait été construit.

Le problème, c’est de trouver des fonctions à ces bâtiments-là et de le faire en douceur, poursuit M. Saint-Pierre, qui croit que les édifices qu’on souhaiterait conserver devraient être chauffés et entretenus au minimum en attendant de leur trouver un nouvel usage viable.

Pour le professeur Pascal Gagnon, il est aussi important de donner à ces édifices une vocation qui va permettre au public d’en profiter.

« C’est sûr qu’on manque d’audace, parfois. »

— Une citation de  Pascal Gagnon

Et il y en a, des projets, il y a plein de besoins qui sont exprimés dans le milieu. Il s’agit de trouver une façon de faire, ajoute Michel Saint-Pierre.

Plan large de la ville de Rimouski l'automne.

La ville de Rimouski fait face à une crise du logement sans précédent (archives).

Photo : Radio-Canada / Simon Rail-Laplante

Quand urbanisme et patrimoine fonctionnent en vase clos

Michel Saint-Pierre estime que de façon générale, lorsque vient le temps de repenser nos villes, l’urbanisme et le patrimoine sont pris en compte séparément, alors que ça devrait être tout le contraire.

La façon dont on gère le patrimoine bâti a des répercussions directes sur notre façon de voir le centre-ville, selon lui. Et ça rejoint justement le fait qu’actuellement, il y a toute une réflexion sur ce que devrait être le centre-ville de Rimouski.

« Il faudrait arrêter d’avoir une approche individuelle pour chaque bâtiment et que la Ville se donne une approche globale pour déterminer comment on fait cette transition-là. »

— Une citation de  Michel Saint-Pierre, architecte retraité

Pour reprendre l’exemple de Rimouski, la Ville fait effectivement une priorité de la revitalisation du centre-ville. La révision du plan d’urbanisme fait notamment partie de son plus récent plan d’action.

L'édifice se trouve au coin de l'avenue de la Cathédrale et de la rue Jules-A.-Brillant.

Telus a récemment mis en vente une de ses propriétés au centre-ville de Rimouski : l'édifice Paul-Émile-Gagnon, qui fait partie de l’inventaire du patrimoine bâti de la MRC.

Photo : Radio-Canada / François Gagnon

En réanimant les buildings, on amène du monde, de la fréquentation, de la vie…, poursuit M. Saint-Pierre. Les espaces de stationnement sont pour lui un problème qui, une fois réglé, ne nuirait plus à l’urbanisme, au patrimoine et, par le fait même, à la relance du centre-ville de Rimouski. Mais malgré cela, est-ce qu’on va utiliser l’auto encore longtemps? se demande-t-il.

L’architecte à la retraite croit aussi que plus de consultations devraient être entreprises avant de prendre des décisions en vue de nouvelles constructions ou de la préservation ou non de bâtiments historiques. Les experts en la matière devraient davantage être mis à contribution dans le processus décisionnel.

Quand il y a des projets importants au centre-ville, la consultation fait défaut. Souvent, on laisse un promoteur arriver avec un projet, travailler avec le conseil municipal, choisir un terrain, engager des professionnels et, deux ans après, il consulte les gens. C’est sûr que là, ça ne marche pas, parce que le projet est déjà ficelé…, décrit Michel Saint-Pierre.

Leviers administratifs et politiques

Pascal Gagnon explique que différents statuts de protection patrimoniale existent au Québec. Le classement patrimonial par le ministère de la Culture est le plus haut niveau de protection au Québec, souligne-t-il. Quand on classe un édifice, c’est parce qu’on se dit que ce bâtiment-là a une importance nationale pour tout le Québec.

Un bâtiment peut aussi être cité par une municipalité ou par une MRC en raison de son importance à l'échelle régionale. Le Grand Séminaire de Rimouski, par exemple, a été cité par la Ville cette année.

Un stationnement devant un édifice de briques.

Le Grand Séminaire de Rimouski (archives)

Photo : Radio-Canada

Quand on fait ça, d’abord, on reconnaît, on dit publiquement : "Voilà un bâtiment qui a une importance, qui a une valeur patrimoniale, historique, et on veut faire quelque chose pour le protéger", indique Michel Saint-Pierre. Parfois, des sommes d’argent offertes par certains programmes peuvent alors être dégagées, mais évidemment, les sommes sont très petites, parce qu’il y a beaucoup d’immeubles et très peu de budget.

Pascal Gagnon est lui-même propriétaire d’une maison citée par la Ville de Rimouski. Quand on fait des rénovations, on travaille avec le Comité consultatif d’urbanisme, avec la Société rimouskoise du patrimoine, on essaie de préserver le bâtiment au mieux. Ça ne repose pas seulement sur mes épaules, les décisions à prendre, mais sur un ensemble d’intervenants, illustre-t-il.

Michel Saint-Pierre rappelle que la Ville de Rimouski a également établi certains périmètres sensibles, appelés sites du patrimoine. Ils visent à favoriser le développement en harmonie avec le patrimoine naturel et bâti tout en encadrant les façons d’intervenir sur le milieu bâti et sur l’environnement, peut-on lire sur le site web de la Ville.

Ça ne veut pas dire que chaque bâtiment qui en fait partie est un bâtiment historique patrimonial, mais l’intérêt, c'est de garder un ensemble, autrement dit, que les bâtiments historiques tirent vers le haut les autres aussi quand on fait des rénovations. À Rimouski, ça a donné quand même de bons résultats si on regarde la rue Saint-Germain Est, par exemple, explique M. Saint-Pierre.

Une statue d'ange au premier plan et le clocher de la cathédrale à gauche.

La politique culturelle de Rimouski a aussi un volet en vertu duquel la Ville s’engage à protéger le patrimoine et à le mettre en valeur. «Toutes ces choses-là, ça vient donner un appui quand on intervient », dit M. Saint-Pierre (archives).

Photo : Radio-Canada / Jean-Luc Blanchet

D'ailleurs, les municipalités ont dorénavant davantage d’obligations quant à la protection du patrimoine. Amélie Brière, agente de développement en patrimoine bâti dans les Basques, explique que le gouvernement a modifié, au printemps 2021, sa Loi sur le patrimoine culturel, de sorte que les municipalités sont désormais tenues d’avoir un règlement relatif à l'occupation et à l'entretien des bâtiments patrimoniaux.

Les municipalités et les MRC ont notamment jusqu’en 2026 pour créer un inventaire qui recense tous les bâtiments construits avant 1940, où il sera indiqué s’ils ont une valeur patrimoniale ou non, explique-t-elle.

Ça va aider les municipalités un peu plus lorsque va venir le temps de faire des règlements de démolition à jour. Quand on a un règlement de démolition comme ça, qui s’arrime avec un inventaire du patrimoine bâti, le but, c’est d’éviter qu’il y ait des bâtiments qui ont une valeur patrimoniale qui soient démolis.

Cette obligation municipale force à davantage de transparence de la part des élus lorsqu’ils doivent autoriser des démolitions, explique Amélie Brière.

« Ça devient peut-être plus difficile pour les municipalités de dire : "Ben, on ne savait pas qu’ils avaient une valeur.” Là, tout le monde va le savoir. »

— Une citation de  Amélie Brière, agente de développement en patrimoine bâti dans les Basques
L'église et le centre-ville de Trois-Pistoles au printemps.

L'église Notre-Dame-des-Neiges de Trois-Pistoles est maintenant classée en tant qu'immeuble patrimonial par le gouvernement du Québec (archives).

Photo : Radio-Canada / François Gagnon

Si Amélie Brière croit, de façon optimiste, que la protection du patrimoine deviendra un réflexe à l’avenir, elle concède que malgré ces nouveaux règlements, des élus peuvent tout de même décider de faire démolir un bâtiment cité, classé ou inclus dans un inventaire s’ils décident qu’ils ne veulent pas le garder.

Le patrimoine, une ressource non renouvelable

Amélie Brière et Michel Saint-Pierre abordent aussi le patrimoine bâti sous l'angle du développement durable.

On a vécu, au 20e siècle, une période d’abondance. Et là, on se rend compte, avec ce qui se passe actuellement, avec les crises qu’on vit, que ce soit la COVID, la guerre et surtout le réchauffement climatique, qu’il va y avoir une rareté. On ne sera plus dans l’abondance. Il va falloir commencer à gérer de façon plus serrée nos avoirs, nos actifs, affirme M. Saint-Pierre.

« Le patrimoine, c’est un actif, pas un passif. Il faut l’exploiter et en profiter. »

— Une citation de  Michel Saint-Pierre, architecte à la retraite

Prenez un immeuble comme les Ateliers Saint-Louis. Imaginez si on les démolit : c’est un gaspillage terrible! poursuit M. Saint-Pierre, qui est membre du Comité de sauvegarde de ce bâtiment rimouskois emblématique. On va envoyer ça dans les sites d’enfouissement… Et il y a toute une valeur physique dans les matériaux, mais on n’a pas les moyens encore de les récupérer comme il faut. Il va y avoir toutes sortes de problèmes qui vont venir avec ça.

Et ce n’est pas gratuit, enfouir des maisons! renchérit Amélie Brière.

À l’instar du projet qui a été déposé à la Ville à la fin septembre par son comité, M. Saint-Pierre plaide pour une conservation du bâtiment, ce qui implique, certes, des rénovations et des ajustements pour lui assurer une occupation rapide, mais sans refonte complète.

Ce sont des espaces utilisables qui sont bons et, en plus de ça, qui ont une valeur symbolique et historique dans notre ville. Il faut le voir de façon globale. Ce n’est pas juste une question de dire qu’on veut sauver un vieux bâtiment parce qu’on veut sauver un vieux bâtiment.

Dans le même sens, Amélie Brière croit qu’il faut voir le patrimoine comme une ressource non renouvelable.

« S’il est détruit, il est détruit. C’est fini, on ne peut pas le reconstruire. »

— Une citation de  Amélie Brière, agente de développement en patrimoine bâti dans les Basques

Et on est justement dans une ère de développement durable : les bâtiments anciens, déjà en partant, étaient pour la plupart des bâtiments solides, faits en bois, avec des matières renouvelables, qui ont un impact écologique moins grand que les bâtiments récents, conclut Mme Brière.

Avec la collaboration de Maude Rivard

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