Pour unifier son parti, Danielle Smith n’a pas le droit à l’erreur
Danielle Smith a remporté la course à la direction du Parti conservateur uni de l'Alberta avec 53,77 % des voix.
Photo : Radio-Canada / Jeff McIntosh
Danielle Smith a remporté la course à la chefferie conservatrice unie par une mince avance, jeudi soir, au terme de six tours de scrutin. Si elle a su adéquatement séduire une part des militants, la prochaine première ministre de l’Alberta a maintenant devant elle un défi de taille : unifier les différentes factions du Parti conservateur uni (PCU).
Lorsque Jason Kenney a démissionné comme chef du parti au printemps, après deux années de pandémie de COVID-19 difficiles, le PCU était très divisé. L’ambiance était toxique, corrosive, parfois.
Bien des membres issus de l’aile Wildrose du parti, en particulier, avaient l’impression de ne pas avoir été écoutés pendant la pandémie, voire trahis par l’imposition de mesures sanitaires, comme le passeport vaccinal. Beaucoup citaient l’arrogance de leur chef comme un problème insurmontable.
Le mariage de raison entre le Parti Wildrose et le Parti progressiste-conservateur battait de l’aile. Seule la crainte de voir le Nouveau Parti démocratique (NPD) de Rachel Notley reprendre le pouvoir semblait garder certains militants au sein de l’union.
Durant cette course, Danielle Smith a démontré son génie politique en mettant le doigt sur ce qui préoccupait le plus une grande faction du parti. Son message de lutte contre Ottawa et de défense des libertés individuelles, particulièrement des personnes non vaccinées, était exactement ce que voulaient entendre des militants qui se sentaient laissés pour compte au sein de leur parti et de la fédération canadienne.
Son projet de loi sur la souveraineté de l’Alberta inquiète cependant plusieurs conservateurs modérés. Ces derniers jours, Danielle Smith a indiqué qu’elle ne recentrerait pas son message pour plaire à un plus grand électorat. Jeudi soir, elle a martelé ses priorités de nouveau dans son discours et n’a pas donné l’impression qu’elle édulcorerait son message prochainement.
Devant un tel discours, les électeurs conservateurs modérés seront-ils confortables au sein du parti avec elle à sa tête? Même s’ils voulaient le quitter, où iraient-ils à huit mois des élections provinciales?
Il est impensable pour bon nombre d’entre eux de voter pour le NPD
, seul autre parti représenté à l'Assemblée législative. Certains choisiront peut-être de voter conservateur quand même, d’autres préféreront rester à la maison. Danielle Smith doit impérativement les rassurer pour les garder au sein de la grande tente conservatrice.Quant aux perdants de la course, ils semblent envisager deux possibilités : accepter de se ranger derrière Smith ou quitter discrètement la politique. Vendredi, Travis Toews, Leela Aheer et Brian Jean ont tous dit qu’ils devraient étudier la situation avant de s’engager à se présenter aux élections du printemps. Chose certaine, aucun ne semble avoir d’appétit pour une guerre larvée au sein du parti.
Une page se tourne sur le style Kenney
Danielle Smith a démontré, jeudi et vendredi, une volonté d’être rassembleuse. Elle a eu de bons mots pour ses adversaires, a indiqué qu’elle souhaiterait en voir plusieurs au sein de son cabinet et précisé qu’elle donnerait de la place à ses députés, qu'elle les écouterait.
Cette écoute, bien des députés et des militants du parti désespéraient de l’obtenir auprès de Jason Kenney. Celui-ci a précipité sa perte en faisant preuve d’arrogance, en n’admettant quasiment jamais ses torts.
En faisant preuve d’ouverture, Danielle Smith se positionne favorablement pour entreprendre le chantier de l’unité du parti. Celui-ci commence par l’unification de son caucus.
Le temps presse : elle devra rassurer les modérés tout en contentant ses partisans, qui s’attendent à ce qu’elle agisse rapidement sur leurs priorités, notamment la lutte contre Ottawa.
Avec une élection partielle dans laquelle elle doit se faire élire et une pause à Noël, Danielle Smith a juste assez de temps devant elle pour accomplir ses objectifs.
Danielle Smith n’a pas le droit à l’erreur
Par le passé, les conservateurs albertains se sont souvent montrés impitoyables envers leurs chefs lorsqu’il commettait de faux pas, les poussant vers la sortie prématurément. Depuis 2006, huit premiers ministres se sont succédé à la tête de la province et la seule qui a terminé son mandat est la néo-démocrate Rachel Notley.
Danielle Smith, elle, a eu toute une leçon en 2014. Après avoir rejoint les rangs du gouvernement de Jim Prentice, alors qu’elle était chef de l’Opposition officielle, son ancien et son nouveau parti se sont rebellés contre elle. Elle a même perdu sa nomination dans sa circonscription contre une quasi-inconnue. Cela a mis fin à sa carrière politique, à l’époque.
Huit ans plus tard, Danielle Smith a su se faire amende honorable auprès de la base militante conservatrice, qui lui offre une deuxième chance inestimable. Contrairement à Jason Kenney, qui bénéficiait de l’appui d’élites conservatrices canadiennes grâce à sa carrière en politique fédérale, Danielle Smith doit tout à la base militante, surtout en milieu rural.
Elle n’avait pas l’appui d’une grande part du caucus durant la course. Cela pourrait se retourner rapidement contre elle si les choses commencent à aller mal, comme Alison Redford l’a appris à ses dépens lors du scandale du Sky Palace, en 2014.
Le jeu d’équilibriste auquel Danielle Smith devra se livrer au cours des prochains mois sera donc particulièrement délicat. Les éventuels mécontents pourraient rapidement se souvenir de ses erreurs passées.
En politique, les troisièmes chances sont rares et le Parti conservateur uni ne peut pas se permettre une autre lutte fratricide.