Préparez-vous à payer des frais pour utiliser votre carte de crédit

Les pourboires ne sont plus acceptés au Larrys, qui préfère augmenter directement les salaires de son personnel.
Photo : Getty Images/iStock Photo / Milan Kostadinovic
À partir du 6 octobre, les commerçants canadiens hors Québec peuvent imposer des frais supplémentaires aux clients qui paient par carte de crédit. Ces frais étaient jusqu’alors interdits par Visa et Mastercard, qui ont dû modifier leur politique à la suite d’un recours légal.
Ces frais supplémentaires ne peuvent pas dépasser les frais que facturent les établissements financiers aux commerçants lorsqu’ils acceptent un paiement par carte de crédit, selon les règles établies par Visa et Mastercard. Aux dires des experts interrogés, ces frais oscillent entre 1 et 3% du montant de la transaction au Canada.
Les entreprises qui choisissent d’imposer des frais supplémentaires doivent en informer la clientèle et préciser clairement leur valeur. Elles sont également tenues d'avertir Visa et Mastercard de leur intention de prélever ces nouveaux frais au moins 30 jours à l’avance.
Cette nouvelle politique ne s’applique pas aux commerçants du Québec puisque la législation québécoise empêche une entreprise de facturer un montant supérieur au prix annoncé. Le commerçant qui exige de tels frais commet une infraction passible d’une poursuite pénale
, note Charles Tanguay, responsable des relations avec les médias de l’Office de la protection du consommateur.
Un sondage mené par la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante (FCEI) auprès de ses membres révèle qu’au moins 19 % des entreprises sondées comptent introduire des frais supplémentaires pour les paiements par carte de crédit.
La plupart des commerçants demeurent indécis sur cette question, selon Jasmin Guénette, vice-président aux affaires nationales de la FCEI. Il y a toujours la crainte de perdre des ventes, de perdre des clients si on implante des frais supplémentaires
, explique-t-il.
C’est précisément l’inquiétude de Nadège Nourian, la propriétaire d’une entreprise de pâtisserie à Toronto.

Nadège Nourian est propriétaire d'une entreprise de pâtisserie à Toronto depuis 2009.
Photo : Radio-Canada / Dean Gariepy
On est dans une inflation extrême. [...] Comment va-t-on passer encore plus de frais aux consommateurs? Ce n’est pas possible
, soutient Mme Nourian. Selon la propriétaire, sa clientèle va se tourner vers ses compétiteurs si elle instaure de tels frais, alors qu’elle a déjà dû augmenter ses tarifs compte tenu de la hausse du prix de ses ingrédients.
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Des cartes de crédit qui coûtent cher aux commerçants
En raison des mesures de distanciation physique, Mme Nourian dit que sa clientèle utilisait presque exclusivement la carte de crédit durant la pandémie. Devant cette tendance forte et la simplicité de traiter cette forme de paiement, elle n’accepte dorénavant plus l’argent comptant dans son commerce.
Bien que les cartes de crédit facilitent la tâche de ses employés, la propriétaire reconnaît que les frais d’interchange constituent une dépense considérable pour son entreprise.

L'interchange consiste en des frais que paie le commerçant à la banque du titulaire de la carte de crédit qui a fait le paiement pour compenser entre autres les avantages de la carte. (Archives)
Photo : La Presse canadienne / Ryan Remiorz
Mme Nourian estime débourser plusieurs dizaines de milliers de dollars par année en frais de transaction, elle qui exploite quatre succursales et embauche une cinquantaine d’employés.
Elle n’est pas la seule à observer une hausse de l’utilisation de la carte de crédit. Selon un rapport (Nouvelle fenêtre) de la firme d’évaluation de crédit Equifax, les dépenses mensuelles associées à cette forme de paiement ont augmenté de 17,5 % au premier trimestre de 2022 par rapport à la même période l’an dernier.
Dans son rapport annuel de 2021 (Nouvelle fenêtre) [en anglais seulement], l’association Paiements Canada note que les récompenses et les remises en argent demeurent la principale raison pour laquelle les consommateurs se tournent vers la carte de crédit.
Quelqu’un doit néanmoins payer la note pour ces avantages, une responsabilité qui incombait jusqu’à présent aux entreprises. Plus la carte offre de privilèges à son détenteur, plus ça coûte cher aux commerçants de l’accepter
, remarque M. Guénette, de la FCEI.
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En 2018, le gouvernement fédéral a signé une entente avec Visa, Mastercard et American Express pour qu’ils abaissent les frais de transaction de leurs cartes à 1,4 % en moyenne pour une période de cinq ans, un taux que le ministère des Finances reconnaît comme l'un des plus élevés du monde.
Compte tenu de ce taux et de la valeur totale des transactions payées par carte de crédit, que Paiements Canada estimait à près de 570 milliards de dollars en 2020, les commerçants canadiens débourseraient environ 8 milliards de dollars annuellement en frais d’interchange.
Des frais supplémentaires rendus possibles grâce à un recours légal
Ces frais jugés déraisonnables par des commerçants ont été la cible en 2010 d’une action collective qui a forcé Visa et Mastercard à permettre aux commerçants d’imposer des frais supplémentaires pour les paiements par carte de crédit.
L’allégation était que les banques et les compagnies de carte de crédit avaient mis en place un système qui [empêchait] la concurrence pour les frais d’interchange
, explique Jeff Orenstein, l’un des avocats qui représentaient les commerçants canadiens dans cette affaire.
Avec ces règles anticoncurrence, les frais étaient plus élevés que dans un marché [libre]
, explique l’avocat du cabinet Consumer Law Group à Montréal.
Aucun verdict n’a été rendu dans ce litige. Plusieurs grandes banques canadiennes ainsi que Visa et Mastercard ont conclu des ententes d’une valeur totalisant 188 millions de dollars avec les membres de l’action collective.
La permission d’imposer des frais supplémentaires aux consommateurs lorsqu’ils paient par carte de crédit était l’une des conditions négociées dans ces ententes.
Les consommateurs plus compréhensifs envers les petites entreprises?
En prévision de ce changement de politique, le géant des télécommunications TELUS a fait une demande en août au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications (CRTC) pour approuver des frais supplémentaires de 1,5 % à ses clients qui paient par carte de crédit.
En un peu moins d’un mois, le CRTC a reçu 4325 messages de Canadiens qui s'opposent à l’imposition de ces frais supplémentaires.
C'est incroyable. Ils ne devraient pas pouvoir nous surcharger pour utiliser une carte de crédit. C'est de toute évidence contre les intérêts des consommateurs. Ils veulent qu'on paie pour payer?
Si c’était une initiative seulement pour les petites entreprises, je serais beaucoup plus favorable [à ces frais supplémentaires]
, soutient Madeline Goetz, une résidente torontoise.
M. Guénette se demande si les consommateurs sympathiseront avec la réalité des petits commerçants. En ce sens, il rappelle que ceux-ci paient des frais d’interchange plus élevés que les multinationales, puisqu’ils ont une capacité de négociation réduite auprès des établissements financiers.
Ça n’a rien à voir. Nous, on leur fait des sourires et s’ils nous disent non, c’est non
, illustre Mme Nourian, qui dit payer 2 % de frais d’interchange en moyenne.
Quant à la demande de TELUS, le CRTC a pour l’instant retardé sa décision. L’entreprise de télécommunications n’a pas répondu aux questions de Radio-Canada.
Les commerçants réclament l’intervention du gouvernement
Lors de la campagne électorale de 2019, le gouvernement libéral avait promis de réduire les frais d’interchange imposés aux commerçants, un engagement réitéré dans le budget de 2021.
Il n’y a rien qui a été fait à ce moment-ci
, soutient M. Guénette. La FCEI dit continuer à faire pression sur Ottawa pour que le gouvernement réalise sa promesse.
Lorsque le ministère des Finances a annoncé son entente avec les trois réseaux de cartes de paiement en 2018, il faisait miroiter aux petites et moyennes entreprises canadiennes des économies de 250 millions de dollars par année, et ce, pour une réduction de 0,1 point de pourcentage des frais en moyenne.
Les PME aimeraient que le gouvernement fédéral poursuive ses efforts. Il faudrait peut-être aider plus les petits commerces que les grosses entreprises qui font plein de profits
, estime Mme Nourian.
Par courriel, Adrienne Vaupshas, l’attachée de presse de la ministre des Finances, Chrystia Freeland, soutient que le gouvernement s’est engagé à réduire les coûts associés aux frais de carte de crédit d'une manière qui sera bénéfique aux petites entreprises et qui protégera les points de récompense existants pour les consommateurs.
Mme Vaupshas n’a pas donné d'échéance pour la réalisation de cet engagement.
Pour sa part, la FCEI a sommé le gouvernement québécois de s’aligner avec les autres provinces du pays et de permettre aux commerçants d’imposer des frais aux clients qui paient par carte de crédit.
L'Office de la protection du consommateur dit ne pas avoir connaissance d’un projet de changement législatif à ce sujet au Québec.
Au moment de la publication, Visa et Mastercard n’avaient pas répondu aux questions de Radio-Canada.