Vaccination dans les transports : le gouvernement fédéral veut que le recours soit annulé
Les plaignants demandent à la Cour fédérale d'entendre leur cause, même si la vaccination n'est plus obligatoire pour voyager en avion ou en train.

Une voyageuse dans un aéroport au pays vérifie son passeport vaccinal sur son téléphone, tout en tenant un masque et une carte d'embarquement.
Photo : getty images/istockphoto / Ridofranz
Le gouvernement demande aux tribunaux d'annuler la requête des plaignants, qui contestent la constitutionnalité de la vaccination obligatoire dans les transports au Canada. Il prétend que la cause est devenue caduque, puisque cette mesure a été abandonnée il y a trois mois. Les plaignants soutiennent que le litige mérite au contraire d'être entendu sur le fond.
Tous les plaignants dénoncent la vaccination obligatoire contre la COVID-19, qui a été décrétée à l'endroit des voyageurs dans les avions et les trains au pays. Cette mesure est entrée en vigueur en septembre 2021 avant d'être retirée en juin 2022. Ils demandent à la cour d'annuler la requête en radiation du gouvernement fédéral.
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La Cour fédérale a rassemblé toutes les plaintes en une seule cause parce qu'elles portaient toutes sur le même enjeu : la constitutionnalité de l'obligation vaccinale.
Outre des citoyens au pays, l'ancien premier ministre de Terre-Neuve, Brian Peckford, et le chef du Parti populaire du Canada, Maxime Bernier, sont au nombre des demandeurs.
Le recours constitutionnel porte également sur une poursuite en dédommagement de Shaun Rickard et de Karl Harrison contre le gouvernement. Les deux Canadiens sont originaires l'un de l'Ontario, l'autre de la Colombie-Britannique.
Ils affirment qu'ils n'ont pu aller au Royaume-Uni voir leur famille durant cette période [ils ont la double nationalité] parce qu'ils ne sont pas vaccinés.
L'audience de mercredi à Ottawa portait sur la caducité de la mesure, puisque l'obligation d'être vacciné n'existe plus aujourd'hui dans les transports aérien et ferroviaire au Canada. Le recours est toujours prévu à l'horaire de la Cour fédérale à partir du 31 octobre.
Position du gouvernement
Les avocats du gouvernement fédéral affirment qu'il n'y a plus lieu d'entendre le recours, puisque l'obligation vaccinale a été suspendue le 20 juin 2022 par le ministère des Transports.
Le procureur Sanderson Graham explique qu'il n'existe plus aucune controverse à ce sujet et que la loi a été abrogée au début de l'été. Il est aujourd'hui possible de voyager partout au Canada sans être vacciné
, dit-il.
Il soutient que la Cour fédérale perdrait inutilement temps et ressources si elle devait entendre la demande de révision judiciaire des plaignants.
C'est une mauvaise utilisation des ressources judiciaires et il serait inapproprié pour cette cour d'aller au-delà de son rôle d'adjudicateur dans cette affaire
, dit-il en parlant de gaspillage des ressources
, qui sont rares selon lui.
Il rappelle que la Cour fédérale a toute la latitude pour annuler le recours à la lumière de la jurisprudence selon laquelle ce tribunal peut refuser d'entendre le litige sur une cause qui est maintenant devenue hypothétique dans l'éventualité où le gouvernement remettrait la mesure en place.
Le fait de s'avancer en conjectures n'est pas suffisant pour entendre le litige sur le fond
, précise-t-il.
Une décision de la Cour fédérale dans ce dossier n'aurait de toute façon, selon lui, aucun effet sur les droits des plaignants
ni ne pourrait résoudre la controverse
. La cause est abstraite et discutable selon lui.
Il souligne que les circonstances changent au fur et à mesure que la pandémie évolue dans le monde et au pays. Il n'existe pour l'heure aucune raison pratique de trancher le litige, selon lui.
Il ajoute que la vaccination obligatoire devait assurer la sécurité des passagers dans les transports. Tous les défis de la santé publique sont uniques
, dit-il en précisant que la décision de rendre la vaccination obligatoire dans les transports était fondée sur la science.
Selon lui, les plaignants ont obtenu la solution qu'ils recherchaient lorsque la mesure a été annulée, parce qu'ils peuvent voyager maintenant sans restriction depuis trois mois.
Le procureur assure que le gouvernement peut réajuster le tir à la lumière de la situation sanitaire et de l'évolution de la pandémie ou de l'apparition de nouveaux variants, mais cela ne signifie pas qu'il compte introduire à nouveau la vaccination obligatoire dans les transports aérien et ferroviaire. Il n'existe aucune preuve à cet effet
, dit-il.
Il existe par ailleurs une possibilité que la Cour fédérale s'immisce dans la sphère du pouvoir législatif si elle doit rendre une décision dans cette cause après avoir entendu les arguments des parties sur le fond.
La mesure a de toute façon été abolie, si bien que la Cour ne peut prononcer un jugement sur une cause qui est devenue caduque
, précise-t-il.
Il conclut que le litige n'a plus aucun fondement et que la requête des plaignants est irrecevable.
Position des plaignants
L'avocat de Shaun Rickard et Karl Harrison, Sam Presvelos, soutient d'entrée de jeu que la cause de ses clients est au contraire bien fondée et qu'elle n'est pas caduque. La controverse n'est toujours pas résolue et l'enjeu est toujours aussi constitutionnel
, dit-il.
Il ajoute qu'il n'existe aucune preuve que le gouvernement n'ait plus l'intention de réintroduire la mesure dans les transports. La directive ministérielle n'a été que suspendue et rien ne dit qu'une telle mesure ne sera plus utilisée dans l'avenir
, rappelle-t-il.
Me Presvelos affirme que le gouvernement pourrait recycler
ou réviser
la mesure dans un avenir rapproché ou encore exiger une troisième dose de vaccin pour les voyageurs selon la saveur du virus du jour
.
Il cite des communiqués de presse et des avis ministériels dans lesquels il est écrit que la mesure n'a été que suspendue et que le gouvernement n'hésitera pas à faire des réajustements à partir des recommandations de la santé publique.
Même le ministre Dominic LeBlanc parle d'une suspension, de sorte que le gouvernement pourrait remettre en place la vaccination obligatoire dans les transports
, poursuit-il.
Selon ses propres mots, le gouvernement se garde le droit de réintroduire cette mesure sans hésitation avec le risque de violer les droits constitutionnels des non-vaccinés
, renchérit-il.
Il précise qu'il n'est écrit nulle part que le gouvernement fédéral renoncera à l'avenir à rendre à nouveau le vaccin obligatoire dans les transports.
Sur la question du gaspillage des ressources, Me Presvelos affirme que la Cour fédérale a déjà engagé des dépenses dans ce litige depuis que des documents y ont été déposés en janvier 2022 dans le cadre du recours constitutionnel prévu en octobre.
Nos clients ont produit d'importantes preuves sur les violations qu'ils ont endurées durant la période pendant laquelle la vaccination était obligatoire dans les transports
, ajoute-t-il.
L'avocat ajoute que la vaccination obligatoire a soulevé des défis constitutionnels que la Cour doit prendre en considération, parce que des droits contradictoires s'entrechoquent dans cette affaire, comme le droit des uns à voyager sans être vaccinés et le droit des autres à être protégés contre les non-vaccinés.
Or, ceux qui ont voulu protéger leur santé en refusant d'être vaccinés ont dû renoncer à voyager
, explique-t-il.
Les Canadiens ont le droit, selon lui, de savoir s'il était justifié de recourir à une mesure aussi restrictive. Il accuse le gouvernement d'avoir pris une décision grave d'ordre sanitaire sans savoir si elle aurait un impact sur les droits constitutionnels des citoyens. Or, des politiques anticonstitutionnelles ne devraient pas être tolérées
, ajoute-t-il.
Il est en outre important, selon l'avocat, de régler le litige dans l'éventualité d'une autre pandémie. L'intérêt public de ce litige reste donc important
, précise-t-il.
Position d'un citoyen
Le citoyen Nabil Ben Naoum, qui s'est défendu seul en français, a par la suite eu des mots très durs contre le gouvernement au sujet de son programme de vaccination obligatoire.
Il estime que le coût social du préjudice que les Canadiens ont subi est exorbitant
et qu'ils paieront les pots cassés dans l'avenir
.
Le contrat social a été rompu et le gouvernement a créé deux catégories de citoyens
, dit-il.
Il croit que l'analyse juridique de la décision d'imposer la vaccination obligatoire dans les transports doit être soumise à la Cour fédérale.
M. Ben Naoum ajoute que la cause n'est par ailleurs pas du tout caduque. Elle est toujours actuelle, elle est même perpétuelle
, poursuit-il.
On nous a remis un droit qui n'aurait pas dû être pris dans un premier temps
, dit-il en faisant référence à la suspension de la directive.
Plus jamais je ne veux vivre emprisonné comme dans le passé
, affirme-t-il en soutenant que la loi a créé une ségrégation au pays.
Il ne nous reste qu'une chance : que le pouvoir judiciaire ne nous tourne pas le dos
, souligne-t-il.
Il demande à ce que la requête en radiation du gouvernement soit rejetée parce qu'il existe un danger que la Cour fédérale envoie un message selon lequel les tribunaux sont complaisants
si elle décide de ne pas entendre le litige en octobre.
Je comprends la raison pour laquelle le gouvernement cherche à éviter de nous entendre : sa position est embarrassante
, conclut-il.
La juge Jocelyne Gagné a mis la cause en délibéré jusqu'à une date indéterminée.