Voyage au milieu du champ profond de Webb
L’astrophysicien André Grandchamps du Planétarium Rio Tinto Alcan analyse l’image du premier champ profond du télescope James Webb.

Le premier champ profond du télescope James Webb.
Photo : NASA
Au-delà de sa céleste beauté, qu’est-ce qu’il est possible d’apercevoir sur cette image décrite comme la plus profonde de l'Univers captée à ce jour?
La réponse est courte, mais évocatrice : des milliers de galaxies – dont certaines des plus lointaines qui nous apparaissent pour la première fois grâce aux instruments NIRCam et MIRI du télescope James Webb. Ces deux imageurs, appuyés par le détecteur de guidage de précision canadien, qui permet de pointer vers une cible avec une extrême précision, observent l’Univers dans l’infrarouge proche et moyen. Ces longueurs d’onde traversent les nuages de poussière et dévoilent des objets célestes qui restaient invisibles aux autres télescopes tel que Hubble.

L'amas de galaxies SMACS 0723 tel que vu par Webb (à gauche) et Hubble (à droite).
Photo : NASA/ESA
Commençons par rappeler que la photographie correspond à une toute petite partie du ciel de l’hémisphère Sud située dans la constellation du Poisson volant. C’est comme si on tendait vers le ciel un petit grain de sable entre deux doigts
, rappelle André Grandchamps.
Le cliché montre l’amas de galaxies SMACS 0723. Les galaxies qui forment cet amas se trouvent vers le centre de l’image et prennent l’apparence de cercles blanchâtres flous avec un peu de nébulosité autour dans les teintes de gris
, note l’astrophysicien.

Les galaxies de l’amas correspondent aux taches blanches floues, dont certaines des plus brillantes se trouvent au centre de l'image.
Photo : NASA/ASC/ESA
Il ne faut pas les confondre avec les étoiles, qui se trouvent au premier plan de l’image.
Les astres qui apparaissent avec six lignes bleutées autour d’eux sont des étoiles de notre galaxie qui se trouvent dans notre champ de vision, entre l’amas et nous
, note M. Grandchamps.

Des étoiles de notre galaxie se trouvent dans notre champ de vision, entre l’amas et nous.
Photo : NASA/ESA/ASC
Si ces étoiles de la Voie lactée se trouvent à quelques dizaines de milliers d'années-lumière, les galaxies de l’amas, elles, sont bien plus éloignées à environ 4,6 milliards d'années-lumière de la Terre.
La lumière que ces galaxies renvoient a donc été émise peu avant la formation de notre planète.
Un amas comme une loupe
L’importance de la masse de l’amas déforme l’espace-temps autour de lui. Cet effet de lentille gravitationnelle amplifie la lumière émise par les galaxies plus lointaines qui se trouvent derrière. Elles apparaissent dans l’image sous la forme de taches orangées plus sombres et souvent étirées autour de l’amas.

Gros plan sur une galaxie lointaine entourée de deux galaxies de l'amas SMACS 0723.
Photo : NASA/ASC/ESA
Vous en avez un bel exemple vers la droite en allant en haut de l’image. Les deux points blanchâtres sont deux galaxies de l’amas. L’espèce de crête orangée aplatie entre les deux est une galaxie lointaine.
La distance de cette crête orangée n’est pas encore connue, mais plusieurs galaxies qui se trouvent derrière l’amas se situent entre 11 et 13 milliards d’années-lumière de la Terre.
La plupart des petites galaxies orangées se trouvent très loin. La distance de l’une d’elles, qui n’est pratiquement pas visible sur l’image complète, est estimée à 13,1 milliards d’années-lumière.

Le point orangé situé au plus bas à gauche du centre correspond à une galaxie située à 13,1 milliards d'années-lumière.
Photo : NASA/ESA/ASC
M. Grandchamps ajoute que les points orangés très petits ne sont pas nécessairement les plus lointains. Ils peuvent aussi appartenir à des objets qui sont intrinsèquement petits. Pour savoir si un objet est très loin, il faut l’évaluer.
L’instrument NIRISS canadien (pour imageur et spectrographe sans fente dans le proche infrarouge) permet d’étudier les objets célestes afin d’en établir la composition, mais aussi pour en mesurer la distance.
En décomposant la lumière émise par un objet céleste grâce à la spectroscopie, il est possible d’en connaître la composition et la distance. C'est que chaque élément chimique dans l’Univers présente des caractéristiques différentes, un genre d’empreinte digitale chimique. Par exemple, les caractéristiques de l’hydrogène sont différentes de celles de l’hélium et du lithium
, explique M. Grandchamps.
L’effet de lentille peut parfois créer un effet miroir. Le phénomène est observable à gauche et à droite de l’amas central. Il est possible de voir chacune des galaxies deux fois, ce qui forme des arcs lumineux. En outre, l'image de Webb révèle distinctement leur noyau brillant, rempli d'étoiles, ainsi que les groupes stellaires orange le long de leurs bords.

Ces arcs sont des images miroirs de la même galaxie. La lumière de l'arc à gauche de la ligne bleue du centre (image initiale) a été émise il y a 9,3 milliards d'années.
Photo : NASA/ESA/ASC
Les deux lignes orangées aplaties qui sont au-dessus de l'autre, en bas de l’image, possèdent la même signature spectrale, donc présentent les mêmes compositions chimiques. Elles appartiennent probablement à une même galaxie
, note André Grandchamps
Il est également possible de voir une galaxie tachetée d'amas stellaires; elle se situe tout près de l'extrémité de la ligne bleutée verticale de l'étoile du centre, à droite d'un long arc orange. On peut y voir des poches d'étoiles en formation réfléchies de haut en bas.

La galaxie tachetée apparaît au centre de l'image.
Photo : NASA/ESA/ASC
Le champ profond révèle aussi de nombreux types de galaxies, comme une galaxie spirale, visible à droite de l’image originale.

Cette galaxie est de type spirale, comme notre Voie lactée.
Photo : NASA/ESA/ASC
Repères
- C’est le président américain Joe Biden qui a dévoilé l’image désormais historique lors d’un événement tenu le 11 juillet à la Maison-Blanche, six mois après le lancement en orbite de James Webb.
- Le champ profond du télescope James Webb est le huitième du genre publié depuis 1995. C’est au télescope Hubble que revient l’exploit du tout premier champ profond. L’instrument en a capté quatre autres, dont le dernier (champ extrêmement profond) remonte à 2012. Les autres champs profonds ont été pris à l’aide des télescopes Chandra (1999) et du Très Grand Télescope de l’Observatoire européen austral (2012).
Encore plus près du big bang
Le champ profond de Webb montre le même amas d’étoiles que celui réalisé avec le télescope Hubble.
C’est totalement volontaire parce ce qu'on voulait comparer les deux télescopes. Avec seulement 12 heures d’exposition, Webb a obtenu une image à peu près d'aussi bonne qualité des objets très lointains qu’Hubble a pu le faire en 100 heures. On peut maintenant rêver aux résultats qu’obtiendra le téléscope Webb avec le même temps d’exposition!
Les capacités techniques de Webb permettraient de remonter le temps et, peut-être, de voir les premières galaxies et étoiles qui se sont formées entre 500 000 ans et un milliard d’années après le grand boom formateur de l’Univers.
On n’avait jamais eu d'instruments qui nous permettaient d'espérer les voir, c’est maintenant possible. On sait qu'elles sont apparues un jour parce qu'on est là aujourd’hui
, s’enthousiasme André Grandchamps.
Il utilise ce parallèle pour illustrer le travail que souhaitent accomplir les scientifiques : Imaginez-vous des extraterrestres qui arrivent sur Terre et qui ne rencontrent que des humains adultes. Ils vont se demander d’où on vient! Ils finiront par trouver une garderie et une pouponnière et comprendre notre évolution. Trouver la pouponnière (primordiale) d’étoiles, c’est un peu ce à quoi Webb travaille. C'est certain qu'on voit plus d’étoiles et de galaxies adultes parce qu'elles passent plus de temps de leur évolution dans leur "vie adulte".