Le réchauffement climatique ne peut être soumis à l’arbitrage des tribunaux, dit l’Ontario
Le gouvernement Ford défend bec et ongles ses politiques environnementales que contestent sept jeunes Ontariens.

Les conservateurs ont revu dès leur arrivée au pouvoir la portée des politiques des libéraux en matière de lutte contre le réchauffement climatique.
Photo : La Presse canadienne / Darryl Dyck
Au deuxième jour des audiences à Toronto, le gouvernement Ford demande à la Cour supérieure de l'Ontario de rejeter la requête du groupe Ecojustice, qui tente de forcer la province à adopter des cibles de réduction de gaz à effet (GES) de serre beaucoup plus ambitieuses. Le groupe représente sept jeunes Ontariens qui soutiennent que le plan vert des conservateurs brime leurs droits constitutionnels.
Quelques mois après son élection en juin 2018, le gouvernement de Doug Ford avait revu à la baisse, dès son premier mandat, les cibles de réduction des émissions de gaz à effet de serre en Ontario.
Il les avait fait passer de 37 % à 30 % d'ici 2030, mais par rapport au niveau de 2005 et non plus ceux de 1990, comme le prévoyait le précédent gouvernement libéral.
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Or, le groupe Ecojustice soutient qu'un tel plan environnemental hypothèque l'avenir de la jeunesse et brime les droits constitutionnels des sept jeunes plaignants.
Il demande donc l'intervention des tribunaux, parce que les conservateurs n'en font pas assez, selon lui, pour réduire les émissions polluantes.

Les sept jeunes plaignants sont soutenus dans leur cause par le cabinet d'avocats Stockwoods LLP, de Toronto, et les avocats du groupe Ecojustice.
Photo : Radio-Canada / Evan Mitsui
Une révision judiciaire lui permettrait éventuellement d'obliger la province à relever les cibles de réduction de manière à sauvegarder l'avenir des générations futures et de protéger les droits des plaignants à la vie, à la sécurité et à l'égalité des chances.
Droit de réplique
L'avocat du gouvernement, Zachary Green, soutient que les changements climatiques ne peuvent être soumis à l'arbitrage des tribunaux, qui n'ont pas la compétence, selon lui, pour tenter de résoudre des problèmes d'ordre politique. La lutte contre le changement climatique relève de politiques publiques
, dit-il.
Il n'existe aucune norme juridique pour évaluer toute requête sur l'établissement d'un niveau d'émissions fondé sur la science dans le but d'assurer un avenir durable ou de calculer la juste part des émissions mondiales de l’Ontario en matière d'émissions polluantes.
Me Green soutient que l'Ontario ne conteste pas la réalité du réchauffement climatique mondial, ni les risques pour la santé et le bien-être des humains, ni même la possibilité pour toutes les nations de prendre des mesures pour atténuer ses effets néfastes.

Les pétrolières situées sur la rue Vidal à Sarnia, en Ontario (archives)
Photo : Radio-Canada / Frédéric Pepin
Il affirme néanmoins que la requête des sept plaignants repose sur l'hypothèse erronée que le plan ciblé qu'ils contestent autorise le niveau d'émissions de GES dans la province
. Or, l'objectif du gouvernement n'autorise ni ne réglemente, selon lui, aucune émission de GES.
L'avocat soutient que le plan vert n'impose en fait aucune obligation légale ni aucune interdiction à qui que ce soit. Il ne présente en fait que des cibles raisonnables à atteindre, selon lui.
Me Green ajoute que les plaignants ne demandent aucune réparation en ce qui concerne les lois provinciales qui réglementent les émissions de GES ou les industries qui émettent des GES.
Si le plan était révoqué ou invalidé par ce tribunal demain, la capacité légale d'une entité à produire de tels gaz en Ontario ne serait en aucun cas affectée
, poursuit-il.

L'ancien ministre de l'Environnement, de la Protection de la nature et des Parcs, Rod Phillips, est celui qui a mis en place le Plan vert de la province en novembre 2018.
Photo : Assemblée législative de l'Ontario
L'avocat souligne qu'il revient aux plaignants de prouver que l'action de l'État en matière d'environnement causera des dommages irréversibles sur la santé des jeunes générations. Or, ils n'ont aucune preuve à cet effet
, dit-il.
Me Green souligne que rien ne prouve non plus que leur santé et leur sécurité seraient davantage sauvegardées en 2030, parce qu'on ignore si les émissions produites en Ontario sont responsables des désastres naturels dans la province.
Il affirme que la démarche des plaignants est en ce sens inappropriée. Est-ce que ce tribunal compte ordonner au gouvernement d'obliger chaque citoyen dans la province à réduire son empreinte carbone?
ironise-t-il.

L'actuel ministre de l'Environnement, de la Protection de la nature et des Parcs, David Piccini
Photo : CBC / Robert Krbavac
La requête des plaignants n'a ainsi aucun bien-fondé selon lui, parce que ce litige n'a rien à voir avec la Charte canadienne des droits et libertés.
Rien ne prouve de toute façon que les inondations, la sécheresse ou les incendies de forêt auront un impact encore plus sévère sur leur santé dans un avenir prévisible
, précise Me Green.
L'avocat souligne que la Charte ne garantit en outre aucun droit aux plaignants d'exiger des cibles particulières de réduction des gaz à effet de serre.
Selon lui, le réchauffement planétaire est un problème complexe, qui ne peut être résolu à l'intérieur des frontières de l'Ontario.

Le premier ministre de l'Ontario, Doug Ford, visite une zone inondée dans l'est ontarien en avril 2019.
Photo : La Presse canadienne / Adrian Wyld
Or, les exemples que les plaignants présentent au sujet des dangers du réchauffement climatique ne portent pas sur la situation propre à l'Ontario, mais bien sûr celle à l'échelle de la planète.
Me Green affirme que les émissions de GES ne représentent que 0,33 % de toutes les émissions de tels gaz sur la planète et que les émissions à l'échelle mondiale vont augmenter d'ici 2030, notamment de façon importante en Inde et en Chine.
Dans leurs déclarations sous serment, les experts des plaignants n'ont pas tenté de quantifier le degré des dommages que causent les GES provenant de l'intérieur de la province sur les Ontariens ou encore la quantité des dommages qui seraient évités en Ontario si la province fixait des normes plus strictes en matière de réduction des GES.
Me Green accuse les plaignants de ne pas avoir reconnu non plus le rôle du gouvernement fédéral dans la réglementation des émissions de GES en Ontario.
Au Canada, l'Ontario ne produit que 22 % des émissions nationales de GES, alors que la province abrite environ 39 % de la population du Canada
, précise-t-il.

Le quartier Orléans, à Ottawa, pendant la crue printanière historique de 2019.
Photo : Transports Canada
L'avocat, qui a présenté à la cour le Plan environnemental de l'Ontario, assure enfin que les cibles que la province s'est fixées feront l'objet d'une révision périodique en temps et lieu.
Le document mentionne notamment que la taxe carbone n’est pas le seul moyen de lutter contre le changement climatique dans la province.
Position des intervenants
Les avocats des six intervenants dans ce recours judiciaire avaient présenté, plus tôt mardi, leurs arguments contre la province.
Il s'agit des Amis de la Terre, de l'Association canadienne des médecins pour l'environnement, de l'Assemblée des Premières Nations, d'Indigenous Climate Action, du Centre David Asper pour les droits constitutionnels et de For Our Kids.
Leurs avocats ont soulevé les inquiétudes propres à chaque groupe, mais leurs positions se rapprochent de celles des plaignants dans ce litige.

Des cheminées industrielles polluantes
Photo : Getty Images / Alexander Hassenstein
L'avocate de For Our Kids, Meaghan Daniel, soutient par exemple que le plan vert risque d'avoir des conséquences néfastes disproportionnées sur la santé des jeunes générations par rapport aux générations antérieures.
Les parents que je représente sont très inquiets pour l'avenir de leurs enfants et petits-enfants
, déclare-t-elle en précisant que l'égalité des chances pour réussir dans la vie en sera davantage réduite.
L'avocat de l'Association canadienne des médecins pour l'environnement, Pierre-Louis Century, a pour sa part présenté les dangers des émissions polluantes sur la santé des jeunes au pays.

Deux groupes représentant les Premières Nations dans cette cause affirment que le réchauffement climatique menace le mode de vie traditionnel des Autochtones au pays.
Photo : Radio-Canada / Geneviève Normand
Les avocats des deux associations d'Autochtones ont quant à eux expliqué que les changements climatiques menacent les modes de vie traditionnels des Premières Nations, leurs droits liés à la chasse, à la pêche et à la perte de leurs territoires en période de dégel, d'incendie de forêt ou de crues des eaux.
Me Nathaniel Read-Ellis, d'Indigenous Climate Action, rappelle que le réchauffement planétaire menace l'existence même des Premières Nations du Canada, leur mode de vie, leur culture, leurs valeurs et leurs traditions ancestrales
.
L'avocate des Amis de la Terre, Nathalie Chalifour, précise enfin que des tribunaux en Nouvelle-Zélande, aux Pays-Bas et en Allemagne ont statué que les cibles de réductions des GES relevaient bien des compétences du pouvoir judiciaire.
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Me Chalifour ajoute que la Cour suprême des Pays-Bas a même obligé le gouvernement néerlandais à revoir à la hausse ses cibles d'émissions de gaz, parce qu'elles étaient trop basses pour la santé des citoyens.
Des tribunaux étrangers ont compris la menace urgente que pose le réchauffement planétaire pour l'humanité et statué que les gouvernements étaient redevables de leurs actions lorsque les cibles qu'ils établissent ne sont pas assez ambitieuses
, conclut-elle.