La fin d’une époque glorieuse pour le Salon international de l’automobile de Détroit?

Le Salon de Détroit se fait damer le pion par des salons plus technologiques.
Photo : Radio-Canada / NAIAS2019
L’événement, qui fait son retour après deux années d’arrêt, résultantes de la pandémie, n'aura plus toutes les allures et le faste qui ont fait de lui, des années durant, l’un des grands rendez-vous de l’industrie automobile mondiale.
L’éditeur numérique d'Automotive News Canada, Greg Layson, évoque avec nostalgie les anciennes éditions du Salon de l’automobile de Détroit.
Vous vous souviendrez de centaines et de centaines de véhicules sur un plancher, dans un centre de conférence géant, plein de dépliants, de dossiers, d'articles promotionnels et de toutes sortes de choses
, explique-t-il.
« Et vous vous asseyiez et testiez toutes ces voitures dans leurs sièges et vous pouviez sentir, et regarder, et toucher. »
Il pense que l’édition de cette année sera complètement différente de tout ce que nous avons vu auparavant
.
La faute aux salons technologiques?
Pour Greg Layson, si l’événement de Détroit perd de son lustre, c’est notamment parce qu’il est vampirisé par des événements qui se focalisent d’ordinaire sur la technologie, compte tenu de ce que deviennent les véhicules.
Les véhicules d'aujourd'hui sont essentiellement des ordinateurs roulants, et beaucoup d'entre eux sont orientés vers ce qui est révélé et mis en vente lors du Consumer Electronics Show
, indique-t-il.
« Les gens sont vraiment intéressés de savoir, est-ce que mon téléphone peut se connecter [à ma voiture], est-ce que ma voiture peut allumer les lumières de la maison, est-ce que je peux me rendre où je vais sans avoir à conduire. »
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Yan Cimon est professeur de stratégie à la Faculté des sciences de l'administration de l'Université Laval. Il observe lui aussi depuis quelques années un glissement progressif des constructeurs automobiles.
Ces derniers doivent suivre les tendances qu’imposent les consommateurs, qui, eux, s’intéressent beaucoup plus à des salons technologiques, et cela, à un moment où, comme il l’explique, on délaisse les moteurs thermiques, les moteurs à combustion interne, pour s’en aller vers les motorisations électriques
.
Les joueurs qui sont déjà établis dans l’électrique et les joueurs qui sont au tout électrique comme Tesla, eux, ont choisi très tôt dans leur existence de se positionner comme des entreprises technologiques et pas des entreprises du domaine de l’automobile
, explique-t-il
« Et donc elles se sont, ces entreprises-là, collées sur des industries plus technos et ont fait leurs dévoilements de produits, beaucoup de promos, d’apparitions dans des forums technologiques. »
Les constructeurs veulent, par ailleurs, de plus en plus se rapprocher des marchés dans lesquels ils effectuent leurs plus grosses ventes, selon Alain McKenna, qui est journaliste spécialisé en automobile et technologies.
Aux États-Unis spécifiquement, il y a eu déplacement de l’importance des salons, de Détroit qui était l’épicentre de l'industrie vers Los Angeles en Californie et New York sur la côte est [...] puis ce sont les deux plus gros marchés aux États-Unis
, explique-t-il.
« De la même façon que les Allemands sont de plus en plus concentrés à Francfort en termes de nouveautés et de présentations. »
M. McKenna observe en outre que nombre de salons se sont régionalisés, sont devenus plus modestes. Ainsi, le salon de Détroit propose surtout des produits, quelques véhicules à venir, de constructeurs américains.
Détroit accueille donc désormais de nombreux groupes de concessionnaires régionaux qui s’y rendent pour effectuer des ventes.
Quelques dévoilements en perspective
L’époque où le Salon de Détroit offrait des dévoilements somptueux et coûteux de nouveaux véhicules est révolue, selon Greg Layson.
Nous avions l'habitude de nous rendre en foule pour voir le dévoilement d'un nouveau véhicule et être épatés. Mais toute cette semaine, ces deux dernières semaines, les constructeurs automobiles ont dévoilé ces véhicules [ailleurs qu’à Détroit]
, explique-t-il.
« Il y a eu des années où il y avait deux, trois ou quatre, dix véhicules que nous attendions avec impatience de voir pour la toute première fois. Et cette excitation et cette magie ont en quelque sorte disparu. »
Yan Cimon ne s’attend pas non plus à un salon qui cassera la baraque
, même si quelques dévoilements, bien moins que d’habitude, seront faits.
On parle de la nouvelle Mustang, qui est très, très attendue, et qui sera vraisemblablement la dernière Mustang à moteur à combustion interne. [...] On parle notamment de Dodge et de son nouveau muscle car électrique qui devrait être bien en évidence à ce salon
, précise-t-il.
« C’est vrai que les autres dévoilements anticipés sont des dévoilements plutôt vanille, c'est-à-dire des dévoilements intéressants, mais qui n’auront pas vocation à casser la baraque. »
Un rendez-vous important malgré tout ?
Bien qu’il ait un peu perdu de sa superbe, le Salon international de l’automobile de Détroit reste un événement de grande importance, selon Greg Layson qui pense que l'événement continuera à drainer du monde.
Le dernier salon de l'automobile en 2019 a accueilli environ 700 000 visiteurs et on nous dit que les organisateurs s'attendent encore à 500 000 visiteurs, ce qui, dans un monde post-pandémie et ce n'est même pas vraiment fini, avouons-le, est un assez bon chiffre
, indique-t-il.
Yan Cimon fait remarquer que les organisateurs du salon font tout ce qui est possible pour faire parler de ce rendez-vous, en invitant des figures de premier plan, afin de continuer à en faire un événement significatif.
On souhaite créer un buzz important autour du salon, ce qui risque de se produire en partie parce que le président Joe Biden a confirmé sa participation au salon
, explique-t-il.
M. Cimon explique également que le salon compte proposer plus de possibilités au public cette année en offrant un salon qui sera à la fois extérieur et intérieur
et multisite
.
Il n’en demeure pas moins que le salon doit se réinventer, comme doivent le faire tous les salons exclusivement centrés sur l’automobile s’ils veulent continuer à exister, selon Yan Cimon.
Les salons de l’avenir, surtout des salons comme Détroit, seront des salons qui marqueront le coup, qui seront mondiaux, qui seront multiplateformes et surtout qui permettront de tenir compte de ce que l’automobile représente pour les gens
, indique-t-il.