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La pandémie, la « patate chaude » électorale

Dominique Anglade prend une photo avec une commerçante.

Le cheffe du Parti libéral du Québec, Dominique Anglade, lors d'une visite dans un marché.

Photo : La Presse canadienne / Jacques Boissinot

Si la pandémie de COVID-19 a dominé les discours des politiciens et la vie des Québécois depuis deux ans, le sujet est presque complètement absent de la campagne électorale, au désarroi de plusieurs experts en santé.

Une situation qui déçoit la Dre Joanne Liu, professeure à l’École de santé des populations et de santé mondiale de l’Université McGill sur les urgences pandémiques et sanitaires. Selon elle, la COVID-19 et la pandémie sont devenues persona non grata.

On comprend qu’en campagne électorale, on veut intéresser les gens qui vont nous permettre de gagner des votes. On ne veut pas parler de COVID-19 parce que ça irrite les gens. Je comprends que les gens veulent passer à autre chose, mais la réalité est qu’on a encore des cas. La victoire n’est pas terminée. Et ne pas en parler, ça ne va pas faire disparaître la COVID-19, dit-elle.

Même son de cloche pour Simon Bacon, chercheur en science comportementale médicale à l'Université Concordia. La pandémie devrait être un enjeu électoral, selon lui, mais il constate que les politiciens préfèrent se ranger derrière l’opinion des électeurs. Ainsi, face au ras-le-bol généralisé, les politiciens n’osent pas toucher à cette patate chaude, croit-il.

Il pose avec des militants à une table de restaurant.

Au deuxième jour de la campagne électorale, le chef de la Coalition avenir Québec (CAQ), François Legault, a organisé un dîner militant à Rivière-du-Loup.

Photo : Radio-Canada / Mathieu Potvin

André Veillette n’est pas tout à fait surpris de cette campagne sans COVID. Les partis politiques semblent avoir conclu qu’il n’y a aucun intérêt politique d’en parler, déplore cet immunologiste et chercheur à l'Institut de recherches cliniques de Montréal.

D’ailleurs, les candidats suivent rarement les consignes sanitaires recommandées, comme de protéger les personnes plus vulnérables et de porter un masque dans des foules, selon M. Veillette. Les comportements des politiciens envoient aussi des messages troublants. Ils font des bisous avec les madames. On prend des photos électorales avec les gens sans masque. Ce n’est pas fort.

Le spectre du PCQ en toile de fond

Si ces experts en santé sont déçus par le manque d’intérêt, Thierry Giasson, directeur et chercheur principal pour le Groupe de recherche en communication politique de l'Université Laval, croit que la décision d’évacuer le sujet de la campagne est délibérée.

La CAQ ne veut pas en parler parce que le bilan n’est pas reluisant, notamment sur le nombre de décès par rapport aux consignes très rigoureuses, souligne-t-il.

Il ajoute que, depuis plusieurs mois, la CAQ prépare les électeurs à une campagne sans COVID-19.

« Il y a du travail en amont à la campagne pour préparer le terrain à une campagne où on ne parlerait pas de la pandémie. »

— Une citation de  Thierry Giasson, Groupe de recherche en communication politique de l'Université Laval

Il souligne la levée des mesures sanitaires avant le déclenchement des élections pour apaiser la grogne, une modulation des messages qui favorisent une gestion individuelle de la pandémie et la diffusion de publicités préélectorales qui cherchent à démontrer que M. Legault a géré la pandémie en bon père de famille.

Dans une de ces publicités, il y avait une dame âgée qui disait : "Personne n’aurait pu faire mieux." C’est le message qu’on a placé dans la tête des gens avant le début de la campagne.

Jusqu'à maintenant, aucun communiqué de presse de la CAQ, même ceux à propos de la santé, ne fait référence à la pandémie ou à la COVID-19. Si M. Legault aborde parfois le sujet en conférence de presse, aucun engagement n'a été annoncé.

Il salue la foule.

Éric Duhaime était l'un des rares à porter un masque lors d'un évènement partisan du PCQ le 5 avril 2022 à Québec.

Photo : La Presse canadienne / Jacques Boissinot

Il n’y a qu’un parti qui parle abondamment de la pandémie, et c’est le Parti conservateur du Québec (PCQ), qui ne manque pas une occasion de critiquer le gouvernement de la CAQ, précise M. Giasson.

Les conservateurs mobilisent leurs militants avec la grogne entourant la gestion de la pandémie, explique M. Giasson. M. Duhaime a d’ailleurs déclaré que M. Legault a été le premier ministre le plus liberticide de l’histoire.

Par conséquent, la stratégie conservatrice de miser sur le mécontentement des électeurs a un impact sur les stratégies des autres partis, croit M. Giasson.

Si le Parti québécois, Québec solidaire et le Parti libéral du Québec ont régulièrement critiqué la gestion du gouvernement de la CAQ pendant la pandémie, ils hésitent maintenant à aborder le sujet trop souvent, de peur de donner trop de la place au PCQ, ajoute-t-il.

Le Parti conservateur attend que la porte s’ouvre [sur la question de la pandémie] pour sauter sur M. Legault. On ne veut pas ouvrir un espace conversationnel où M. Duhaime dit : "vous voyez j’ai raison", même si ce n’est pas la réalité. Oui, on a vécu des restrictions plus importantes, mais M. Legault n’a pas renversé le système politique, ce n’est pas un dictateur, dit M. Giasson, qui croit fermement que M. Duhaime ne serait pas en politique s’il n’y avait pas eu de pandémie.

Paul St-Pierre Plamondon cognant son poing contre celui d'une militante.

Paul St-Pierre Plamondon, chef du PQ, rencontre une militante.

Photo : La Presse canadienne / Graham Hughes

Quels sont les engagements?

Donc, que ferait chaque parti, s'il était élu le 3 octobre prochain, pour gérer une prochaine vague de COVID-19? Les engagements sont peu nombreux et souvent imprécis.

On a critiqué les politiciens de ne pas avoir de plan lors de la première vague. Et, deux ans plus tard, on n’a pas plus de plan, dit avec un peu de déception M. Bacon.

De prime abord, la CAQ a refusé de dire si elle avait des engagements électoraux à ce sujet et a plutôt dirigé nos questions à Marjaurie Côté-Boileau, qui est l'attachée de presse du ministre sortant de la Santé, Christian Dubé.

Notons qu'elle est également attachée de presse pour la campagne électorale de la CAQ, mais a précisé qu'elle répondait au nom du ministère de la Santé, puisqu’il s’agit d’un enjeu gouvernemental et non partisan et que nous avons toujours écouté les recommandations de la santé publique, et que nous allons continuer de le faire.

Si le ministère affirme que la pandémie n’est pas un enjeu partisan, le courriel de l’attaché de presse du ministre Dubé critique néanmoins le précédent gouvernement libéral. On a non seulement corrigé la coupure libérale de 30 % en santé publique, mais nous avons réinvesti pour plus de ressources sur le terrain, écrit Marjaurie Côté-Boileau.

Son courriel précise qu’une campagne de vaccination est en cours et que la santé publique continuera ses efforts publicitaires pour inviter les gens à aller chercher leur dose de rappel.

Le ministère ajoute qu’il n’envisage pas de remettre des mesures sanitaires en place, préférant miser sur l’analyse des eaux usées, les tests PCR et rapides et les mesures d’isolement pour contrôler la propagation du virus.

Pour sa part, s'il était élu, le PLQ mettrait sur pied une unité COVID-19 et lancerait une opération d’amélioration de la qualité de l’air dans les écoles, tout en imposant des normes plus claires.

Le PQ propose lui aussi d’améliorer la qualité de l’air dans les édifices publics et d’adopter des campagnes de dépistage et de vaccination efficaces.

Les engagements du PCQ, qui estime que la pandémie est terminée et qu’il faut commencer à traiter la COVID comme un virus respiratoire parmi d’autres, tournent autour de l’état d’urgence et de la vaccination.

Les conservateurs modifieraient la Loi sur la santé publique pour éliminer toute possibilité d’ordonner la vaccination obligatoire. Malgré cela, dans un courriel envoyé à Radio-Canada, le PCQ affirme que les vaccins ont sauvé de nombreuses vies au fil des années.

Sous un gouvernement conservateur, tout état d’urgence sanitaire serait applicable pour une période maximale de 10 jours. Un vote secret à l’Assemblée nationale (80 % des députés en faveur) serait ensuite requis pour le prolonger. Un délai serait aussi imposé au gouvernement et à la santé publique pour publier les dépenses, les documents ou les contrats reliés à une urgence sanitaire.

Québec solidaire promet aussi de modifier les dispositions de la Loi sur la santé publique concernant les urgences sanitaires afin d’assurer davantage de redditions de compte.

M. Dubé regarde M. Legault qui parle derrière un lutrin.

Francois Legault et le ministre sortant de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé

Photo : La Presse canadienne / Graham Hughes

Pour une indépendance de la santé publique

Depuis deux ans, l'opposition a amplement critiqué la ligne parfois floue entre le politique et la santé publique. C’est donc peu surprenant de voir tous les partis promettre l’indépendance du directeur national de la santé publique. Rappelons qu’en ce moment, celui-ci est également ​​sous-ministre adjoint au ministère de la Santé et des Services sociaux et est nommé par le Conseil des ministres.

En janvier, le premier ministre François Legault n’avait pas rejeté une possible révision de la fonction de directeur national de santé publique au Québec. Le ministre Christian Dubé avait lui aussi affirmé en juin que les postes de directeur national de la santé publique et de sous-ministre devaient être scindés en deux.

Cela n’a pas empêché M. Legault de confirmer le 15 juin dernier le Dr Luc Boileau dans ses fonctions de directeur national de la santé publique et de sous-ministre adjoint au MSSS.

De plus, le fait que la fille du Dr Boileau soit l’attachée de presse du ministre de la Santé a soulevé des questions, parmi les partis d'opposition, d'apparence de conflit d'intérêts. En janvier, Le Devoir rapportait (Nouvelle fenêtre) que Marjaurie Côté-Boileau avait toutefois obtenu un avis favorable de la commissaire à l’éthique de l’Assemblée nationale afin de rester en poste au cabinet du ministre Christian Dubé.

Les deux hommes en point de presse

Le porte-parole de Québec solidaire Gabriel Nadeau-Dubois aux côtés de son candidat dans Gaspé, Yv Bonnier Viger. Le parti a recruté deux anciens directeurs de santé publique régionale pour l'élection du 3 octobre.

Photo : Radio-Canada / Dany Pilote

Enquête sur la gestion de la pandémie

D’autre part, le PLQ, le PQ et QS promettent, s'ils sont portés au pouvoir, de déclencher une enquête publique et indépendante pour faire la lumière sur la gestion de la pandémie.

Le gouvernement sortant a besoin de répondre à beaucoup de questions, croit Simon Bacon. Si j’étais l’opposition politique, j’aborderais beaucoup cet enjeu pendant la campagne. Après tout, on a eu le pire taux d’hospitalisation et de décès au pays.

La Dre Liu croit que la situation dans les CHSLD au début de la pandémie devrait être un enjeu électoral.

« Je ne conçois pas que chez nous, un pays du G7, des aînés soient morts de soif et de faim, dans des couches souillées. Je ne comprends pas que les gens ne soient pas choqués par ça. »

— Une citation de  Dre Joanne Liu, Université McGill

Elle ajoute qu’il faudrait aller au-delà du rapport d'enquête sur les CHSLD de la coroner Géhane Kamel. Ce n’est pas suffisant. Elle a traité d’un seul aspect [de la gestion de la pandémie].

Benoit Masse, qui est professeur de médecine sociale et préventive à l'École de santé publique de l'Université de Montréal, est d'accord avec l’idée d’une enquête, mais pas si c’est pour mettre un parti contre l’autre et mettre certaines personnes dans l’embarras. C'est là que je décroche.

L'exercice doit plutôt être une occasion pour améliorer la capacité du gouvernement à gérer une crise sanitaire, pas pour gagner des points politiques, dit-il.

La Dre Liu abonde dans le même sens. On ne doit pas faire la double faute et ne pas apprendre de vague en vague et de ne pas en retirer des enseignements.

Le cabinet du ministre Dubé affirme être dans une posture bien différente et promet de suivre la recommandation de la commissaire à la santé, Joanne Castonguay, d’avoir un plan détaillé pour prévoir une pandémie dans le réseau de la santé et de le réviser chaque année, en plus de faire des simulations. Rappelons que ce rapport sur la gestion de la première vague conclut à un échec collectif.

Une illustration montrant les visages des principaux partis.

Quels investissements en prévention?

La pandémie et la prévention de futures pandémies sont des enjeux importants au sujet desquels les partis devraient prendre des engagements, mais Benoit Masse et la Dre Joanne Liu croient qu’il faut aussi débattre de l’ensemble des enjeux de santé publique, y compris la pollution industrielle (ex. : la Fonderie Horne), l'augmentation du taux d’obésité, le vieillissement de la population et les impacts des changements climatiques sur la santé.

Il faut penser plus large, dit M. Masse. Est-ce que nous sommes prêts à affronter 45 degrés [Celsius] pendant trois semaines? Et il y aura des maladies qu’on ne voyait pas avant, comme la maladie de Lyme. Est-ce qu’on a un plan? Nos systèmes de santé ne sont pas habitués [à ces situations].

Les partis promettent des hôpitaux et des médecins, dit M. Masse, mais pourquoi ne pas miser sur la prévention?

« On peut construire des hôpitaux, mais on pourrait prévenir que les gens aient besoin d’hôpitaux. Et les frais de santé pourraient diminuer. »

— Une citation de  Benoit Masse, Université de Montréal

À cet égard, Québec solidaire promet de hausser le budget de la santé publique de 250 millions de dollars par année et de créer un Bureau national de santé publique qui serait redevable devant l'Assemblée nationale.

L'attaché de presse du ministre sortant de la Santé souligne que le financement de la santé publique s’est accru de 38 % sous les caquistes.

Le PCQ indique pour sa part que la santé publique et toute la médecine sont des analyses risques-bénéfice et qu’on devrait davantage prendre en compte les coûts sociaux d’interventions en santé publique.

La Dre Liu espère toujours que la campagne électorale soit un moment pour avoir un vrai débat public sur le système de santé. Il va falloir imaginer comment on se soigne. Mais elle croit que faute d’intérêt des partis politiques, ce sera aux citoyens d’interpeller les candidats à ce sujet.

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