Disponibilité et accessibilité plombent l’accès au logement en Abitibi-Témiscamingue
Dans la région, la crise du logement perdure depuis plus de 10 ans maintenant. À Rouyn-Noranda, le taux d'inoccupation est de 0,3 %. À Val-d’Or, il est de 1,1 % à Amos et de 2,2 % à Val-d'Or, mais la situation n’est pas plus enviable.

Des programmes d’aide d’urgence existent pourtant, mais dans les dernières années, ils ont été largement sous-utilisés, selon le FRAPRU.
Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers
La crise du logement se décline sous différentes réalités. À la disponibilité doit aussi se combiner l’abordabilité. Pour plusieurs personnes, les appartements libres sont tout simplement hors de prix.
Paul Théberge a habité pendant 17 ans sur la rue Sullivan, à Val-d’Or. Après des années de stabilité, son immeuble a été vendu et il a choisi de déménager. Après avoir trouvé un nouvel appartement, non sans peine, il a vite dû reprendre ses démarches.
« Il y a eu un incendie dernièrement, mon bloc a passé au feu. Ça faisait trois mois que j’étais là. Je me suis ramassé complètement démuni, relate-t-il. »
Paul Théberge s’est retrouvé sans biens et sans moyens. L’aide d’urgence n’a pas suffi.
La Croix-Rouge m’a payé deux nuits, trois en fait, mais la première, il n’y avait aucune possibilité d’avoir une chambre d’hôtel. Tout perdre du jour au lendemain, ça fait mal
, exprime-t-il.
M. Théberge est inapte au travail. Il reçoit d’ailleurs une aide financière du gouvernement. Il ne vit pas richement, mais a toujours respecté ses obligations de locataire. Malgré ses revenus, trouver un nouvel appartement est difficile.
Des appartements libres, il y en a, mais certains sont hors de prix. Il a multiplié les démarches, certaines plus coûteuses que d’autres.
Un appartement un et demi à 680 $, pas éclairé, c’est cher à Val-d’Or! Un moment donné, tu n'en as plus de solution. S’il y a des locataires véreux, il y a aussi des propriétaires véreux qui exagèrent. Tu fais des recherches et sur 14, 10 m’ont demandé des enquêtes de crédit, et 7 m’ont demandé un montant d’argent. J’avais vraiment pas le choix, j'étais dans la rue. J’ai finalement décidé de demander de l’aide à La Piaule. Là, au moins, tu as toujours quelqu’un à qui parler
, confie-t-il.
La mission de La Piaule
Située sur le chemin Sullivan, La Piaule offre des chambres en formule dortoir, des chambres de transition pour les personnes en attente d’un logement, un centre de jour, l’école de la rue, une équipe d’intervenants et une soupe populaire qui sert jusqu’à 35 000 repas par année, le tout sous un même toit.
C’est sûr que, quand on réussit à aider les gens pour trouver un appartement ou seulement pour les écouter, c’est un sentiment de bien-être, c’est quelque chose qui m’allume et c’est ce que je veux faire dans la vie
, mentionne Marise Lavoie, préposée à l'accueil à La Piaule.
Stéphane Grenier est professeur en Travail social à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue et président du conseil d’administration de La Piaule. Il dit voir de plus en plus d’itinérance cachée et de problématiques qui existent sans être comptabilisées dans les statistiques.
Va dormir chez un oncle, une tante, un chum, chez ses parents: c’est ça, l’instabilité résidentielle. De l’itinérance cachée comme ça, on en retrouve partout. J’ai des étudiantes qui vivent des situations comme celles-là. Les gens arrivent en région et pensent se trouver un logement rapidement, mais c’est le contraire. C’est pire qu’à Montréal parce qu’il y a moins de parcs immobiliers. Le patrimoine bâti après 2000 est trop dispendieux pour des étudiants et un patrimoine vétuste après les années 1980 est quand même très cher
, indique-t-il.
Des solutions à proposer
Des solutions, Stéphane Grenier en a plusieurs à proposer. Il milite pour une approche diversifiée.
La crise est tellement grave, ça fait plus de 13 ans qu’on est en crise de logement en Abitibi, maintenant ça touche l'entièreté du Québec. Je pense qu'on n'a pas le choix d’y aller de façon multivectorielle pour régler la crise. Oui, c’est trop long, les projets de logement social. Autre chose : on pourrait aller sur des politiques municipales, reprendre des bâtiments où les taxes n'ont pas été payées et les reconvertir en logements sociaux. On peut aussi penser au patrimoine, préserver le patrimoine bâti. On peut également favoriser des logements abordables ou des programmes pour la rénovation
, énumère-t-il.
Des programmes d’aide d’urgence existent pourtant, mais dans les dernières années, ils ont été largement sous-utilisés, comme le souligne Véronique Laflamme, du Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU).
« Malgré les très bas taux d’inoccupation, malgré la crise du logement qui perdure en Abitibi-Témiscamingue, l'aide d'urgence prévue autour de la période des déménagements n’est pas largement publicisée et utilisée depuis trois ans, ce qui nous laisse croire que les gens sont un peu abandonnés à leur sort. »
Des chiffres trompeurs
Stéphane Grenier ajoute que les données font souvent fausse route.
Selon lui, ce n’est pas le nombre de personnes en recherche de logement qu’il faut comptabiliser, mais le nombre de ménages. Les chiffres peuvent être trompeurs lorsque vient le moment de statuer qu’il y a une situation problématique.
Je donne un exemple à Saint-Bruno-de-Guigues, où on aurait 4 familles de 12 personnes et chaque famille a sa maison. Ces personnes sont remplacées par 6 familles de 2 personnes, ça ne fait que 12 personnes, donc moins de monde, mais on serait en déficit quand même, parce que de 4 à 6, il manque 2 maisons : on est donc en crise de logement
, fait-il observer.
Quant à Paul Théberge, le temps passé à La Piaule lui a permis de compléter ses recherches. Il y a quelques jours, il a trouvé un petit 2 et demi qu’il lui reste à meubler.
Un logement qui va me coûter 565 $, électricité comprise, précise-t-il. C’est 15 $ de plus que ce que j’avais. Et là, tout le monde veut m’aider. J’ai les larmes aux yeux devant toi, mais je les remercie du fin fond de mon cœur.