Envoyé spécial
Vers un plus grand accès à l’avortement à Taïwan?
Chaque statuette représente une grossesse interrompue.
Photo : Radio-Canada / Philippe Leblanc
À l’opposé de ce qui se déroule aux États-Unis cet été, à Taïwan, on songe depuis quelques années à élargir le droit à l’avortement. Ça ne veut pas dire pour autant que le sujet n'est plus tabou et que l'accès à l'avortement y est facile pour toutes.
Premier territoire à reconnaître le mariage gai sur le continent, Taïwan est l'un des endroits les plus progressistes en Asie. Les experts en santé estiment, selon la tendance historique, que 26 000 avortements légaux auraient été pratiqués l’an passé sur l’île de 24 millions d’habitants. En outre, des dizaines de milliers d’autres se feraient clandestinement.
Nous avons remarqué ces dernières années une augmentation du nombre de femmes faisant appel à nos services en ligne et demandant des consultations psychologiques, affirme Li Yu-chan, la présidente de la Taiwan Medical and Health Counseling Psychology Association. Surtout quand les femmes ont peur que leur entourage apprenne pourquoi elles nous contactent, elles peuvent obtenir des services par Internet.
En vertu de la loi sur la santé génétique à Taïwan adoptée à l’époque de la loi martiale en 1984, puis modifiée à quelques reprises depuis, les femmes mariées doivent encore obtenir le consentement de leur conjoint aujourd’hui pour avoir accès à l’avortement.
Les mineures, elles, doivent fournir la permission de leurs parents ou de leurs gardiens légaux. Une réflexion est amorcée depuis quelques années et des modifications législatives pour élargir l’accès à l’avortement à Taïwan pourraient être proposées bientôt à ces groupes.
De telles propositions de modifications, cautionnées par les groupes d’aide pour les femmes, devaient être déposées l’an passé, mais elles ont été reportées.
Beaucoup de femmes réclament de l’aide, car leur mari est violent ou bien elles voulaient déjà un divorce avant la grossesse, précise Chen Shu-fang, la secrétaire générale du groupe de soutien Women’s Link. Alors, comment est-ce possible d’obtenir la permission du conjoint pour un avortement dans de telles conditions?
Beaucoup d’adolescentes se tournent même vers des cliniques clandestines ou trouvent d’autres moyens illégaux de forcer un avortement.
Influence religieuse
Hsieh Ming-Wa et son compagnon
Photo : Radio-Canada / Philippe Leblanc
Au temple taoïste Long-Hu à Miaoli, dans le centre de l’île, de petites statuettes en bronze sont posées sur des tables près des lieux de prière à l’extérieur. Chaque statuette représente une grossesse interrompue, qu'elle l'ait été volontairement ou non.
Les fidèles apportent des offrandes et prient plusieurs Dieux dans des pièces différentes avant de participer aux chants religieux à l’extérieur.
L’influence religieuse demeure très forte à Taïwan. Selon les temples taoïstes et bouddhistes, il faut demander pardon pendant 1000 jours, soit près de trois ans, à l’esprit de l’enfant qui n’a pas vu le jour. Autrement, selon ces temples, l’esprit ne pourra pas se réincarner et la famille ne connaîtra pas l’harmonie.
Nous avons été le premier temple à Taïwan à offrir ce type de prières il y a 30 ans, précise le directeur du temple Long-Hu, Lin Zi-yao. Environ 20 000 personnes à Taïwan offrent de telles prières chaque année. C’est important.
Ils sont silencieux et passent presque inaperçus. Hsieh Ming-wa et son copain, un couple dans la jeune vingtaine, se recueillent au temple taoïste Long-Hu.
Ils offrent des prières pour honorer la mémoire de l’enfant qu’ils ont choisi de ne pas avoir.
Les circonstances ne le permettaient pas, ce n’était pas le bon moment, dit Hsieh Ming-wa. Je ne voulais pas subir un avortement, mais après une très longue réflexion, nous avons conclu que c’était la chose à faire. J’ai pris des médicaments fournis par un médecin. Ça a été très clair comme démarche.
Le couple entame son parcours spirituel afin de se libérer du sentiment de culpabilité. Ils comptent revenir prier chaque dimanche.
Preuve que l’avortement demeure souvent tabou à Taïwan, personne de leur entourage n’est au courant des démarches.
J’ai peur de la réaction de ma famille et de mes amis. Mes amis auraient probablement pitié de moi. Les plus âgées dans la famille me demanderaient probablement pourquoi je ne me suis pas protégée et pourquoi je n’ai pas choisi de garder l’enfant.
L’accès à l’avortement pourrait être élargi prochainement à Taïwan, mais l’acceptabilité sociale à plus grande échelle demeure un tout autre débat.
Notre correspondant en Asie Philippe Leblanc sera basé à Taïwan au cours des prochains mois afin de nous faire découvrir cette île de près de 24 millions d'habitants, sa société et les défis qui l'animent. Et aussi afin de couvrir les enjeux d'actualité de toute la région Asie-Pacifique.