L’Université du Manitoba renforce l’éducation francophone en droit à l’ouest de l’Ontario
Gerald Heckman et Lorna Turnbull sont professeurs de droit à l'Université du Manitoba et codirecteurs de la concentration en accès à la justice en français.
Photo : Radio-Canada / Gavin Boutroy
L’Université du Manitoba a formalisé sa concentration en accès à la justice en français. Cette désignation apporte plus de visibilité à l’offre de cours de droit en français de l’établissement winnipégois en cette rentrée universitaire.
Le sénat de l’Université du Manitoba a approuvé la création de ce programme en janvier. Il est offert, pour la première fois, à la faculté de droit Robson Hall cet automne. L’offre d’une dizaine de cours en français a été formalisée par le sénat, ce qui permet ainsi à des étudiants d'obtenir près d’une quarantaine de crédits en droit en français.
Les étudiants souhaitant obtenir la concentration en français doivent suivre près du tiers de leurs cours dans cette langue, soit 26 crédits sur 92. Un document du sénat de l’Université du Manitoba indique que l’établissement s’attend à ce qu’il y ait entre 12 et 16 nouveaux étudiants par année dans cette concentration.
À lire aussi :
Une meilleure offre de services juridiques en français commence à l'université
Éric Gagnon, étudiant en 2e année de droit, n’a pas hésité à s’inscrire dans cette concentration en français. L’ancien élève de la Division scolaire franco-manitobaine, qui a grandi à Sainte-Agathe, y a vu une manière de ressusciter [son] éducation en français
.
C’est un beau programme parce que, si le plan est de développer une pratique en français au Manitoba, nécessairement, on va être en train de travailler dans deux langues
, déclare-t-il, ajoutant qu'une meilleure offre de services juridiques en français ça commence ici, à Robson Hall
.
Le professeur de droit à la faculté de droit de l’Université du Manitoba et codirecteur de la concentration en accès à la justice en français Gerald Heckman affirme que cela fait 11 ans qu’il travaille en vue de la création de cette concentration avec Lorna Turnbull, qui est également professeure et codirectrice du programme.
Cette année, on a atteint un peu notre objectif qui était d’avoir un programme formel reconnu par le sénat de l’Université du Manitoba
, se réjouit-il, ajoutant que le but est avant tout d’offrir une formation pratique.
Un besoin criant
d’avocats francophones
Ce qu’on veut essayer de faire, c’est équiper les étudiants pour qu’ils soient prêts à desservir la communauté francophone. On parle donc de communication avec leurs clients en français, on parle de représenter leurs clients devant les tribunaux
, poursuit Gerald Heckman.
Lorna Turnbull note qu’il existe un besoin criant
d’avocats bilingues dans la province. Il y a des cabinets qui travaillent en français et en anglais, il y a une demande importante pour le service des avocats en français, mais ce n’est presque jamais le cas qu’on peut travailler exclusivement en français
, précise-t-elle.
Ce besoin est devenu beaucoup plus urgent en raison d’amendements à la Loi sur le divorce qui sont entrés en vigueur en mars 2021, dont le droit de procéder à des questions de divorce dans une langue officielle de son choix
, précise Loran Turnbull.
La possibilité d’interagir avec un avocat ou de parler devant un tribunal dans sa langue maternelle peut apaiser un peu
les situations difficiles engendrées par un divorce, ajoute la professeure.
Kennedy Pinette, étudiante en 3e année de droit, a constaté ce besoin d’avocats francophones lorsqu'elle passait des entretiens pour trouver un stage. Issue d'une école d’immersion, elle a décidé de suivre des cours en français à la faculté de droit.
Quand j’ai fait mes entrevues pour mes stages, le français était une question dans chaque entrevue, c’est vraiment une chose que les gens cherchent et qui sera utile pour le reste de ma carrière
, explique-t-elle.
Sans ces cours, je ne pourrais pas être capable de pratiquer le droit en français, parce qu’il y a tellement de terminologie juridique
, ajoute Kennedy Pinette.
Le défi de l’insécurité linguistique
Les étudiants de l’immersion forment le groupe le plus nombreux dans les cours francophones, selon Gerald Heckman. Ils ont généralement obtenu un premier diplôme universitaire en anglais et doivent remettre à jour leurs habiletés en français.
C’était le cas pour Bradley Légaré, qui commence sa deuxième année en droit. Je crois [qu'il s'est écoulé] 10 ans entre le temps où j’ai fini l’école secondaire et [le moment où] j’ai commencé à la faculté de droit. Pendant cette période, je [n'ai] eu aucune chance de parler français.
De mère anglophone et de père francophone, il tente de se reconnecter à la culture française, à [son] nom de famille même
.
J’ai vu ce qui arrive si une personne ne reçoit pas la chance de parler en français ou pratiquer son français. Mon père, maintenant, n’est pas capable de parler français. Il peut comprendre, mais il a perdu toutes ses compétences linguistiques. C’était important pour moi de ne pas perdre cela
, explique Bradley Légaré.
Les deux autres principaux groupes d’étudiants sont les Franco-Manitobains et les étudiants issus de familles francophones qui cherchent à renouer avec le français, ajoute-t-il. En raison du contexte minoritaire, beaucoup souffrent d’insécurité linguistique.
Ce qu’on a trouvé à la fois dans la rétroaction de la profession et chez les juges, c’est que les étudiants avaient peut-être un manque de confiance à l’oral
, indique Lorna Turnbull.
Des cours comme celui de méthode juridique obligent les étudiants à parler. Comme il s’agit d’un cours avec une note réussite
ou échec
, cela enlève la pression
, poursuit LornaTurnbull. Cela donne le temps à l’étudiant de rétablir ses compétences linguistiques et de les déployer et de les utiliser dans un contexte juridique.
L’attrait de l’encadrement en français
Les deux seuls programmes de common law en français au Canada sont donnés à l’Université d’Ottawa et à l’Université de Moncton. Des programmes bilingues sont aussi offerts à l'Université d’Ottawa et à l'Université McGill.
Étudiante en 2e année de droit d’origine ontarienne, True Dash cherchait un programme de common law en français, langue qu’elle a apprise au cours des dernières années en habitant à Montréal.
À ses yeux, le programme de l’Université du Manitoba était plus attirant qu’un programme entièrement en français. Je pense que l’attente, c’est que je sois bilingue. Il n’y a pas de soutien pour les étudiants pour apprendre, mais au Manitoba il y a un service de tutorat, il y a une compréhension du fait qu’on apprend le français
, souligne-t-elle.
Malgré le besoin criant d’avocats et l’attrait de l’encadrement en langue française, la demande de cours en français reste relativement faible dans une université anglophone, comme l'explique Lorna Turnbull.
Ce n’est pas toujours rentable d’offrir des cours avec 8 ou 12 personnes, mais c’est la façon de faire quand on est en situation minoritaire
, affirme-t-elle, en soulignant que des fonds du gouvernement fédéral ont été essentiels pour créer ce programme.