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Des forêts branchées pour se préparer aux changements climatiques

Sécheresse, incendies, épidémies d'insectes, gels tardifs... Les changements climatiques font planer une série de menaces sur l'industrie forestière. Dorénavant, un arbre planté aujourd'hui sera confronté à un environnement bien différent dans 50 ou 100 ans. Pour parer le coup, des chercheurs sont à imaginer la forêt de demain.

La biologiste Annie Deslauriers

La biologiste Annie Deslauriers dans son laboratoire à ciel ouvert situé aux Monts-Valin.

Photo : Vincent Rességuier

La biologiste Annie Deslauriers nous montre comment mesurer la tension d'un arbre grâce à un petit bout de branche inséré dans une chambre à pression. Comme les humains, les plantes ont des vaisseaux, mais les leurs transportent de la sève. C'est l'un des nombreux outils à la disposition de la biologiste pour évaluer la santé et la croissance des végétaux.

Nous sommes au cœur de la forêt du parc des Monts-Valin. C'est ici que son équipe de l'Université du Québec à Chicoutimi mène des recherches sur la physiologie de l'arbre en zone boréale.

Quelques mètres plus loin, elle dévoile des broches plantées dans l'écorce d’un arbre. Ces appareils sont reliés par des fils à un boîtier qui permet de collecter les mesures dans une base de données.

Selon les projections, la température annuelle moyenne sera plus élevée de 3 °C à 6 °C d'ici la fin du siècle, dans le sud du Québec.

Le réchauffement climatique devrait, entre autres, entraîner une multiplication des périodes de sécheresse. C'est pourquoi les chercheurs se concentrent sur les réactions des arbres aux variations de température.

L'Université du Québec à Chicoutimi mène des recherches sur les changements climatiques dans les Monts-Valin.

Ces électrodes mesurent la quantité d'eau qui circule dans le tronc.

Photo : Vincent Rességuier

Les expérimentations menées par Annie Deslauriers permettent de mesurer la perte des réserves en eau des arbres. Il y a une certaine limite, un point de non-retour, dit-elle. Si la sécheresse se poursuit, il peut y avoir des chutes de tension, l'eau n'arrivera plus aux feuilles et ça va être la mortalité.

Parmi les conifères de la forêt boréale, elle a déjà constaté que le sapin est l'espèce la plus sensible à la sécheresse. L'épinette blanche se révèle plus coriace, mais la palme d’or de l’adaptation revient à l’épinette noire qui, en général, résiste bien au manque d’eau.

« Nous faisons des modèles qui sont basés sur la physiologie et qui nous permettent de faire des prédictions pour aider les aménagistes à prendre les bonnes décisions pour la gestion de nos forêts. »

— Une citation de  Annie Deslauriers, professeure à l'Université du Québec à Chicoutimi

Lire l’avenir dans les bourgeons

Annie Deslauriers montre des conifères qui perdent leurs aiguilles. Pas de mystère quant à l’identité du responsable de cette dévastation : c’est la tordeuse de l’épinette, un insecte ravageur qui s’est invité au Québec en 2006. Selon différentes prédictions, précise-t-elle, les épidémies d’insectes seront plus longues et plus fréquentes à l’avenir.

Depuis 10 ans, son équipe surveille de près la foliation des arbres du secteur, c'est-à-dire la croissance et le développement des feuilles et des aiguilles.

Ses recherches ont montré qu'avec la hausse des températures, l'ouverture des bourgeons est de plus en plus précoce. Pour la période de 2030 à 2070, la biologiste anticipe que la croissance des aiguilles va débuter cinq à six jours plus tôt, en moyenne. Pour la période 2070-2100, ce sera 13 ou 14 jours plus tôt.

Ces découvertes vont permettre de lutter contre les insectes qui raffolent des bourgeons lorsqu’ils sont tendres. Nos modèles aident des organismes comme la SOPFIM à mieux synchroniser leur arrosage de B.T. [Bacillus thuringiensis, insecticide biologique, NDLR] pour lutter contre la tordeuse, précise Annie Deslauriers.

Mieux connaître les cycles annuels des végétaux permet aussi de prévenir les risques liés à la multiplication des gelées tardives dans certains secteurs. Les nouvelles feuilles en croissance sont gorgées d'eau. Lorsque l’eau gèle, la cellule peut exploser et les nouvelles pousses sont alors perdues.

Annie Deslauriers, professeure à l'Université du Québec à Chicoutimi.

Annie Deslauriers prend la tension des arbres grâce à une chambre à pression.

Photo : Vincent Rességuier

Des découvertes utiles pour l'industrie forestière

Les conséquences peuvent être dramatiques pour un arbre dont la croissance est interrompue à plusieurs reprises par le gel. C’est pourquoi des chercheurs comme Sergio Rossi tentent d’identifier des variétés plus résilientes.

Lui aussi est professeur à l'Université du Québec à Chicoutimi. Ce spécialiste de l’écologie forestière mène ses expériences dans la Forêt d'enseignement et de recherche Simoncouche.

Son terrain de jeu est une plantation d'épinettes noires, composée de 500 spécimens qui proviennent de 5 sites situés à différentes latitudes de la forêt boréale fermée du Québec.

Tous les arbres sont équipés d'une carte à puce. C’est la raison pour laquelle Sergio Rossi se balade avec un lecteur qui va l’aider à compiler les informations dans une base de données.

Ses recherches ont notamment mis en évidence des populations d’épinettes nordiques qui, au printemps, se réactivent d'une semaine à 10 jours plus tard que des populations implantées plus au sud.

Sergio Rossi en tire des conclusions pour l’avenir : des sites qui ont des gelées tardives récurrentes pourraient accueillir des arbres qui se réactivent plus tard. Dans le cas contraire, on plantera des arbres plus précoces.

Sergio Rossi, professeur à l'Université du Québec à Chicoutimi.

Sergio Rossi dans la Forêt d'enseignement et de recherche Simoncouche

Photo : Vincent Rességuier

Ces constats intéressent évidemment l'industrie forestière, dont le rendement des plantations pourrait, dans certains cas, être menacé à cause des changements climatiques.

Nous travaillons étroitement avec l'industrie forestière et le ministère des Forêts pour identifier les meilleures stratégies pour adapter l'aménagement forestier dans ce contexte de changement, explique le chercheur.

La migration assistée

Avec le réchauffement climatique, la communauté scientifique s'attend logiquement à une migration de plusieurs espèces vers le nord. Au rythme de la nature, ce processus peut prendre des centaines d'années avec perte et fracas.

Un temps d'adaptation qui s'avère trop lent et qui ne correspond pas aux besoins de l'industrie. Les arbres sont récoltés à maturité, c'est-à-dire vers l'âge de 80 ans en moyenne.

À travers tout le Québec, une poignée d’équipes multidisciplinaires s’attellent à planifier ce qu'on appelle une migration assistée, explique Émilie Champagne, biologiste à la Direction de la recherche forestière au ministère de la Forêt.

Selon elle, il s'agit de la méthode la plus novatrice à l’heure actuelle et potentiellement la plus efficace, mais pour la mettre en application, il manque encore des données scientifiques fiables.

« La migration assistée consiste à déplacer par plantation des populations ou des espèces d'arbres vers des endroits où les conditions climatiques futures seraient adaptées. »

— Une citation de  Émilie Champagne, biologiste
Émilie Champagne du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs du Québec.

Émilie Champagne étudie le broutement par les herbivores de huit espèces d'arbres.

Photo : Vincent Rességuier

Son équipe étudie actuellement le potentiel de migration de huit espèces d'arbres emblématiques dans la réserve faunique de Portneuf.

Le ministère entend multiplier les recherches sur ce sujet. Nous rencontrons d’ailleurs Émilie Champagne à la forêt de Simoncouche, où elle est de passage pour faire du repérage. Elle cherche un terrain pour mener ses expérimentations, notamment sur l'influence de la faune, son domaine de prédilection.

Le cerf de Virginie et l'orignal peuvent entraîner des échecs de plantation et de régénération. Or, tout indique que les populations de cervidés vont bénéficier des hivers plus cléments.

Dans le cadre de la migration assistée, ses études consistent à sélectionner des arbres moins prisés par les herbivores. Là encore, l’épinette tire son épingle du jeu, au contraire du cerisier tardif, par exemple.

Le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs a mené l’an dernier une consultation publique pour établir sa Stratégie d'adaptation de la gestion et de l'aménagement des forêts aux changements climatiques.

Selon nos sources, le document est prêt, mais le gouvernement Legault n'a pas souhaité le rendre public avant les élections.

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