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Une « maison de la conscience » pour loger les statues déboulonnées et mal-aimées?

La statue de Sir John A. Macdonald du parc Gore de Hamilton est déboulonnée. Elle est entourée par des manifestants.

La statue de Sir John A. Macdonald du parc Gore, à Hamilton, a été déboulonnée par des manifestants en août 2021.

Photo : La Presse canadienne / Christopher Katsarov

Des entrepôts, sous-sols, et même des rivières : ce sont les nouvelles maisons de plusieurs statues et monuments de personnages à l’héritage controversé, au Canada et ailleurs dans le monde. La planificatrice de musée Gail Lord propose de créer une « maison de la conscience » qui pourrait leur donner une seconde vie plus utile.

La statue du premier des premiers ministres du Canada, John A. MacDonald, qui trônait devant l'Assemblée législative de l’Ontario est cachée dans une boîte en bois depuis deux ans, son sort en suspens.

Celle appartenant à Kingston est dans les limbes aussi depuis que la Ville l’a retirée de son parc pour tenter de l’envoyer à un cimetière historique qui n’en veut pas.

Bien d’autres statues de personnages historiques controversés, y compris Egerton Ryerson et des membres de la royauté, ont fini cachées ou simplement en morceaux dans les dernières années.

Gail Lord, planificatrice de musée et présidente de la firme de conseils Lord Cultural Resources, croit qu’elle pourrait leur trouver un nouveau destin.

Gail Lord parle de façon animée lors d'une entrevue.

Gail Lord a notamment travaillé au Louvre, au Musée canadien pour les droits de la personne et au Smithsonian.

Photo : Radio-Canada / Dean Gariepy

Elle propose une nouvelle sorte de musée pour loger toutes ces statues malmenées, les remettre en contexte, et les utiliser comme points de départ pour des conversations sur nos histoires difficiles.

Elle appelle cela une maison de la conscience.

Pas pour les excuser, mais pour comprendre l'histoire

Il faut imaginer un grand espace comme un hangar [d’avion], et dans cet espace on peut trouver des statues, en bonne condition ou dégradées, explique-t-elle.

« La chose la plus importante c’est de présenter les statues dans leur contexte. Peut-être en employant un code QR, peut-être avec une vidéo, peut-être avec une expérience immersive [...] la poésie, le théâtre. »

— Une citation de  Gail Lord, présidente de Lord Cultural Resources

Elle imagine ces endroits comme des lieux où ceux qui voient en Egerton Ryerson et John A. MacDonald des architectes de l’oppression des Autochtones, et ceux qui les considèrent comme des pionniers de la création du Canada et de l’éducation au pays pourraient se rencontrer, et se comprendre.

Je ne peux trop insister sur l’importance d’amener de la compréhension. Non pas pour excuser [ces personnages] mais pour comprendre que l’histoire change. Nos valeurs changent, dit-elle.

Une idée attrayante?

Le principe plaît au chef de la Première Nation d’Alderville, Dave Mowat.

On n’apprend rien en retirant des statues, affirme-t-il.

L’historien de formation préside un groupe de travail qui conseille la Ville de Kingston sur le sort de la statue et du reste de l’héritage de John A. MacDonald.

S’il a lui-même conseillé à la Municipalité de retirer sa statue du parc, c’est parce qu’il était convaincu que, sinon, des manifestants s’en occuperaient moins cérémonieusement.

Une statue de l'ancien premier ministre Sir John A. Macdonald a été retirée l'été dernier d'un parc de Kingston.

Une statue de l'ancien premier ministre Sir John A. Macdonald a été retirée l'été dernier d'un parc de Kingston.

Photo : La Presse canadienne / Lars Hagberg

Il trouve que c’est dommage, mais reconnaît qu’il y avait un besoin de recadrer le message envoyé par le monument.

Le groupe de travail avait discuté de plusieurs solutions, comme celle d’ériger une seconde statue à ses côtés, de l’accompagner d’une plaque explicative, ou encore de la descendre de son piédestal.

Si ce que ça prend, c’est construire une maison de la conscience, faisons-le, et peut-être que ça permettra aux gens d’apprendre à connaître MacDonald et ses collègues de l’époque sous un autre jour, conclut-il.

L’historien veut cependant que cela se fasse à Kingston, afin que l’héritage de l'ancien premier ministre reste accessible dans la ville où il est enterré.

Une mémoire collective en constante renégociation

Martin Pâquet, professeur d’histoire à l’Université Laval qui se spécialise dans le domaine de la commémoration, explique que le dilemme sur l’avenir de nos statues n’a rien d’unique à notre pays ni à notre époque.

Il cite en exemples les monuments à Lénine et Marx qui sont tombés de leurs piédestaux après la chute du communisme en Europe, la statue de Staline dont il ne reste plus que les bottes à Budapest, ou encore celle de Léopold II à Anvers, qui a été accompagnée d’une plaque explicative mentionnant les horreurs que l'ancien roi des Belges a causées au Congo, puis carrément enlevée de la place publique.

Un homme frappe une statue avec une massue.

La statue d'Egerton Ryerson de Toronto a été décapitée par des manifestants en 2021.

Photo : Radio-Canada / Evan Mitsui/CBC News

Il y a une constante renégociation, explique l’historien, de notre mémoire collective et des rapports de pouvoirs symbolisés par ces monuments.

L’idée proposée par Gail Lord n’est d'ailleurs pas entièrement sans précédent.

En Bulgarie, par exemple, le Musée d’art socialiste de Sofia accueille des statues, bustes et autres reliques de l’époque soviétique qui n’étaient plus bienvenus sur la place publique.

Comprendre l’histoire sans l’idéaliser

Martin Pâquet estime que changer l'emplacement d’une statue, c’est souvent changer son but.

Dans la rue, on veut vous séduire, vous rattacher à un symbole et vous faire adhérer à des valeurs communes, dit-il.

C’est une manière d’imposer cette adhésion, alors que si vous allez dans un musée, cette adhésion n’est pas imposée, parce que c’est un lieu où on tente en premier de vous faire comprendre quelque chose.

France Picotte, membre de la nation métisse de l’Ontario établie à Timmins, aime le concept des maisons de la conscience.

« J’aime le fait que [ces statues] peuvent être utilisées pour de l'éducation [sur] la vraie histoire, pas juste l’histoire de l’homme européen, là. La vraie histoire qui est arrivée au Canada et [...] à nous autres comme peuple autochtone. »

— Une citation de  France Picotte, membre de la Nation métisse de l’Ontario

Elle a toutefois des réserves par rapport à l’argent et aux efforts qui devront être consacrés à sa réalisation.

Toutes les injustices qui nous ont été faites comme personnes autochtones, surtout aux femmes, ça se fait encore. Alors, pourquoi ne pas dépenser [notre] énergie sur ça? demande-t-elle.

Gail Lord souligne pour sa part qu’entreposer des statues est également coûteux.

Et même lorsque des plaques sont ajoutées à leurs côtés pour expliquer leur complexe histoire, les gens les lisent rarement.

Les reloger dans un musée existant est souvent difficile, ne serait-ce qu’à cause de leur taille et de leur poids.

Elle reconnaît que la solution qu’elle propose est dispendieuse, mais elle est convaincue que cela en vaut la peine.

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