Quand les solutions aux problèmes ne séduisent pas les électeurs

Les baisses d'impôt et les chèques envoyés aux contribuables promis par les partis politiques n'aideront pas à ralentir l'inflation, préviennent des économistes. (archives)
Photo : iStock / Elena Perova
La campagne électorale au Québec commence à peine que déjà, les partis lancent à coups de millions des promesses visant à garnir le portefeuille des électeurs. L’une des idées proposées par la Coalition avenir Québec (CAQ) et par le Parti libéral du Québec (PLQ) est de baisser les impôts pour aider les familles à affronter le niveau élevé de l'inflation. « Une proposition irresponsable qui viendra empirer le problème », se sont empressés de dire de nombreux spécialistes. S’il semble évident que la hausse des prix à la consommation sera un enjeu majeur de cette campagne, que peut-on espérer comme solution de la part des politiciens?
C’est vraiment une joute politique pure et dure! C’est un peu démoralisant
, laisse tomber l'économiste David Dupuis. Ce dernier s’y connaît bien en matière d’inflation : il a travaillé à la Banque du Canada pendant plus de 10 ans. Cet organisme fédéral demeure, selon lui, l’agent principal pour intervenir sur l’inflation, mais le gouvernement provincial a quand même un rôle à jouer dans l’équation, si minime soit-il. David Dupuis estime que la stratégie proposée par la CAQ et le PLQ ne ferait que jeter de l’huile sur le feu
.
« Le gouvernement du Québec, qui voudrait travailler contre l’inflation, ne [devrait pas] mettre d’argent dans les poches des contribuables. Il [devrait plutôt] tenter d’alléger la façon de faire des affaires pour réduire les coûts aux entrepreneurs. Ces derniers ne seraient alors pas obligés d’augmenter les prix devant un choc inflationniste. »
Des dollars dans les poches des contribuables
Ce n’est pas, pour l’instant, la voie qu'empruntent les partis pour s’attaquer à cette situation inquiétante : ils s’orientent plutôt sur des mesures visant à augmenter le pouvoir d’achat des citoyens. Par exemple, la CAQune aide allant jusqu’à 2000 $ aux aînés. Les deux partis se sont d’ailleurs disputés sur la paternité de cette dernière idée.
et le PLQ ont, depuis le début de la semaine, proposé simultanément d’alléger le fardeau fiscal des Québécois etLa CAQ
devrait aussi offrir une aide de 400 à 600 $ aux Québécois ayant des revenus de moins de 100 000 $ si elle est reportée au pouvoir. Québec solidaire a, pour sa part, l’idée d’annuler la TVQ sur certains produits essentiels, le temps que l’inflation ralentisse.Ce niveau d’inflation jamais vu depuis plus de 40 ans s’explique par une pression trop forte de la demande face à une offre qui n’arrive pas à fournir en biens et en services. Donner plus d’argent aux consommateurs ne fait qu’amplifier le problème. Dans ce contexte, pourquoi proposer des baisses d’impôt et des mesures d’allégements financiers si ce n’est pas pour réellement aider l’économie?
L'arrivée d'un nouveau joueur
La montée du Parti conservateur du Québec (PCQ) dans le paysage politique amène avec lui des changements dans les autres formations. On a une configuration des options électorales spécifiquement à droite. Sachant que le PCQ allait proposer quelque chose par rapport à la question des impôts, ce n'est pas surprenant de voir d'autres partis tenter de puiser dans le même bassin d’électeurs
, observe la politologue et la professeure à l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke, Joanie Bouchard.
L’idée de revoir la fiscalité du Québec n’est pas nécessairement mauvaise, mais le moment n’est peut-être pas opportun, croit l’économiste David Dupuis. Le Québec est dans une position où la fiscalité est beaucoup plus lourde qu’ailleurs. Il y aurait des efforts à mettre pour trouver une façon de lisser la fiscalité des payeurs de taxes. Malheureusement, conjoncturellement parlant, ce n’est pas le moment de le faire.
Si l'on peut penser que d’emblée, la majorité des électeurs applaudissent à la perspective de voir de nouveaux dollars tomber dans leurs poches, Joanie Bouchard croit qu’au contraire, plusieurs n'approuvent pas. Certains sont plus à gauche et plus portés vers des mesures qui servent la collectivité, comme en éducation et en santé.
« Ce ne sont pas tous les électeurs qui sont charmés par les mêmes choses. Tous n’ont pas les mêmes préoccupations. Le succès d'une promesse électorale dépend du type d'électeurs qu'on veut toucher. »
La bonne solution pour réduire l’inflation
Reste que de vendre à des électeurs des solutions réelles pour faire baisser l'inflation est beaucoup plus difficile, juge David Dupuis. Par exemple, proposer des mesures directes pour aider les entreprises à rendre les chaînes d’approvisionnement plus efficaces, baisser leurs coûts de production et contrer les effets de la rareté de main-d'œuvre auraient un effet certain sur les prix des produits. C'est beaucoup plus intéressant pour la qualité et la santé de notre économie à long terme de jouer sur des éléments comme ça, mais ça ne gagne pas une élection
, affirme l’économiste.
Pas nécessairement, rétorque Joanie Bouchard, qui rappelle que tout dépend des sujets et des angles qui seront mis de l’avant par les partis, mais aussi par les médias qui couvrent la campagne électorale. Si on parlait beaucoup des entreprises qui sont en mauvaise posture et que les électeurs étaient très sensibilisés à cette question, [...] on pourrait voir des promesses qui seraient dirigées vers ces enjeux.
La politologue souligne aussi que les partis politiques présentent un éventail beaucoup plus large de propositions que ce qui est mis de l’avant dans les médias au quotidien d’une campagne. On devine, à son propos, que les électeurs auraient tout intérêt à consulter les programmes des formations politiques pour avoir une meilleure idée des orientations et des solutions qu’elles proposent.
Fidèles à leurs promesses
Si plusieurs engagements faits lors des campagnes électorales passées n’ont jamais vu le jour, comme la transformation du mode de scrutin ou l'accès à un médecin de famille pour chaque citoyen, Joanie Bouchard mentionne que, contrairement à la croyance populaire, les partis portés au pouvoir honorent majoritairement leurs promesses électorales.
« Les politiciens respectent beaucoup plus de promesses que l'on pense. C’est une perception qu’on a qui n’est pas un reflet de la réalité. »
Selon des études auxquelles la professeure Bouchard se réfère, la CAQ
de François Legault a rempli 80 % de ses engagements et le gouvernement libéral de Philippe Couillard a terminé son mandat avec un score de 82 %. Toutefois, elle précise que ces résultats chutent lorsque le gouvernement élu est minoritaire.À la lumière de ces résultats, Joanie Bouchard rappelle que les promesses présentées par les partis tiennent généralement la route, mais que les solutions proposées, elles, ne sont pas perçues de la même façon par tous les électeurs. C’est vrai aussi pour l’inflation qui occupera une place importante dans cette campagne. Ça n’affecte pas tout le monde de la même manière et tout le monde ne voit pas les mêmes solutions comme étant les bonnes pour s'attaquer à ce problème
, conclut-elle.