Des municipalités francophones s’anglicisent au Nouveau-Brunswick

Le village de Memramcook, au Nouveau-Brunswick, a atteint le seuil de 20 % d'anglophones lors du dernier recensement.
Photo : Radio-Canada / NICOLAS STEINBACH
Les données les plus récentes de Statistique Canada démontrent que la population anglophone prend de plus en plus de place dans des municipalités à majorité francophone du Nouveau-Brunswick, comme Memramcook et Cocagne. Des associations de la province jugent la situation inquiétante.
Memramcook est historiquement un village francophone, mais cette majorité s’effrite peu à peu. Avocat en immobilier de profession, le maire du village, Maxime Bourgeois, en sait quelque chose.
Je vois que la plupart des clients que j’ai représentés qui ont déménagé à Memramcook, la grande majorité sont des anglophones, surtout de l’Ontario
, dit-il.
Maxime Bourgeois affirme éprouver un peu de tristesse de voir l’assimilation et l’anglicisation de sa communauté.
Je trouve ça regrettable que notre conseil municipal et les autres avant nous n’aient pas agi avant pour encourager l’immigration francophone
, dit-il.
« C’est certain que les communautés francophones en position de ruralité sont plus vulnérables. »
À Cocagne, la même réalité se dessine : la population anglophone grandit plus rapidement que la population francophone.
La maire adjointe de cette communauté, Isabelle Mazerolle, a les yeux rivés sur l'avenir avec inquiétude.
On ne veut pas, dans 30 ans de maintenant, être obligés d’expliquer à nos enfants que aye, pendant 255 ans, Cocagne a été une communauté majoritairement francophone, puis là, ce n’est plus ça. Ce serait un cauchemar pour moi
, dit-elle.
Accommodement des minorités
L’article 35 de la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick, en cours de révision, indique qu’une municipalité dont la population de langue officielle minoritaire atteint au moins 20 % de la population totale est tenue d’adopter et de publier ses arrêtés dans les deux langues officielles.
Dans les cas de Memramcook et Cocagne, la population anglophone a atteint ce seuil.
Ces municipalités auront des obligations d’offrir au départ des arrêtés municipaux de la municipalité depuis 2002 dans les deux langues officielles, des avis publics dans les deux langues officielles également, plusieurs services devront être offerts également dans les deux langues officielles
, confirme le professeur émérite en droit et spécialiste en droits linguistiques Michel Doucet.
Avec ses nouvelles responsabilités viennent de nouvelles dépenses à la Ville, indique Isabelle Mazerolle : que ce soit pour les procès-verbaux, les ordres du jour et les arrêtés, qui sont actuellement unilingues en français.
Notre langue de travail est le français, nos réunions sont en français
, rappelle Isabelle Mazerolle Ça pourrait être très coûteux d’avoir de la traduction instantanée à nos réunions. Fait que déjà là, on se dit : est-ce qu’on va avoir un appui gouvernemental pour nous aider?
Des voix s’élèvent du côté des associations
Selon l’Association francophone des municipalités du Nouveau-Brunswick, ces communautés ne sont pas prêtes à assumer ces nouveaux coûts.
Il n’y a pas non plus de programmes en place pour les aider.
L’Association demande à Fredericton de l’aide pour la transition, mais surtout des actions concrètes pour renverser la vapeur et arrêter l’érosion de la population francophone.
S’il n’y a pas de politique en place pour aider à augmenter ce taux de francophones dans les municipalités, dans les communautés, on va se retrouver année après année avec un problème qui va être grandissant, un poids des francophones qui va diminuer
, explique le directeur général, Pascal Reboul.
Il rappelle qu’à la base, la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick a été mise en place pour protéger la minorité.
Finalement, on se retrouve avec un seuil de 20 % qui va pénaliser les communautés francophones en ajoutant des coûts supplémentaires et sans forcément de financement disponible, donc je trouve ça un peu inquiétant
, dit Pascal Reboul.
Le directeur général de l'AFMNB
estime que le seuil de 20 % pourrait être revu à la hausse, autour de 25-30 % dans un premier temps, pour s’adapter à la nouvelle réalité du poids démographique des francophones qui diminue.À la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick, on estime que l’article 35 de la Loi sur les langues officielles est désuet et devrait être modifié pour protéger les francophones.
C’est certainement une mauvaise nouvelle, puisque je pense que la bilinguisation dans nos municipalités de nos communautés acadiennes apporte un vent de langue anglaise et je pense que ça pourrait diminuer le poids démographique francophone
, affirme le président de la Société de l'Acadie du Nouveau-Brunswick Alexandre Cédric Doucet.
La SANB
aimerait que la nouvelle mouture de la Loi, actuellement en révision, applique cet article uniquement aux municipalités où les anglophones sont majoritaires. De son côté, l'AFMNB n'a pas voulu parler d'application asymétrique de l'article 35.Une politique d’immigration plus flexible
De son côté, le ministre des gouvernements locaux et de la réforme municipale, Daniel Allain, invite les municipalités à envoyer les nouveaux coûts engendrés par la traduction que pourraient causer les nouveaux accommodements nécessaires.
Il ne nie pas non plus qu’il existe une inquiétude face aux plus récentes données de Statistique Canada.
On ne peut pas le cacher
, dit-il. Certainement, comme francophone, on veut grandir, on veut s’épanouir.
Daniel Allain convient qu’il faut en faire plus en matière d’immigration francophone et prône une politique d’immigration plus flexible avec Ottawa.
Il vise un seuil de 33 % de nouveaux arrivants francophones, une responsabilité partagée avec le fédéral.
Les nouveaux chiffres de recensement nous démontrent qu’il faut travailler sur l’immigration. Il faut travailler sur notre système d’éducation pour faire sûr qu’on garde notre langue française
, affirme-t-il.
Par ailleurs, plusieurs municipalités seront fusionnées au cours des prochains mois dans le cadre de la réforme de la gouvernance locale.
On ne peut pas encore prédire l’impact qu'aura cette réforme sur la proportion d’anglophones dans les régions à majorité francophone.
La révision de Loi sur les langues officielles est, quant à elle, toujours entre les mains du premier ministre Blaine Higgs, qui n’y a pas encore répondu.
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D’après le reportage de Nicolas Steinbach