Climat : 7 jeunes contre le gouvernement de Doug Ford
Après avoir tenté de faire dérailler le processus judiciaire, les conservateurs doivent défendre leurs politiques devant les tribunaux.
Les sept jeunes plaignants sont soutenus dans leur cause par le cabinet d'avocats Stockwoods LLP de Toronto et les avocats du groupe Ecojustice.
Photo : Radio-Canada / Evan Mitsui
Les avocats de sept jeunes Ontariens tenteront de démontrer à compter d'aujourd'hui que les politiques environnementales du gouvernement Ford hypothèquent l'avenir de leurs clients et briment leurs droits inscrits dans la Charte canadienne des droits et libertés.
Les sept jeunes tenteront de forcer la province à adopter des cibles de réduction de gaz à effet de serre beaucoup plus ambitieuses après le changement de cap des conservateurs à ce sujet en novembre 2018.
Les plaignants qui avaient déposé leur recours constitutionnel en novembre 2019 pourront finalement faire entendre leurs craintes au sujet du réchauffement climatique.
Ils sont représentés dans ce litige par l'organisme Ecojustice et une firme d'avocats de Toronto.
Ecojustice affirme que l'avenir de ses clients est hypothéqué parce que le gouvernement n'en fait pas assez, selon lui, pour réduire les émissions polluantes qui sont responsables de la sécheresse, des inondations et des feux de forêt en Ontario.
Les sept jeunes plaignants :
- Alex Neufeldt, 26 ans, d’Ottawa
- Madison Dyck, 26 ans, de Thunder Bay
- Shelby Gagnon, 26 ans, de Thunder Bay
- Beze Gray, 27 ans, de la Première Nation d’Aamjiwnaang, près de Sarnia
- Zoe Keary-Matzner, 15 ans, de Toronto
- Sophia Mathur, 15 ans, de Sudbury
- Shaelyn Wabegijig, 25 ans, de la Première Nation Timiskaming
En ce sens, le réchauffement planétaire aura, selon le groupe, un impact négatif sur la vie, la santé et la sécurité des sept plaignants et des générations futures. Des droits qui sont tous garantis dans la Charte canadienne, dit-il.
La cause entendue par la Cour supérieure est la première du genre en Ontario.
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Objectif contesté
À peine élus en juin 2018, les progressistes-conservateurs avaient adopté en novembre de la même année la Loi annulant le programme de plafonnement et d'échange de leurs prédécesseurs.
Ils avaient du même coup revu à la baisse les cibles de réduction des émissions de gaz à effet de serre, en les faisant passer de 37 % à 30 % d'ici 2030, mais par rapport aux niveaux de 2005 et non plus de 1990 comme le planifiaient les libéraux.
En réduisant ces cibles, la province a autorisé l'émission de polluants au cours des prochaines décennies, alors que la science montre qu'il était nécessaire à l'époque de les réduire au maximum pour prévenir une catastrophe dans un avenir rapproché
, explique l'avocate d'Ecojustice, Danielle Gallant.
Me Gallant précise qu'en agissant de la sorte, le gouvernement a violé les droits des plaignantes à la vie, à la sécurité et à l'égalité inscrits dans la Charte.
Le droit à la vie et à la sécurité implique que la santé physique et psychologique des jeunes générations ne peut être affectée par le changement climatique.
Le droit à l'égalité sous-entend que le réchauffement planétaire aura des répercussions disproportionnées sur les jeunes générations par rapport à leurs aînés.
Ces groupes de citoyens ont des vulnérabilités qui leur sont propres et ils vivront plus longtemps pour voir les effets plus sévères et plus fréquents du réchauffement climatique sur leur vie et celle de leurs enfants
, ajoute Me Gallant.
Premiers déboires
Le gouvernement Ford avait tenté de faire annuler ce recours judiciaire dès le début en soutenant qu'il y avait peu de possibilités réelles que les sept jeunes remportent leur cause devant les tribunaux.
À la surprise générale, la Cour supérieure de l'Ontario avait rejeté la requête du gouvernement, qui n'a plus le choix aujourd'hui de défendre son programme environnemental devant les tribunaux.
Dans sa décision, la juge Carole Brown avait statué que les tribunaux ont le devoir de vérifier si les politiques des gouvernements en matière d'environnement briment les droits constitutionnels inscrits dans la charte.
La Cour avait accepté la demande de révision judiciaire des sept jeunes plaignants au sujet des politiques du gouvernement Ford.
La Cour divisionnaire de l'Ontario avait par la suite rejeté l'appel de la province, qui contestait le jugement Brown. Le tribunal avait ainsi confirmé le jugement de la Cour supérieure.
S'avouant vaincu, le gouvernement Ford avait renoncé à interjeter appel de cette nouvelle décision devant le plus haut tribunal de la province.
C'est donc une longue saga judiciaire qui se poursuit. Après deux manches devant les tribunaux, il ne reste plus qu'à entendre le litige sur le fond.
Un enjeu mondial
Me Gallant explique que son groupe va maintenant pouvoir plaider sa cause avec des arguments scientifiques et juridiques sur les conséquences du changement climatique.
C'est une cause qui porte sur l'approche insouciante du gouvernement Ford qui met en danger l'avenir collectif de la jeunesse dans la province
, dit-elle.
Une éventuelle victoire d'Ecojustice en Cour supérieure pourrait déboucher sur un précédent juridique qui pourrait obliger les gouvernements au pays à rendre des comptes aux citoyens sur leur action en faveur du climat et sur la protection des droits fondamentaux.
L'idée de recourir aux tribunaux n'est certes pas nouvelle ailleurs au pays ou dans le monde. Des manifestations monstres ont secoué juste avant la pandémie plusieurs capitales pour réclamer des gouvernements des actions concrètes contre le réchauffement planétaire.
Me Gallant souligne qu'il existe déjà une jurisprudence internationale favorable à sa cause en Occident. Elle fait référence à un jugement historique de 2015 devant un tribunal des Pays-Bas.
À l'époque, les tribunaux néerlandais avaient ordonné au gouvernement de l'époque de hausser ses cibles de réduction d'émissions polluantes pour protéger les droits de ses citoyens
, se souvient-elle.
D'autres juridictions ont par la suite entendu des litiges similaires, notamment en France, en Allemagne et en Irlande, où les gouvernements ont aussi perdu leur cause.
Tous ces jugements montrent que les gouvernements doivent être tenus responsables de leurs décisions dans leur lutte contre le réchauffement climatique
, poursuit-elle.
Échec au Québec
Seul bémol : une cause semblable contre les politiques du gouvernement fédéral en matière d'environnement a échoué au Québec.
La Cour suprême du Canada a d'ailleurs renoncé il y a deux mois à entendre l'appel du groupe Environnement Jeunesse qui contestait une décision défavorable de la Cour d'appel du Québec.
Qu'à cela ne tienne, Me Gallant affirme que la décision de la Cour suprême du Canada sur la taxe fédérale sur le carbone est importante pour leur combat, puisqu'elle a statué que le réchauffement climatique représentait bien une menace pour l'Humanité.
La Cour suprême a effectivement donné raison au gouvernement Trudeau à ce sujet en mars 2021, en statuant que l'établissement de normes nationales de tarification était une matière cruciale pour permettre de répondre à une menace existentielle à la vie humaine au Canada et dans le monde entier
.
On s'attend notamment à ce que les avocats du gouvernement Ford arguent l'idée que les tribunaux n'ont aucune juridiction en matière de politiques publiques et que l'environnement relève de la sphère politique.
La loi est pourtant claire, lorsque les actions d'un gouvernement enfreignent les droits inscrits dans la charte, les tribunaux ont l'autorité, voire l'obligation, de trancher sur de tels enjeux
, réplique Me Gallant.
Elle ajoute qu'il existe de nombreuses preuves scientifiques qui montrent que le réchauffement climatique aura des conséquences néfastes sur la vie sur Terre.
L'impact se fait déjà sentir, les désordres climatiques sont déjà plus fréquents et plus sévères et les dommages seront encore plus graves à plus long terme
, déclare l'avocate en précisant que cet enjeu devrait inquiéter toutes les générations.
Nos clients sont jeunes et font preuve de leadership, ils sont prêts à aller jusqu'en Cour suprême s'il le faut, ils savaient dans quoi ils s'embarquaient en 2019 pour protéger leurs droits et leur avenir
, conclut Me Gallant.
Six associations ont obtenu le statut d'intervenant dans ce recours judiciaire : les Amis de la Terre, l'Association canadienne des médecins pour l'environnement, l'Assemblée des Premières Nations, Indigenous Climate Action, For Our Kids et le Centre David Asper pour les droits constitutionnels.
Leurs positions se rapprochent de celles d'Ecojustice.
Les audiences, qui sont entièrement virtuelles, se tiendront sur une période de trois jours.