Élections au Québec : qui part avec la plus grosse cagnotte?

Les contributions des électeurs fidèles profitent à la CAQ de François Legault sur le plan financier.
Photo : La Presse canadienne / Ryan Remiorz
La Coalition avenir Québec engrange les millions! Les revenus du Parti libéral du Québec stagnent. Le Parti conservateur a réussi à accumuler une impressionnante cagnotte en peu de temps et Québec solidaire jouit d’une bonne santé financière. Quant au Parti québécois, il n’est plus dans le rouge, mais la campagne électorale pourrait le replonger en déficit.
Voilà comment on pourrait résumer la santé financière de chacune des formations politiques, à l'aube de la campagne électorale qui sera officiellement déclenchée dimanche.
Avec l’aide de Christian Côté, un CPA habitué à auditer les partis, nous avons analysé les plus récents états financiers, c’est-à-dire ceux dont l’exercice se termine le 31 décembre 2021.
Les coffres du Parti conservateur n’ont jamais été aussi garnis
Le rapport du Parti conservateur du Québec (PCQ) est celui qui le surprend le plus. Le niveau de revenus a plus que triplé cette année par rapport à 2020. On n’a plus le même parti! La percée d’Éric Duhaime est évidente et bien sentie
, estime Christian Côté.
En effet, la formation a terminé l’année 2021 avec plus d’un million de dollars en poche, comparativement à 386 000 $ en 2020. C’est plus que Québec solidaire et le Parti québécois.
Le PCQ prêche par l’exemple, soit en maintenant une structure la plus mince possible et en ayant un système de contrôle des dépenses conservateur
, soutient Cédric Lapointe, l’attaché de presse d’Éric Duhaime.

Les dons et adhésions au Parti conservateur ont explosé depuis l'entrée en scène d'Éric Duhaime.
Photo : La Presse canadienne / Graham Hughes
Au cours de l’exercice, le PCQ a reçu environ 270 000 $ en contributions provenant de 6620 donateurs. L’ex-chef du parti Adrien Pouliot avait réussi à amasser seulement 50 000 $ de 1402 donateurs l’année précédente.
Une autre donnée saute aux yeux : les revenus d’adhésion, c'est-à-dire ceux générés par les nouveaux membres qui se joignent au parti. Alors que le PCQ avait récolté à peine 21 000 $ en 2020, un an plus tard, il obtient 327 000 $. C’est beaucoup plus que la CAQ, qui compte 125 000 $ provenant de ses nouveaux membres.
D’après Christian Côté, c’est quand même représentatif d’une certaine tendance, qui n’est pas majoritaire, mais qui veut tout de même dire qu’une portion significative de la population n’est pas à l’aise avec le modèle politique actuel. Une partie des gens se reconnaissent dans le discours conservateur. De plus, le niveau extraordinaire des revenus perçus d’avance signifie la croissance de popularité indéniable de ce parti, car ce sont des revenus qui sont encaissés en 2021, mais qui seront reconnus à titre de revenus seulement en 2022
.
La directrice générale de la Coalition avenir Québec (CAQ), Brigitte Legault, prétend qu’il faut se méfier de la façon dont les chiffres sont comptabilisés.
Beaucoup de nos nouveaux membres donnent 25 $ sur 5 ans, donc nous, on doit mettre ce montant-là sur cinq ans. Notre aile jeunesse a aussi donné beaucoup de memberships gratuits sur les campus. On a d’ailleurs un programme d’adhésion de la première carte de membre gratuite. Moi, je ne fais pas d’argent avec la carte, ça ne m’intéresse pas!
Ce qui compte, selon elle, ce sont les contributions des électeurs fidèles. Leur nombre a d’ailleurs bondi de 20 % à la CAQ en 12 mois, ce qui permet de garnir les coffres de 778 000 $. Ainsi, la pandémie et les décisions du gouvernement Legault ne semblent pas du tout avoir influé sur les finances de la CAQ.
Qui sont les membres conservateurs?
L’expert en finances corporatives Christian Côté attire de nouveau notre attention sur les revenus générés par les nouveaux membres du Parti conservateur. L’auditeur qui a signé le rapport financier émet une réserve : Le Parti perçoit des produits d’adhésion et d’activité à caractère politique pour lesquels il n’est pas possible d’auditer l’exhaustivité de façon satisfaisante
.
Selon M. Côté, ça demeure tout à fait légal et il ne faut pas interpréter cette réserve comme une irrégularité. Cette réserve peut provenir, par exemple, de l’impossibilité d’auditer toutes les sommes en argent comptant comme on retrouve dans plusieurs fondations. La croissance du nombre de membres sans que les systèmes du parti se soient immédiatement ajustés peut aussi expliquer la présence de la mention
.
Cédric Lapointe l’explique d'ailleurs par l’informatisation du système d’enregistrement des membres, auparavant comptabilisés manuellement.
Il est très important pour nous de savoir qui sont tous nos membres, afin de pouvoir permettre à chacun d’entre eux d’exercer tous les droits qui viennent avec l’adhésion. Nous travaillons à mettre en place les recommandations de l’auditeur
, dit M. Lapointe.
Les finances du PQ vont mieux… pour combien de temps?
Ils ont clairement redressé leur situation. Ils étaient presque sous tutelle!
, affirme Christian Côté. En 2020, le déficit cumulé du PQ s’élevait à 2,4 millions de dollars. L’imposante dette menaçait carrément la survie du parti politique et les prêteurs levaient des drapeaux rouges.
Plusieurs moyens ont été pris pour se sortir du gouffre financier. C’est la première fois depuis plusieurs années que le PQ termine l’exercice financier avec un solde positif de 365 000 $. C’est peu pour sillonner les routes électorales, mais le parti part plus léger, puisque sa dette est complètement éliminée.
Ce qui a grandement contribué à réaliser ce tour de force, c’est le rapatriement au siège social de tous les actifs et passifs des bureaux de circonscription. En fermant ses antennes régionales, le Parti québécois a réalisé un gain exceptionnel de 463 000 $.

La fermeture des antennes régionales du Parti québécois, dirigé par Paul St-Pierre Plamondon (à gauche sur la photo), lui a permis d'améliorer ses finances. Le chef du PQ est ici accompagné des candidats Sylvie Tanguay et Yves Bérubé-Lauzières.
Photo : Radio-Canada / Titouan Bussiere
Aussi, ils ont appris depuis deux ans à mieux gérer avec le même niveau de revenus, mais ils pourraient retourner dans le rouge si la tendance des sondages se concrétise à la campagne électorale
, avertit Christian Côté.
Les libéraux millionnaires sur papier
La CAQ et le Parti libéral du Québec (PLQ) ont tous deux terminé l’année 2021 avec environ 6,8 millions de dollars en poche (actif net), mais leur situation financière est bien différente l’une de l’autre.
D’abord, 60 % des revenus de la CAQ proviennent de l’allocation du DGE, versée proportionnellement aux votes recueillis aux dernières élections.
Quant aux libéraux, une part de 60 % de leurs surplus provient de leurs immobilisations, puisqu’ils sont propriétaires de bâtiments et de terrains, contrairement aux autres partis.
Lorsqu'on consulte les états financiers du 31 décembre 2021, sur papier, les libéraux semblent avoir une excellente situation financière attribuable à leurs surplus de longue date, mais le parti fait clairement du surplace au niveau des revenus, même à l’approche d’un nouveau scrutin en 2022
, estime Christian Côté.
Leurs revenus stagnent, notamment en raison du nombre de donateurs qui n'a augmenté que de 3 % de 2020 à 2021. Le Parti libéral confirme qu'il a dû placer ses immobilisations en garantie, il y a quelques jours à peine, pour financer la campagne électorale. Cette information n'apparaît pas aux derniers états financiers, mais elle devra être divulguée dans le prochain rapport.
La direction des communications nous a fait parvenir cette déclaration : Le Parti libéral du Québec a une excellente santé financière. Nous sommes d'ailleurs le seul parti qui possède des actifs (4,7 M$). C'est d'ailleurs ce qui nous permet de mettre nos immeubles en garantie au lieu du remboursement du DGEQ. Nous avons choisi d'y aller avec une marge de crédit hypothécaire, d'un maximum de 2 M$, qu'on utilisera au besoin pendant la campagne
.
La CAQ et le PCQ sortent le chéquier pour la pub
Les états financiers permettent également de voir les principales dépenses des formations politiques. Sans surprise, la CAQ est celle qui dépense le plus en sondages et en publicité. À un an des élections, environ 350 000 $ ont été investis.

Les partis n'ont pas lésiné en dépenses publicitaires.
Photo : QS/PCQ/PLQ/CAQ
Dès qu’on a un congrès ou un conseil général, on dépense environ 50 000 $ pour des prises d’images
, explique la directrice générale Brigitte Legault. Durant les événements politiques, des vidéos sont souvent retransmises sur écrans géants pour montrer les députés et leurs actions sur le terrain.
C’est sûr que c’est un champ qui a l’air surdimensionné, mais on a décidé d’investir pour s’assurer d’avoir des images qui nous appartiennent, parce qu’on ne trouve pas de banques d’images québécoises. On ne veut pas se retrouver avec une photo de l’Arizona
, dit-elle à la blague, alors que d’autres partis, dans le passé, se sont fait prendre à utiliser des images américaines pour illustrer des enjeux québécois.
En devenant l’Équipe Éric Duhaime, le PCQ a aussi donné un grand coup pour publiciser son nouveau chef. Les dépenses en publicité ont explosé, passant d’un maigre 1000 $ à presque 183 000 $ à l’arrivée d’Éric Duhaime. La majeure partie de l’argent est utilisée pour les réseaux sociaux et les communiqués de presse.
Le PLQ, avec une nouvelle cheffe dotée d’une nouvelle vision, a dépensé 150 000 $ de plus cette année pour ce qu’il appelle la communication et diffusion d’un programme politique
.
Les salaires alourdissent les finances de Québec solidaire
Les finances de Québec solidaire (QS) se portent bien. Les électeurs du parti semblent mobilisés. Non seulement l’argent généré par les nouveaux membres passe de 156 000 $ à 229 000 $, mais les contributions des électeurs augmentent aussi de 256 000 $ à 332 000 $.
Fait particulier à Québec solidaire : la formation politique emprunte de l’argent à des particuliers, c’est-à-dire ses propres électeurs. Tout a été remboursé pour les élections de 2018. QS compte de nouveau sur cette formule en 2022, mais la porte-parole Camila Rodriguez-Cea refuse de dévoiler la cible stratégique.
Nous pourrions emprunter auprès d’institutions bancaires, ce qui serait beaucoup plus simple en termes administratifs, mais tant qu’à devoir verser des intérêts, nous préférons en faire profiter nos électeurs plutôt que des institutions déjà très riches
, explique-t-elle. Québec solidaire s’engage à tout rembourser en deux ans.
Les salaires des employés constituent la principale dépense de la formation politique : une somme de 1,45 million de dollars a été dépensée en salaires et charges sociales l’an dernier, comparativement à 1,1 million pour les employés de la CAQ.
Comment l’expliquer?
, demande Christian Côté. La CAQ, c’est le gouvernement. C’est un parti beaucoup plus gros que QS, dans lequel il entre deux fois plus de revenus que Québec solidaire. Pourtant, QS dépense 330 000 $ de plus annuellement en salaires que la CAQ en 2020 et en 2021.

Québec solidaire emprunte de l'argent à des particuliers, plutôt qu'à des institutions bancaires. Sur la photo, les co-porte-parole Manon Massé et Gabriel Nadeau-Dubois (1re et 2e à partir de la gauche) sont assis aux côtés des candidats Mélissa Généreux et Philippe Pagé.
Photo : Radio-Canada / Yannick Cournoyer
Dans son analyse, l’expert-comptable Christian Côté estime que tout l’argent de Québec solidaire servira au financement des prochaines élections, à la suite de la décision du congrès du parti en 2013. Le montant réservé se situe à environ 750 000 $.
Selon lui, les élections à date fixe et un gouvernement majoritaire représentent un avantage financier pour tous. Les partis ont engrangé! C’est le fun quand tu fais quatre ans sans élections et que tu n’as pas de course à la chefferie. Tu dépenses moins et tu accumules!
Cependant, le DGE établit des balises visant à limiter les dépenses électorales. Entre autres, un parti qui présente des candidatures dans les 125 circonscriptions aurait ainsi une limite d’environ 4,7 millions de dollars […] En plus de ses dépenses de parti, un parti peut faire des dépenses pour ses personnes candidates
, indique le porte-parole Gabriel Sauvé-Lesiège.