L’heure est à la retraite pour le créateur de la page L’Actualité en mèmes

La page L'Actualité en mèmes a beaucoup couvert les convois de la liberté au début de l'année 2022.
Photo : L'Actualité en mèmes
Maxime, le créateur anonyme de L’Actualité en mèmes, une page Facebook et Instagram dans laquelle il analyse avec humour les nouvelles québécoises, tire sa révérence. Le maître du mème (memelord) laisse derrière lui une communauté très engagée de quelque 25 000 internautes.
Qui est derrière L’Actualité en mèmes?
Juste Maxime, ça va. J’aime travailler dans l’ombre. Je n’ai jamais aimé avoir les projecteurs rivés sur moi. Plus jeune, je faisais le son et l’éclairage pour des pièces de théâtre, donc je ne montais pas sur scène, je restais toujours à l’arrière-plan. J’aime que l’accent ne soit pas mis sur ma personne, mais bien sur ce que je fais.
Je suis naturellement drôle, et j’ai toujours aimé faire rire. J’ai aussi un fort intérêt pour l’actualité. Il y en a qui ne prennent pas les mèmes au sérieux. Moi, j’ai vraiment une démarche derrière ça.
Pourquoi la retraite?
Il y a beaucoup d’éléments qui motivent mon départ, à commencer par Facebook. C’est rendu compliqué de faire des mèmes critiquant l’actualité sur ce réseau social. Par exemple, les mèmes que je fais sur le Parti conservateur du Québec (PCQ) sont souvent signalés massivement à Facebook. C’est arrivé plusieurs fois que Facebook m’a bloqué et m’envoyait dans leur prison [suspendait ma page] pour un certain temps.
La qualité de ma page est descendue à À risque
. Ça réduit de presque 100 fois la portée des publications. Pendant deux ans, j’ai fait des efforts pour monter à 25 000 personnes abonnées. Et Facebook a réduit le tout comme si j’avais seulement 500 abonnements.
L’Actualité en mèmes est devenu comme un deuxième travail à temps plein pour moi. J’ai perdu mon plaisir sur Facebook. Il y a de la gestion de communauté, de la modération qui vient avec ça. Sur Instagram, ça se gère tout seul, c’est moins toxique.
Sinon, ce qui a aussi motivé mon choix d’arrêter est que j’ai changé d’emploi. J’étais travailleur autonome ces deux dernières années. J’avais donc le temps de réfléchir. J’ai besoin de me concentrer sur ma nouvelle vocation, qui est celle de professeur de cégep.
Je sens également que j’ai fait le tour de ce que j’avais à faire. L’actualité tourne en rond, avec des sujets semblables. Je suis arrivé au bout de quelque chose, et je vais laisser d’autres maîtres du mème émerger, parce qu’il y en a de très bons.
Est-ce que les mèmes auront leur place dans votre classe de cégep?
C'est sûr et certain que je vais inclure des mèmes dans mes présentations.
Qu’est-ce qui vous a incité à vous lancer dans l’univers du mème?
Ma page, je l’ai partie en 2012. À l’époque, les mèmes commençaient à percer. J’étudiais à l’époque à l'Université du Québec à Montréal (UQAM) en communication média interactif. J’ai vu dans les mèmes un médium intéressant, un bon canal de communication, surtout dans le contexte de la crise étudiante.
Puis, j’ai eu une phase plus difficile vers 2016, qui m’a mené à carrément fermer ma page en 2018. Les mèmes ne me faisaient plus rire. C’est vraiment avec la pandémie [de COVID-19] que j’ai décidé de recommencer à faire des mèmes. J’ai rouvert la page L'Actualité en mèmes à ce moment-là.
Ça m’a aidé à traverser la pandémie. Au début, je me disais que je voulais divertir les gens pour un petit trois mois. Finalement, ça va avoir duré plus de deux ans.
C’est quoi, une journée typique dans la peau d’un maître du mème?
Je me levais vers 6 h du matin, je commençais ma revue de presse et ma recherche d’images. Le but était de trouver la photo qui allait mettre en contexte, être percutante, que l’on pouvait découper et mettre dans des montages complexes, et y ajouter du texte.
En lisant les articles, en regardant ce qui se passait, ça me venait à l’esprit, je notais les idées, puis je réalisais celles que j’aimais le plus.
Avez-vous déjà regretté d’avoir mis un mème en ligne?
Je ne regrette rien de ce que j’ai fait avec ma page. J’aurais fait des choses différemment, certes, et souvent. Mais ça ne sert à rien de regretter quoi que ce soit.
Il y a des mèmes que j’ai faits où j’ai manqué de sensibilité, ça, c’est certain. Par exemple, j’ai dû retirer un mème à l’époque où on venait de découvrir les tombes des pensionnats pour Autochtones. Au même moment, le gouvernement lançait les « gratteux » basés sur la météo (Nouvelle fenêtre).
Dans mon mème, c’était le loto-pensionnat où tu grattais le Canada et tu découvrais le nombre de tombes. Ça a moyennement bien passé. Bizarrement, ce sont des social justice warriors, des gens qui défendent les Autochtones et qui ne sont pas impliqués dans le mème, qui l’ont beaucoup critiqué. Mais des Autochtones à qui j’ai parlé – car j’en consulte toujours trois sur les mèmes que je fais qui les inclut – avaient trouvé ça [dur], mais pas insultant.
Est-ce un métier dangereux?
Je suis [baveux] et je peux être méchant dans les mèmes que je fais, et ça peut se retourner contre moi. C’est dangereux d'avoir des opinions.
Ça m’est déjà arrivé, par le passé, que des gens ont cherché à me trouver. C’est survenu notamment pendant les convois pour la liberté. Une fois, plusieurs se sont mis sur mon cas à essayer de trouver qui j’étais. Je n’ai jamais eu peur pour ma sécurité; j’en ai vu d’autres.
J’ai reçu souvent des insultes en privé, ça peut être quelques fois par semaine. Mais moi, ça me fait toujours rire; je prends bien la critique et je ne prends pas à la dure les insultes.
Votre meilleur coup?
Le camion dauphin qui sautait, disant merci Camion
, mais écrit mersi kemion
, est un moment fort pour moi. Infoman l’a même sélectionné pour la galerie Jean-Tal.

Le mème «Mersi kemion» a été sélectionné en 2022 pour la galerie Jean-Tal d'Infoman.
Photo : Zone 3
J’aime aussi beaucoup ce mème [créé pendant le convoi de la liberté].

La page L'Actualité en mèmes a beaucoup couvert les convois de la liberté au début de l'année 2022.
Photo : L'Actualité en mèmes
J’avais même fait une vidéo en direct lors de sa création.
Qu’est-ce que vous retirez de cette expérience?
Je n’ai pas encore beaucoup de recul par rapport à ce que j’ai fait. J’ai toujours travaillé en me foutant un peu de la réaction des gens pendant ces deux dernières années intensives [de création de mèmes].
Mais je peux dire que j’ai retrouvé une désinvolture que j’avais perdue. Quand j’étais plus jeune, j’étais beaucoup plus désinvolte sur mes propos, sur ma manière de faire. J’ai renoué avec ça d’une manière plus mature, différente.
J’ai aussi appris à être un peu plus confronté à des opinions qui ne sont pas dans ma chambre d’écho, et à mieux savoir comment dealer socialement avec ça.
J’ai vraiment abordé les mèmes d’une manière réflexive, intellectuelle. J’ai appris beaucoup de choses en faisant ça, par exemple comment faire des tournures de phrases pour que ça fonctionne bien, comment synthétiser et raconter une histoire avec le moins de mots et d’images possibles.
Qu’auriez-vous à dire à quelqu’un qui veut se lancer dans l’univers du mème?
Il faut que t’en fasses beaucoup, car tu dois comprendre la mécanique, comprendre ce qui est drôle et ce qui est moins drôle. Il faut essayer des choses, faire de la recherche sur les mots, les images, essayer de sortir des sentiers battus, un peu. Sinon, ce sont toujours les mêmes gabarits qu’on voit.
Il faut aussi prendre le temps de réfléchir avant de faire un mème : quel message veux-tu passer, qu’est-ce que tu veux dénoncer? Que veux-tu raconter comme histoire?
J’ai lancé le groupe Dolloramème sur Facebook, une sous-page de L’Actualité en mèmes. N’importe qui peut s’essayer et y publier des mèmes. Je donne des trucs, je fournis de nouveaux gabarits et incite les gens à se l’approprier. C’est un véritable laboratoire pour les internautes. De là, quelques pages de mèmes ont été lancées, et je reçois l’aide de deux autres personnes pour administrer le groupe.
Comment réagissez-vous à la vague d’amour qui déferle sur votre page Facebook depuis l’annonce de votre retraite?
Je suis très touché par ça. J’ai reçu beaucoup de témoignages hors de cette annonce, aussi. J’étais un peu leur sauveur de la pandémie, leur sauveur du quotidien, le highlight de leur journée. C’est beaucoup, pour moi, car je n’aime pas recevoir des remerciements, et j’ai énormément de misère à les recevoir.
C’est quand même un gros deuil, parce que tu reçois beaucoup d'amour chaque jour, par le simple geste de la mention J’aime.
C'est une machine qui roule tout le temps dans ta tête, les mèmes. Tu vois les situations à travers un prisme, pour aller chercher les paradigmes que les gens vont connaître, tu mélanges tout ça ensemble.
Les élections s’en viennent, allez-vous résister à la tentation de mèméfier l’actualité?
Ça fait deux semaines maintenant que j’ai vraiment décroché de l’actualité en général. Je ne dis pas que je n’aurai pas une bonne idée et ne la publierai pas. C’est sur que je vais les écouter, les débats. Je vais y aller selon comment je me sens le moment venu.
Quel legs pour L’Actualité en mèmes?
Je pense, honnêtement, que j’ai élevé le niveau du mème, au Québec. J’ai forcé les autres pages à être plus créatives. Mon gros dada était d’essayer de créer du mème québécois, des références propres à ici, et des équivalents locaux de mèmes internationaux.
Je laisse peut-être un petit héritage comme ça.