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Comptes « j’expose » dans les écoles du Québec : anatomie d’un phénomène TikTok

De la Côte d’Ivoire en passant par la France, voici comment la tendance des comptes TikTok « j’expose » a envahi les écoles secondaires du Québec.

Il s'agit d'une photo d'une école avec les mots "j'expose le gars avec le moins d'amis à Riverside".

Une soixantaine de comptes TikTok participent à la mode « j'expose », qui vise des écoles secondaires du Québec.

Photo : Capture d'écran - TikTok

« J’expose la plus grosse charrue », « j’expose la plus grosse vache », ou encore « j’expose la plus pute » : des élèves de dizaines d’écoles secondaires à travers le Québec se font « exposer » anonymement sur des comptes TikTok dans la dernière semaine, surtout à des fins d’intimidation ou de harcèlement.

Comme le rapportait plus tôt cette semaine ICI Saguenay–Lac-Saint-Jean, la tendance consiste à afficher publiquement une photo ou une capture d’écran d’un profil d’un réseau social de l’élève visé. Si les personnes exposées le sont parfois pour des raisons supposément positives (j’expose la plus belle fille de l’école), elles sont plus souvent victimes de propos dénigrants, injurieux ou carrément diffamatoires.

Ces comptes anonymes portent généralement le nom jexpose, suivi du nom de l’école concernée. Les vidéos contiennent toutes la même piste sonore, la chanson Godo Godo du rappeur ivoirien Fior 2 Bior : c’est que TikTok permet de créer et remixer des vidéos à partir d’un même son, et c’est souvent à l’aide de ces sons que des tendances naissent sur la plateforme.

Les Décrypteurs ont trouvé pas moins de 30 comptes associés à des écoles secondaires et une école primaire de nombreuses régions du Québec, qui hébergeaient toujours des vidéos au moment de mettre sous presse. Il existe plus d’une vingtaine d’autres comptes semblables dépourvus de contenu qui cumulent parfois des centaines d’abonnés, vraisemblablement parce que les vidéos ont été supprimées.

Capture d'écran d'une vidéo TikTok au sujet de « la plus grosse charrue de Lafontaine ».

Des élèves de dizaines d’écoles secondaires à travers le Québec se sont fait « exposer » anonymement sur des comptes TikTok dans la dernière semaine.

Photo : Capture d'écran

Une porte-parole de TikTok a confirmé que plusieurs comptes j’expose ont été bannis autour du 25 juillet. Elle n’a pas pu dire quels étaient les comptes en question et combien d’entre eux ont été touchés.

Vieux phénomène, nouvelle plateforme

Le mécanisme qui consiste à afficher des personnes sur les réseaux sociaux n’est pas nouveau, fait remarquer Camille Alloing, professeur au Département de communication sociale et publique de l’UQAM et membre du Réseau de recherches sur le numérique.

Médiatiser pour jouer sur la réputation des gens ou les confronter à des normes propres à des groupes est un phénomène propre au web depuis des années, que ce soit en cas de mobilisation sociale ou à des formes de sociabilité, soutient le chercheur. Il fait un parallèle avec les pages Facebook « Spotted », populaires au début des années 2010, qui publiaient anonymement des messages qui leur étaient envoyés par messagerie privée.

Selon M. Alloing, la différence entre TikTok et les autres réseaux sociaux est la vitesse fulgurante à laquelle ces tendances peuvent se populariser sur la plateforme en raison du fonctionnement de son algorithme de recommandation.

Toutes les plateformes fonctionnent par mimétisme, c’est-à-dire que si on voit les autres faire quelque chose, on va vouloir le reproduire. Mais avec TikTok, si on a le même âge, qu’on s’intéresse aux mêmes types de contenus et qu’on habite au même endroit, on verra des contenus similaires, ce qui peut surexposer certaines tendances. Ça peut favoriser le mimétisme parce qu’on va avoir l’impression que tout le monde fait ça, analyse-t-il.

Une image montrant le logo de TikTok, une note de musique blanche aux rebords bleus d'un côté et rouges de l'autre.

TikTok est le réseau social le plus populaire auprès des jeunes Québécois.

Photo : TikTok

La littérature scientifique montre que c’est le groupe d’âge des 12 à 15 ans – incidemment, celui qui incarne cette tendance – qui se sert le plus des réseaux sociaux comme outil de socialisation, fait remarquer Nina Duque, doctorante en communications à l’UQAM et spécialiste des pratiques numériques des adolescents.

C’est une période complexe, et naviguer dans cette complexité-là, c’est faire beaucoup d’erreurs, dit Mme Duque. On essaie un peu d’assurer notre position dans notre groupe, souvent au détriment des autres. Si on rit de quelqu’un, on s’organise pour que les autres ne rient pas de nous. Ce sont des mécanismes de protection qui peuvent se traduire en comportements problématiques qui peuvent être amplifiés par les réseaux sociaux.

De la Côte d’Ivoire au Saguenay : comment j’expose s’est installé au Québec

En décembre 2021, le rappeur ivoirien Fior 2 Bior lance sa chanson Godo Godo et la publie sur YouTube. Quelques semaines plus tard, la chanson fait sa première apparition sur TikTok : l’artiste ivoirienne Kevin Chambala en téléverse un extrait sur son compte, qui rassemble près de 500 000 abonnés.

Au cours des mois suivants, l’extrait est utilisé quelques fois dans des vidéos TikTok par des Ivoiriens. Il n’y a pas de thématique précise dans ces vidéos.

Autour du 8 juillet, la tendance prend son envol. Deux utilisatrices françaises publient des vidéos sur TikTok où elles annoncent une nouvelle trend : les filles doivent dévoiler (ou afficher) l’identité de leurs ex-copains qui les ont trompées. Les deux vidéos contiennent la chanson Godo Godo. L’une d’entre elles est écoutée 303 000 fois et l’autre 189 000 fois.

La tendance j’affiche explose en popularité au cours des jours suivants. Des dizaines de jeunes femmes copient le format de ces vidéos pour dénoncer à leur tour leurs copains infidèles. Certaines d’entre elles atteignent plus d’un million de vues.

Il s'agit de 24 vidéos quasiment identiques.

La mode « j'affiche » s'est répandue sur TikTok en France il y a deux semaines.

Photo : Capture d'écran - TikTok

La chanson Godo Godo est ensuite utilisée sur TikTok pour dénoncer toutes sortes de comportements. De jeunes hommes l’utilisent pour afficher les hommes avec qui ils sont en querelle; d’autres personnes affichent plutôt l’identité de la personne qu’elles admirent secrètement.

La tendance j’affiche atteint son paroxysme entre les 16 et 19 juillet. Deux influenceuses publient des vidéos sur TikTok et atteignent 1,8 million et 1,9 million de vues, alors que des centaines de tiktokeurs font de même. Il existe en tout 25 000 vidéos sur TikTok qui incluent l’extrait sonore de Godo Godo.

Le 21 juillet, la tendance s’installe au Québec. Le compte jexposelafon est créé et publie une première vidéo, cherchant à exposer un ado de l’École secondaire de l'Odyssée Lafontaine, au Saguenay. Quatre autres comptes j’expose liés à cette école sont créés en quelques heures.

Dans la semaine qui suit, une soixantaine de comptes semblables sont créés pour des écoles québécoises au Saguenay, à Sept-Îles, Val-Morin, Lavaltrie, Jonquière, Beauharnois, Thetford, Chandler, Saint-Constant, Mont-Laurier, Baie-Comeau, Québec et Montréal. Nous avons aussi pu trouver un compte associé à une polyvalente du Nouveau-Brunswick et un autre à une école primaire de Montréal.

Il s'agit de 24 vidéos quasi identiques.

De nombreux comptes TikTok « j'expose » ont été créés dans des écoles secondaires du Québec au cours des derniers jours.

Photo : Capture d'écran - TikTok

Une poignée de ces comptes ont été fermés depuis. Il a été impossible de savoir si ceux-ci ont été supprimés par TikTok ou leurs créateurs.

La vidéo j’expose la plus populaire associée à une école québécoise a été vue plus de 19 000 fois. Il s’agit d’une vidéo du premier compte j’expose à avoir été mis en ligne, qui affirme exposer la meuf de [l’École secondaire l'Odyssée Lafontaine] qui pourrais se pogner tt les c*iss de boy de lafon [sic] et inclut la photo d’une jeune adolescente.

À titre comparatif, cette école comptait près de 1900 élèves durant l’année scolaire 2018-2019. Mais il faut nuancer, souligne Nina Duque. La grande majorité des jeunes trouvent ce genre de tendance aberrante, et ce n’est pas parce qu’ils s’abonnent à un compte ou parce qu’ils écoutent une vidéo qu’ils sont d’accord avec les propos véhiculés.

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