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« Mot en n » : Radio-Canada s’excuse mais porte la décision du CRTC en appel

Selon le diffuseur public, le CRTC n'a « ni l’autorité ni la juridiction pour rendre cette décision » et « a ignoré la liberté de la presse que garantissent la Charte canadienne des droits et libertés et la Loi sur la radiodiffusion ».

Le logo de Radio-Canada sur une fenêtre.

Radio-Canada estime que le CRTC commet une « grave erreur » en s'ingérant dans le travail journalistique.

Photo : Radio-Canada / Jean-Claude Taliana

  • François Messier

Radio-Canada va présenter des excuses à l'homme qui s'est plaint de l’utilisation répétée du « mot en n » pendant une chronique présentée il y a deux ans à l'émission Le 15-18 mais porte tout de même en appel la décision du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) qui l'a blâmée dans ce dossier.

Dans sa réponse publiée mercredi, la direction du diffuseur public concède que le  mot en question  est une insulte raciste et blessante, en français et en anglais, et que les rares occasions où il est utilisé par les médias nécessitent une mise en contexte pour minimiser le mal que son utilisation pourrait causer.

Son utilisation au 15-18 a été blessante pour certains auditeurs et employés, bien que cela ait été fait dans un contexte journalistique, ajoute-t-elle. Si certains journalistes ont soutenu qu’il s’agit uniquement d’une question de liberté d’expression [...], nous savons que les mots peuvent blesser et doivent être utilisés avec soin.

C’est pourquoi nous présenterons nos excuses à la personne qui a déposé une plainte. L’utilisation de ce mot est blessante pour plusieurs au sein de nos auditoires et de nos équipes, et nous en sommes profondément désolés.

Une citation de Extrait du communiqué de la direction de Radio-Canada

La société d'État annonce en outre qu'elle va ajouter une mise en garde à l’émission pour sa webdiffusion afin que les auditeurs soient avertis de ce qu’ils pourraient entendre et qu'elle lance une revue interne de ses politiques et normes relatives au langage qui peut être blessant.

Nous le faisons parce que nous pensons que c’est la bonne chose à faire et pas parce que le CRTC nous a dit de le faire. Depuis 2020, nous avons continué d'évoluer pour mieux refléter le Canada d’aujourd’hui tant dans nos contenus que dans notre effectif, indique le communiqué de Radio-Canada.

La SRC n'en estime pas moins que le CRTC a outrepassé ses pouvoirs en ce qui a trait à l'indépendance du diffuseur public dans sa décision, qui représente une menace parce que le Conseil tente de se donner le pouvoir de compromettre l’indépendance journalistique.

Comme l’ont fait remarquer des voix dissidentes au sein même du CRTC, celui-ci n’avait ni l’autorité ni la juridiction pour rendre cette décision et a, en exerçant son pouvoir discrétionnaire, ignoré la liberté de la presse que garantissent la Charte canadienne des droits et libertés et la Loi sur la radiodiffusion, écrit-elle.

Il s’agit d’une grave erreur. Nous ne pouvons tout simplement pas accepter cette ingérence du CRTC dans le travail journalistique au pays. C’est pourquoi, après avoir suivi toutes les étapes décrites ci-dessus, nous devons faire appel quant au droit juridictionnel du CRTC de prendre des décisions qui devraient relever de nos chefs des nouvelles.

Une citation de Extrait du communiqué de la direction de Radio-Canada

Radio-Canada dit avoir préparé sa réponse après avoir écouté un large éventail d’opinions sur cette question, de la part de journalistes, de nos employés, y compris nos employés noirs et racisés, et du grand public, ce qui a donné lieu à des discussions importantes et émotives.

Notre mandat vise à renseigner, à éclairer et à divertir les Canadiennes et les Canadiens. Nos émissions peuvent, à l’occasion, susciter de l’indignation et même être offensantes, mais comme diffuseur public, nous devons porter attention à ne pas être blessant, souligne-t-elle.

Des « conversations difficiles », convient Trudeau

Réagissant à la décision lors d'une conférence presse à Kingston, en Ontario, le premier ministre Justin Trudeau n'a pas voulu prendre parti dans ce débat extrêmement important mais extrêmement complexe, qui nécessite selon lui des conversations difficiles au sein de la société.

Nous devons à tout prix toujours protéger pas seulement la liberté d’expression mais la capacité des médias à faire leur travail; en même temps, il faut comprendre qu’il y a des mots extrêmement blessants pour certains, qui sont lourds de portée et de signification, a-t-il dit en appelant à naviguer [entre] ces deux facettes importantes du débat.

Il n’y a pas de réponse facile à ça, mais les conversations que nous sommes en train d'avoir sont la façon dont on va passer à travers, a ajouté M. Trudeau.

La réponse de Radio-Canada a été accueillie avec soulagement par le président du conseil d'administration de la Fédération des journalistes professionnels du Québec (FPJQ), Michaël Nguyen.

Le rôle du CRTC n'est pas d'imposer une ligne éditoriale à un organe de presse, a-t-il fait valoir en entrevue à RDI en assurant le soutien de la FPJQ à Radio-Canada si l'affaire devait se rendre devant les tribunaux.

Chaque média peut faire ses choix éditoriaux. Donc, Radio-Canada, dans le communiqué qui a été émis, va présenter des excuses au plaignant. Et ça, c’est un choix qu’ils font, c’est un choix qui est journalistique, qui a été décidé par des journalistes, et c’est ça, l’important qu’il faut retenir, a-t-il commenté.

Il faut défendre la liberté de presse, la liberté des journalistes de prendre leurs propres décisions.

Une citation de Michaël Nguyen, président du conseil d'administration de la FPJQ

M. Nguyen a également reconnu l'importance qu'un tel débat puisse avoir lieu au Québec : C'est ça qui permet de faire avancer les choses, a-t-il résumé.

Le plaignant de ce dossier, Ricardo Lamour, n'a pas donné suite à notre demande d'entrevue, pas plus que Simon Jodoin, auteur de la chronique visée par la plainte.

Décision controversée

Le 29 juin dernier, le CRTC a blâmé la société d'État pour l’utilisation répétée du mot en n par M. Jodoin dans un segment de l’émission Le 15-18 animée par Annie Desrochers et diffusée sur ICI Radio-Canada Première dans la région de Montréal le 17 août 2020.

Invité à commenter l’actualité, le chroniqueur y exprimait son avis sur l’acceptabilité sociale du fait de nommer le titre d'un livre célèbre de Pierre Vallières, Nègres blancs d’Amérique, après le lancement d’une pétition qui exigeait le renvoi d’une professeure de l’Université Concordia qui avait cité l'ouvrage en classe.

Dans sa décision majoritaire assortie de deux opinions dissidentes très argumentées, le CRTC avait donné raison au plaignant, insatisfait des réponses obtenues auprès de l'ombudsman du diffuseur public. Le Conseil a convenu que le mot n’avait pas été utilisé de manière discriminatoire et concédait qu’il peut exister d’une collectivité à l’autre une évolution différente du "mot en n".

Il n'en jugeait pas moins que la diffusion d’une mise en garde à l’auditoire au début du segment aurait été appropriée et que la SRC n’a pas fait preuve de suffisamment de prudence et de vigilance dans la façon dont elle a traité le propos ni de respect et de sensibilité envers les communautés concernées par le terme.

Plaidant que la programmation de la Société devrait refléter le caractère multiculturel et multiracial du Canada, l'organisme fédéral concluait que la chronique de Simon Jodoin n’a pas contribué au renforcement du tissu culturel et social et au reflet du caractère multiculturel et multiracial de la société canadienne.

Il affirmait en outre que le contenu diffusé lors du segment de l’émission Le 15-18 de la SRC va à l’encontre des objectifs et valeurs de la politique canadienne de radiodiffusion et qu’il n’a pas respecté la norme de programmation de haute qualité.

Le CRTC exigeait donc que la SRC présente des excuses écrites publiques au plaignant et annonce publiquement d’ici le 27 septembre 2022 des mesures internes et des pratiques exemplaires en matière de programmation qu’elle mettra en place, y compris des lignes directrices aux animateurs, chroniqueurs et invités en ondes, afin de s’assurer de mieux traiter d’un sujet semblable à l’avenir.

Compte tenu du fait que le segment litigieux demeurait accessible en ligne et en rattrapage, le Conseil ordonnait également à la SRC de lui fournir des précisions sur la manière dont elle compt[ait] atténuer l’impact du "mot en n" d’ici le 29 juillet 2022.

La décision du CRTC a été vivement critiquée par diverses voix, dont une cinquantaine d'animateurs et de journalistes connus de Radio-Canada, qui avaient demandé à la haute direction du diffuseur public de contester vigoureusement les excuses.

Ils affirmaient que cette décision est inquiétante parce qu'elle menace la liberté d'expression et l'indépendance journalistique. Elle met, d’une part, en cause les principes de liberté et d’indépendance qu’exige notre métier et, d’autre part, ouvre la porte aux dangers que constituent la censure et l’autocensure, écrivaient-ils.

  • François Messier

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