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Plus de 50 % des écoles sont toujours en mauvais ou très mauvais état au Québec

Le gouvernement Legault rate ainsi sa cible qu'il avait pourtant fortement abaissée.

L'un des murs de l'école Louis-Joseph-Papineau.

Un des murs de l'école Louis-Joseph-Papineau à Montréal. Cet établissement, construit dans les années 1970, est coté E. D'importants travaux de rénovation s'y déroulent cet été.

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

La course estivale contre la montre pour effectuer des travaux d'urgence dans des centaines de bâtiments scolaires du Québec est amorcée. Plus d'une école sur deux est cotée D ou E, ce qui signifie qu'elle est dans un mauvais ou un très mauvais état (53 %). La CAQ échoue à atteindre une cible qu'elle avait pourtant pris la peine d'abaisser fortement en cours de mandat.

Problèmes de fenestration, de plomberie, de façade et même parfois d’infestation de souris : le personnel de l'École de l'Étincelle, qui accueille des enfants de 4 à 12 ans ayant un trouble du spectre de l'autisme, s’est habitué, faute de mieux, aux problèmes quotidiens du bâtiment centenaire qui les abrite, dans le quartier Mile-End.

« Les fenêtres ne permettent pas une ventilation adéquate, car elles s'ouvrent peu. Des tuiles du mur sont tombées sur le plancher dans une classe. Il y a aussi des trous dans les murs et on a un problème récurrent de souris », raconte Amélie Cayouette, enseignante et déléguée syndicale.

Des excréments de souris retrouvés dans une classe de l'École de l'Étincelle.

Des excréments de souris retrouvés dans une classe de l'École de l'Étincelle

Photo : Gracieuseté

Il y a du matériel endommagé par de l’urine et des excréments de souris à chaque année. Les exterminateurs viennent, reviennent. C’est compliqué parce qu’on ne peut pas avoir de poison à souris proche de nos élèves. Ils le mettent dans leur bouche. C’est d’ailleurs arrivé à un de mes élèves cette année, poursuit l'enseignante.

L’élève a porté à ses lèvres le sachet contenant le poison mais, comme il était incapable de s’exprimer verbalement, il a été impossible de savoir s’il avait ingéré la substance toxique. Le personnel a cependant contacté d'urgence les parents et le Centre antipoison du Québec. Heureusement, l'enfant n'a pas été malade et aucune intervention médicale n'a été requise.

C’est une course contre la montre pour avoir une nouvelle école avant que celle-ci ne soit plus habitable

Une citation de Amélie Cayouette, enseignante à l'École de l'Étincelle, spécialisée dans le trouble du spectre de l’autisme (TSA)

On s’est fait dire qu’il reste trois à cinq ans de vie à l’immeuble, s'inquiète Amélie Cayouette.

Le bâtiment centenaire abritant l'École de l'Étincelle dans le quartier Mile-End est coté « E », soit en « très mauvais état ». Des travaux sont en cours pour réparer la façade de l'édifice notamment.

Le bâtiment centenaire abritant l'École de l'Étincelle dans le quartier Mile-End est coté « E », soit en « très mauvais état ». Des travaux sont en cours pour réparer la façade de l'édifice notamment.

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Le plus grand risque pour les élèves, c’est de devoir quitter de façon abrupte ce milieu-là et qu'ils soient dispersés un peu partout dans la ville dans des locaux inadaptés. C'est une espèce d’épée de Damoclès qui plane au-dessus de la tête des intervenants et des élèves, souligne sa collègue Marie Contant, enseignante et vice-présidente de l’Alliance des professeures et professeurs de Montréal.

L'École de l'Étincelle n'est qu'un exemple parmi 1931 bâtiments scolaires vétustes à travers la province cotés D ou E.

Cette problématique s’explique par le fait qu'une partie importante des infrastructures publiques du Québec a été construite dans les années 1960 et 1970. Selon le Conseil du Trésor, ces bâtiments ont une vie utile qui varie entre 25 et 75 ans.

Façade de l'école secondaire Louis-Joseph-Papineau.

La seule source d'éclairage naturel de l'école secondaire Louis-Joseph-Papineau, ce sont ces petites fenêtres étroites qu'on appelle des meurtrières. Des travaux de rénovation doivent débuter cet été pour ajouter des fenêtres du côté de la cafétéria et de la bibliothèque. L'édifice, construit dans les années 1970, est l'un des 1931 bâtiments cotés D ou E.

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Les lettres D et E, définies selon un système de classification gouvernemental, servent à identifier les immeubles ayant un niveau élevé (D) ou très élevé (E) de dégradation et de défectuosité. Le Conseil du Trésor les définit comme étant des infrastructures ayant « habituellement dépassé leur durée de vie utile » et dans lesquelles des « interruptions ou ralentissements de service » surviennent très souvent.

La CAQ rate sa cible... abaissée

Le ministère de l'Éducation avait comme objectif, sous les libéraux, qu'au moins 85 % des bâtiments scolaires au Québec soient dans un état satisfaisant, c'est-à-dire qu'ils soient cotés A, B ou C. Une cible ramenée à 50 % par la CAQ au cours de son mandat.

Or, seulement 47 % de bâtiments scolaires obtiennent jusqu'ici la note de passage, selon les plus récentes données obtenues par demande d'accès à l'information et compilées par Radio-Canada. Un portrait pratiquement inchangé depuis 2018, où ce seuil s'établissait légèrement au-dessus, à 47,5 %.

L’entrée de l'école Sophie-Barat, la plus vieille du Centre de services scolaire de Montréal.

L’école Sophie-Barat, également cotée « E », est la plus vieille du Centre de services scolaire de Montréal (CSSDM). C'est aussi son plus important projet de rénovation et d’agrandissement. Le gouvernement du Québec y a consenti 164 millions de dollars. Mais le projet tarde à se mettre en branle.

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

C’est un scandale parce que c’est mettre la sécurité et la santé des élèves et du personnel scolaire en péril. C’est économiser pour les annonces plus payantes, dénonce Patricia Clermont, porte-parole du mouvement J'aime mon école publique (JMEP).

Interrogé en 2021 par les partis d'opposition sur sa décision d'abaisser la cible de 85 % à 50 %, le ministre de l'Éducation Jean-François Roberge avait soutenu que son gouvernement faisait le maximum pour rattraper le retard creusé par les précédents gouvernements.

Le ministre a décliné notre demande d'entrevue.

Par voie écrite, son ministère précise toutefois que cet objectif a été revu à la suite de l'implantation d'une nouvelle méthode d'évaluation plus juste, plus fiable et plus complète en 2021.

Or, la réduction de l'objectif de 85 % à 50 % est inscrite dans le plan stratégique 2019-2023 déposé à l’Assemblée nationale le 4 décembre 2019. Des mises à jour y ont été effectuées en cours de mandat, mais elles datent de mars 2022. Il a été impossible de savoir pourquoi le service des communications du ministère se réfère à l'année 2021.

Quant à l'incapacité du gouvernement Legault d'atteindre sa cible de 50 %, le ministère réitère la position du ministre Roberge selon laquelle même si les investissements ont doublé, le « sous-financement » des infrastructures sous les gouvernements précédents fait en sorte que le retard est difficile à rattraper.

Le rattrapage est d’une telle importance que l’amélioration de l’état du parc immobilier scolaire prendra encore du temps. Les défis sont nombreux, écrit Bryan St-Louis, responsable des relations de presse au ministère de l'Éducation.

Jean-François Roberge en conférence de presse.

Le ministre de l'Éducation Jean-François Roberge

Photo : La Presse canadienne / Paul Chiasson

Le Plan québécois des infrastructures 2018-2028 (PQI) prévoyait une enveloppe de 9 milliards dans le secteur de l'éducation. Ce montant s'élève désormais à 21,1 milliards pour le PQI 2022-2032, fait-on valoir.

De ces sommes, 13 milliards de dollars sont consentis spécifiquement au maintien ou à la reconstruction des bâtiments vétustes.

Le gouvernement est en action pour s’attaquer à la vétusté physique des bâtiments scolaires, assure Bryan St-Louis.

13 milliards, « ce n'est pas assez », dit un expert

Jean-Pascal Foucault est un spécialiste de la gestion des actifs physiques. Professeur-chercheur, conférencier et auteur de plusieurs rapports sur le sujet, il enseigne au Québec et en France.

Selon lui, le système de classification pour établir la vétusté des bâtiments (lettres A, B, C, D, E) est un outil qui ne permet pas au gouvernement du Québec d'avoir une vue d'ensemble pour bien comprendre l'ampleur des investissements à réaliser.

Jean-Pascal Foucault, spécialiste de la gestion des actifs physiques.

Jean-Pascal Foucault, spécialiste de la gestion des actifs physiques

Photo : Gracieuseté

Si vous avez la façade d'un mur d’école primaire qu’il faudrait refaire à 30 %, eh bien ce sera indiqué dans la base de données un coût de 30 % de l'ensemble du mur. Mais dans la vraie vie, on ne va pas s’attaquer à 30 % d'une façade, on va refaire la façade à 100 %, notamment pour des considérations écologiques et environnementales, explique-t-il.

Cet expert croit qu'il faut prévoir au moins 10 milliards seulement pour les bâtiments cotés E, qui représentent 744 bâtiments, soit environ 20 % des surfaces du parc immobilier scolaire du Québec.

Il faut reconstruire carrément tout ce qui est coté E. C’est un enjeu phénoménal. Ça représente un projet sur 10 ans, soit environ 1 milliard par année que pour les reconstructions, dit-il.

On est dans une logique de "patchage", alors que dans la réalité on peut exécuter le projet avec une vision beaucoup plus ambitieuse.

Une citation de Jean-Pascal Foucault, spécialiste de la gestion des actifs physiques
La façade de l'école Louis-Joseph-Papineau

La façade de l'école Louis-Joseph-Papineau

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Montréal : fief des bâtiments cotés E

Montréal arrive en tête de liste des villes où l'on retrouve le plus grand nombre de bâtiments cotés E, suivie de Laval. Ce qui ne surprend pas la porte-parole du mouvement Je protège mon école publique.

On peut juste avoir cette impression que les centres de services scolaires les plus populeux, particulièrement à Laval et Montréal, ne font pas l’objet de l’attention qu’ils méritent même lorsqu’il y a tellement de populations vulnérables qui les fréquentent, déplore Patricia Clermont.

Selon elle, les politiques du gouvernement Legault qui favorisent l'étalement urbain se font au détriment de la remise à neuf des écoles de la métropole.

Quand on favorise l’étalement urbain, il faut desservir des communautés, ça coûte des sous en routes, en aqueducs. Or, il faut rénover nos écoles, pas construire des besoins, s'indigne Patricia Clermont.

Patricia Clermont tape à l'ordinateur.

Patricia Clermont, porte-parole du mouvement J'aime mon école publique (JMEP)

Photo : Gracieuseté

Le centre de services scolaire de Montréal (CSSDM) et le CSS de Laval ont tous les deux tenu à souligner les progrès réalisés au fil des ans, malgré les nombreux obstacles à surmonter.

Nous inaugurons davantage d’écoles que nous en fermons, assure Alain Perron, le responsable des communications au CSSDM. Environ neuf écoles par année sont construites ou agrandies (Nouvelle fenêtre) sur le territoire du CSSDM.

De son côté, le CSS Laval cite en exemple l'un de ses plus gros chantiers : le futur site de l’école Curé-Antoine-Labelle (cotée E actuellement), le projet Cunard (Nouvelle fenêtre).

Les deux centres affirment toutefois que les investissements ne suffisent pas à couvrir tous les besoins.

Des employés installent de nouveaux casiers scolaires à l'école secondaire Louis-Joseph-Papineau

Des employés installent de nouveaux casiers scolaires à l'école secondaire Louis-Joseph-Papineau, située dans le quartier Saint-Michel, un établissement coté « E ». Des travaux de réfection comprenant l'ajout de fenêtres du côté de la cafétéria et de la bibliothèque débuteront cet été.

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Le dollar investi n’a plus la même valeur que celui de 2018, explique Annie Goyette, responsable des communications au CSS de Laval.

La surchauffe des matériaux de construction dans la grande région de Montréal, la pandémie et la guerre en Ukraine sont autant de facteurs qui ont un impact, précise-t-elle.

Le CSSDM : sous-financé en 2022?

Dans son plan directeur présenté à la dernière séance de l'administration sous tutelle, le 15 juin, le CSSDM estime qu'il recevra 128 millions pour 2022-2023, au lieu des 175 millions reçus en moyenne depuis les trois dernières années. Or, le service des ressources matérielles du CSSDM évalue les besoins à 331 M$ pour 2022-2023.

L'école secondaire Sophie-Barat.

L’école Sophie-Barat, également cotée « E », est la plus vieille du Centre de services scolaire de Montréal (CSSDM). C'est aussi son plus important projet de rénovation et d’agrandissement. Le gouvernement du Québec y a consenti 164 millions de dollars, mais le projet tarde à se mettre en branle.

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Pour une deuxième année consécutive, les projets qui ont été soumis au Plan québécois des infrastructures (PQI) n’ont pas été retenus, à l’exception d’un seul projet. Par conséquent, aucun nouveau projet d’ajout d’espace ou de remplacement ne pourra être mis en œuvre, écrit-on.

Le ministère de l'Éducation assure pour sa part être en train de réévaluer ses plans d'investissements.

Le Ministère est à préparer, de concert avec le réseau, la stratégie d’investissements à court, moyen et long terme afin de mieux prioriser, mieux cibler et mieux adapter les actions en vue d’une amélioration optimale du parc immobilier, écrit Bryan St-Louis.

Des bâtiments vétustes qui minent le moral

Dans le cadre de ses recherches, M. Foucault souligne avoir découvert qu'au-delà d'un certain pourcentage de vétusté, le personnel travaillant dans un bâtiment désuet a tendance à devenir apathique.

Les élèves de l'école secondaire Sophie-Barat doivent dîner beau temps mauvais temps dans ce chapiteau, faute d'avoir une cafétéria.

Les élèves de l'école secondaire Sophie-Barat, cotée « E », doivent dîner « beau temps mauvais temps » dans ce chapiteau, faute d'avoir une cafétéria.

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

C'est une forme d’ironie qui est presque nécessaire dans un environnement qui n’est pas adéquat. Au-delà de 20 % à 30 % de vétusté (bâtiments cotés D et E), il y a une gradation et, à un moment, les gens ne se plaignent plus. Ils se sont tellement dit que quelque chose allait s'en venir, mais ça ne vient pas et ils acceptent leur sort, dit-il.

En plus d'être le plus important centre de services scolaire du Québec avec 115 000 élèves, le CSSDM compte sur son territoire 20 % des écoles spécialisées de la province, comme l'École de l'Étincelle, spécialisée en autisme.

Le bâtiment qui abrite l'École de l'Étincelle dans le quartier Mile-End.

Le bâtiment qui abrite l'École de l'Étincelle dans le quartier Mile-End, coté « E », a été construit en 1912.

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Amélie Cayouette s'est résignée à travailler dans un édifice dont la vétusté complique ses tâches au quotidien – comme l'absence d'eau chaude deux mois avant la fin de l'année scolaire qui s'est ajoutée aux infestations de souris. Mais si elle le fait, dit-elle, c'est parce qu'un vieux bâtiment avec des locaux adaptés à ses élèves (avec des salles d'apaisement insonorisées, des salles de jeux, des toilettes dans les classes, etc.) est mieux qu'un déménagement temporaire dans une école inadaptée pour des élèves atteints du trouble du spectre de l'autisme.

La jeune femme portant des lunettes et posant devant un mur blanc.

Amélie Cayouette enseigne à des élèves présentant un trouble du spectre de l'autisme (TSA).

Photo : Gracieuseté : Amélie Cayouette

C’est beaucoup de changement et, pour eux, le changement, c'est difficile. Le pire scénario, ce serait une relocalisation temporaire avant d’avoir une nouvelle école. Parce qu'on a une école qui est tellement unique, dit l'enseignante d'une voix empreinte de fierté.

Le dernier bilan de l'état de vétusté des écoles au Québec ne la surprend pas, mais l'attriste.

Ça m'inquiète énormément. Pour moi, pour nos enfants, pour nos élèves, pour mes collègues. Tout est tellement lent et complexe, regrette-t-elle.

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